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Malgré d’importantes préoccupations en matière d’éthique et de développement, le dépistage et la sélection précoces des athlètes constituent le modus operandi du sport de haute performance. La plupart des systèmes sportifs internationaux disposent de ressources limitées pour le développement des athlètes de haut niveau et, par conséquent, doivent faire des prédictions sur les athlètes qui ont le plus de chances de réussir dans le futur. La notion de talent joue également un rôle crucial dans la plupart des modèles de développement des athlètes, et malgré toutes les preuves solides en faveur ou contre le rôle de la génétique dans la prédiction de la performance à long terme, ce concept ne mène nulle part. Le but de cet article est de soulever certains enjeux liés au dépistage et à la sélection d’athlètes et de discuter de ce que cela signifie pour les entraîneurs et les administrateurs du sport.

0.1  La sélection précoce des athlètes suppose que le talent est une capacité fixe qui peut être identifiée tôt

Dans la plupart des sports, les décisions relatives à la sélection d’athlètes sont prises assez régulièrement tout au long du développement des athlètes (p. ex. les programmes de hockey sur glace choisissent des athlètes pour faire partie d’équipes de niveau représentatif et les équipes provinciales choisissent des athlètes juniors pour participer aux Jeux du Canada). Cependant, le sport de haute performance se concentre de plus en plus sur le dépistage d’athlètes à des stades de développement de plus en plus précoces. L’exemple le plus extrême dont nous ayons connaissance est probablement la signature d’un contrat « symbolique » de 10 ans avec un club de soccer professionnel néerlandais pour un bébé de 18 mois. Cette approche vise à fournir aux athlètes l’environnement de développement optimal pour connaître du succès dans le futur. Cependant, elle a aussi des conséquences considérables (p. ex. l’importance excessive accordée à la victoire au détriment du développement des habiletés motrices fondamentales; une plus grande probabilité d’épuisement professionnel et d’abandon du sport). De plus, la sélection d’athlètes au début de leur développement suppose que les facteurs associés au succès précoce (p. ex. des habiletés physiques supérieures) sont des indicateurs stables de ce à quoi ressemblera la performance dans l’avenir – une hypothèse qui n’est pas vraiment appuyée par des recherches (Baker et Wattie, 2018). Les capacités de performance clés, comme la capacité de lire les modèles de jeu (p. ex. soccer, football), d’anticiper les actions futures des adversaires (p. ex. tennis, squash) et de prendre de bonnes décisions sur les meilleures options dans des situations particulières (p. ex. sports décisionnels comme le volleyball et le baseball), ne se développent qu’après un temps considérable consacré à pratiquer ce sport. Par conséquent, il est actuellement impossible d’identifier ces capacités au début du développement puisqu’il n’y a pas de bons indicateurs à ce stade.

0.2  L’identification des talents ne se fait pas sur un pied d’égalité

La réalité est que le dépistage et le développement d’athlètes n’est pas une méritocratie. Un certain nombre de contraintes influent sur le choix des personnes qualifiées de « talentueuses » et sur la question de savoir si les athlètes ont ou non la possibilité de progresser dans un parcours de développement de haute performance. Dans certains cas, les politiques peuvent influencer la sélection. L’effet de l’âge relatif fait en sorte que les jeunes plus âgés de leur groupe d’âge sont plus susceptibles d’être sélectionnés pour faire partie d’équipes compétitives parce qu’ils sont simplement plus grands physiquement, plus matures psychologiquement et à un stade de développement avancé (Wattie, Schorer et Baker, 2015). Certains aspects de l’environnement de développement immédiat des jeunes influencent également leur expérience sportive. Par exemple, certaines recherches mentionnent que des facteurs évidents comme les ressources socioéconomiques et des facteurs moins évidents comme les variables géographiques générales (p. ex. la population) limitent les possibilités de développement des athlètes (Woolcock et Burke, 2013). Ces facteurs, et d’autres, peuvent compromettre l’exactitude des décisions de sélection et influer sur la taille du bassin de talents à partir duquel les athlètes seront sélectionnés et formés.

