Au carrefour de l’athlète d’élite et du père : L’expérience des athlètes masculins face à la parentalité

On a longtemps cru que la grossesse, le post-partum et la maternité marquaient la fin de la carrière sportive d’une athlète d’élite. Ces dernières années, de nombreux chercheurs, défenseurs et athlètes eux-mêmes ont travaillé à remettre en question cette idée reçue. Bien que les points de vue présomptueux de cette nature ne soient pas encore totalement relégués au passé, de nombreux progrès ont été réalisés. Il reste certes du chemin à parcourir, mais des avancées notables ont récemment eu lieu (Smith et coll., 2023).  

Notre équipe de recherche consacre depuis des années ses efforts à explorer comment les athlètes de haut niveau gèrent les identités concurrentes de la parentalité et de l’athlétisme professionnel (voir Darroch & Hillsburg, 2017; Darroch et coll., 2016, 2019, 2022, 2023; Giles et coll., 2016; Scott et coll., 2022; Smith et coll., 2023, 2024). Nous nous engageons à placer l’équité au cœur de notre travail en prenant en compte les intersections entre la parentalité et le sport de haut niveau. Cela signifie que toutes nos actions, décisions et processus de recherche sont conduits de manière délibérément inclusive. Dans cette optique, nous avons relevé un stéréotype persistant selon lequel l’éducation des enfants incomberait principalement aux femmes. Malgré l’évolution des rôles des hommes et des femmes, tant sur le marché du travail qu’en matière de garde d’enfants, ce stéréotype continue d’imposer une charge disproportionnée aux femmes, tant dans le sport que dans d’autres sphères de la société. 

En conséquence, notre équipe a saisi l’occasion de remettre en question son propre travail et de se demander si elle ne renforçait pas involontairement les stéréotypes en considérant l’intersection de la parentalité et du sport de haut niveau comme un sujet à aborder uniquement en référence aux athlètes féminines. En d’autres termes, comment les athlètes masculins peuvent-ils vivre la parentalité? Il était important de poser cette question, surtout à la lumière de la nouvelle ère de la paternité, qui a vu les hommes jouer un rôle plus pratique et plus engagé émotionnellement dans la vie de leurs enfants et dans les tâches de soins (Wall et Arnold, 2007). 

Ce changement reflète l’évolution des normes sociales, les hommes n’étant plus perçus comme des parents « secondaires » par rapport aux femmes dans le sens traditionnel du terme. Une paternité engagée peut offrir aux hommes un sens de mission plus profond, de nouveaux sentiments de confiance (Kotila et Kamp Dush, 2013) et de motivation (Keizer et coll., 2010), ainsi qu’une amélioration de la santé émotionnelle, mentale et même physique (Astone et Peters, 2014; Knoester et Eggebeen, 2006; Knoester et coll., 2007; Kotila et Kamp Dush, 2013). Toutefois, bien que ce changement soit extrêmement gratifiant, il peut également entraîner des défis dans la vie des hommes, tels qu’une pression émotionnelle accrue (Chin et coll., 2011; Gonçalves et coll., 2017), des perturbations dans la vie professionnelle, un manque de sommeil (Wynter et coll., 2020) et le stress lié à l’équilibre entre les responsabilités d’aidant — des éléments transformateurs qui étaient autrefois uniquement envisagés et étudiés en lien avec les femmes et les mères. 

Dans cette optique, nous avons estimé qu’il serait très utile d’étudier les expériences des athlètes masculins en tant que pères. Il ne s’agit certainement pas d’ignorer les courageux efforts déployés par les athlètes féminines pour vaincre l’idée fausse selon laquelle la grossesse et le sport de haut niveau sont incompatibles sur le plan de la reproduction (lire Nike Told Me to Dream Crazy, Until I Wanted a Baby, d’Alysia Montaño). Cette enquête avait plutôt pour but de changer un peu la donne et, en retour, de contribuer à alléger le fardeau qui pèse encore si souvent sur les athlètes féminines enceintes et/ou mères de famille. 

Cette enquête nous a conduits à l’une de nos études les plus récentes, qui, à ce jour, est la première du genre dans ce domaine de recherche. Dans notre étude, nous avons interrogé 10 athlètes masculins d’élite/internationaux et de classe mondiale (9 pères et 1