0.3  Les approches multivariées de sélection des talents peuvent être problématiques

Un progrès important en science du sport a été l’utilisation accrue des mégadonnées par les entraîneurs et les administrateurs de haute performance pour comprendre les complexités du jeu aux plus hauts niveaux de compétition. D’une part, les retombées de ces stratégies de mégadonnées sur l’identification des talents et la sélection des athlètes semblent raisonnables. Si les mégadonnées peuvent améliorer notre compréhension au niveau de l’élite, elles peuvent certainement avoir une utilité aux niveaux inférieurs pour identifier les athlètes ayant le plus grand potentiel. Cependant, ces approches ont tendance à être multivariées (c.-à-d. qu’elles tiennent compte des relations entre une combinaison de compétences et de résultats différents), ce qui peut ne pas être approprié pour cibler les besoins spécifiques d’un entraîneur ou d’une équipe (p. ex. une équipe a-t-elle besoin du joueur le plus équilibré ou d’un joueur ayant des forces dans un domaine clé?). Dans de nombreux sports, l’athlète qui a le meilleur potentiel de réussite n’est pas celui qui possède la plus grande combinaison d’habiletés générales. De plus, comme les approches multivariées nécessitent des ensembles de données plus importants que la normale, elles doivent généralement s’appuyer sur des données provenant de joueurs qui n’ont peut-être pas joué au cours des dernières années. Ceci est problématique parce qu’on suppose que les variables qui prédisent la sélection des joueurs ne changent pas avec le temps (voir le point 4 ci-dessous pour en savoir plus à ce sujet). Toutefois, dans de nombreux sports, en particulier les sports d’équipe, la sélection des athlètes est fondée sur la composition de l’équipe à ce moment précis, l’évolution des besoins de l’équipe dans l’avenir et les joueurs disponibles pour maintenir ou élargir le répertoire de capacités de l’équipe.

0.4  La sélection d’athlètes exige de prédire l’avenir du sport

Un point connexe à celui qui précède concerne la nécessité pour les entraîneurs de haute performance de prédire comment leur sport changera au fil du temps. Essentiellement, lorsque les entraîneurs prennent des décisions concernant la sélection d’athlètes, ils devraient faire des prédictions sur ce à quoi ressemblera la performance dans leur sport dans le nombre d’années qui restent entre l’âge actuel d’un athlète et l’âge où il atteindra sa performance maximale, et si l’athlète possède les habiletés et les capacités nécessaires pour atteindre ce niveau de performance. Prédire les facteurs gagnants d’aujourd’hui chez un athlète en développement ne tient pas compte du fait que son sport évoluera au cours de sa période de développement (p. ex. en raison de changements de règles, de progrès sur le plan de l’équipement et de la technologie). Plus la période de développement est longue, plus le potentiel de changement est grand. Un exemple frappant est celui d’Usain Bolt, qui, plus jeune, était considéré comme trop grand pour être un sprinteur de classe mondiale de 100 m parce que les entraîneurs croyaient que seuls les petits sprinteurs pouvaient atteindre la fréquence de pas nécessaire pour être assez rapide.

0.5  Les priorités à court terme nuisent à la sélection et au développement des talents

L’un des défis du développement des athlètes d’élite est le conflit qui existe entre les objectifs à court et à long terme. L’identification du talent commence dès le jeune âge dans bon nombre de systèmes sportifs, et le processus de développement du talent en expertise (c.-à-d. la performance aux plus hauts niveaux d’un sport) s’étend habituellement sur de nombreuses années dans différents milieux d’entraînement. Au cours de ce processus, les entraîneurs et les dépisteurs donnent souvent la priorité aux objectifs à court terme : gagner les matchs, les tournois et les championnats de cette année. Ceci peut se traduire par une « identification de la performance », c.-à-d. une sélection d’athlètes qui répondent aux objectifs de performance immédiats plutôt que des athlètes qui ont du talent et un énorme potentiel à long terme. De plus, lorsque les priorités à court terme dominent (p. ex. lorsqu’elles sont liées à des incitatifs financiers), le risque que les pratiques d’entraînement et de récupération ne soient pas bénéfiques aux intérêts à long terme des athlètes individuels augmente. Nous pouvons le constater dans les ligues de jeunes où les équipes sont composées d’un grand nombre de joueurs de haut niveau au lieu de les répartir dans l’ensemble de la ligue. Cela fait en sorte que l’équipe a de grandes chances de réussir cette année-là, mais l’environnement sera sous-optimal pour le développement puisque le défi risque d’être faible. Cela compromet également les possibilités d’apprentissage pour les athlètes des autres équipes. Lorsque les priorités à court terme nuisent à la sélection des talents, les organisations peuvent devoir imposer un changement de culture et la mise en place de mesures incitatives qui s’alignent sur les priorités de développement à long terme des athlètes.

0.6  La compétition accrue pour le talent entre les sports nuit au développement de l’athlète

La plupart des modèles de développement des athlètes préconisent une base large et diversifiée d’expériences de mouvement au cours des premières phases du développement (voir https://jouerplusdesports.activeforlife.com/) alors que, paradoxalement, les premières expériences des athlètes de haut niveau sont de plus en plus spécialisées. L’un des facteurs à l’origine de cet effet est lié aux approches protectionnistes et isolationnistes de nombreux sports en matière d’identification et de développement des talents. Dans de nombreux systèmes de haute performance, les sports permettent d’identifier les jeunes les plus talentueux afin de les développer comme athlètes. Par exemple, nous avons entendu parler de plusieurs exemples d’entraîneurs d’élite qui ne veulent pas que leurs athlètes participent à d’autres sports pendant la saison morte parce qu’ils craignent de les voir se faire une blessure qui pourrait nuire à leur performance dans leur sport principal. Par conséquent, ils conçoivent un programme d’entraînement de 12 mois pour garder leur athlète concentré dans un seul sport. Cette compétition inter et intra-organisationnelle limite les possibilités de développement des athlètes dans l’ensemble du système. Les approches isolationnistes mettent l’accent sur ce qui est le mieux pour un sport (p. ex. entraînement de 12 mois) plutôt que sur ce qui pourrait être le mieux pour l’athlète (p. ex. une participation diversifiée où l’athlète joue à différents sports pendant la saison morte). Bien que cela se produise souvent dans des sports comme le hockey sur glace, cela peut être particulièrement pertinent dans les sports moins populaires qui ont besoin de maintenir un nombre minimum de joueurs pour permettre aux systèmes de fonctionner efficacement.

En raison des ressources limitées disponibles dans la plupart des systèmes de haute performance dans le monde, le dépistage et la sélection d’athlètes continueront de faire partie de leurs parcours, de leurs débuts jusqu’au podium. Cela dit, il est essentiel de ternir des discussions franches et honnêtes avec les intervenants au sujet des réalités des systèmes de haute performance. Bien que les chercheurs puissent se disputer philosophiquement sur l’existence des talents, ceux et celles qui travaillent au sein du système de développement des athlètes comprennent très bien la raison d’être de la sélection. Pour eux, cela reflète une décision quant à l’utilisation la plus efficace des ressources disponibles (et souvent très limitées). Une meilleure harmonisation entre les sports permettrait aux athlètes d’avoir plus d’occasions de connaître du succès grâce à des pratiques telles que le transfert de talents entre les sports, et permettrait potentiellement aux sports de maximiser le bassin d’athlètes talentueux et l’utilisation de ressources limitées.

En résumé, plusieurs enjeux compromettent l’identification et le développement efficaces des talents dans le sport. De plus, ces enjeux ne s’excluent pas toujours mutuellement, ce qui complique encore davantage la pratique déjà difficile du développement des athlètes de haut niveau. Le défi pour les chercheurs et les praticiens est de tester et de mettre en œuvre des stratégies créatives pour atténuer les facteurs qui ont un effet négatif sur l’efficacité des initiatives de développement des athlètes.


A propos de(s) l'auteur(s)

Joe Baker (@bakerjyorku) est professeur de sciences du sport à l’Université York. Depuis plus de deux décennies, il examine les facteurs qui influent sur le développement et la performance à long terme des athlètes de haut niveau. Il travaille actuellement avec plusieurs organismes nationaux et provinciaux de sport au Canada (p. ex. Basketball en fauteuil roulant Canada, Golf Canada, le Comité paralympique canadien, l’Institut canadien du sport de l’Ontario) pour améliorer les modèles de développement des athlètes et la mise en œuvre d’approches fondées sur des données probantes en matière d’acquisition d’habiletés.

Nick Wattie (@wattien) est professeur adjoint à la Faculté des sciences de la santé de l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario. Ses chercheurs ont étudié divers facteurs liés à l’identification et au développement des talents dans le sport, au développement de l’expertise, à l’acquisition d’habiletés et au développement positif des jeunes par le sport. Il a travaillé avec certains organismes de sport et a tenu des consultations avec eux, dont Basketball en fauteuil roulant Canada, l’Institut canadien du sport de l’Ontario, le Comité paralympique canadien et Ontario Soccer.

Jörg Schorer (@jrschorer) est professeur de sciences du sport et du mouvement à l’Université d’Oldenburg en Allemagne.  Ses recherches portent sur le développement de l’expertise tout au long de la vie. Il a travaillé avec la Fédération allemande de handball, la Fédération allemande de baseball et de softball, la Fédération allemande de tennis de table et la Fédération allemande de hockey sur gazon.

Références

Baker, J., Schorer, J. et Wattie, N. (2018). Compromising talent: Issues in identifying and selecting talent in sport, Quest, 70, 48 à 63.

Baker, J. et Wattie, N. (2018). Innate talent in sport: Separating myth from reality. Current Issues in Sport Science, 3, 006.

Baker, J., Wattie, N. et Gilson, L. (2016). A decision-matrix for determining risk in talent selection. Numéro du SIRCuit de HP d’hiver.

Wattie, N. et Baker, J. (2014). Improving how we think about talent: Step 1, stop talking about talent. Numéro du SIRCuit de HP d’automne.

Wattie, N., Schorer, J. et Baker, J. (2015). The relative age effect in sport: A developmental systems model. Sports Medicine, 45, 83 à 94.

Woolcock, G. et Burke, M. (2013) Measuring spatial variations in sports talent development: The approach, methods and measures of “talent tracker”. Australian Geographer, 44, 23 à 29.


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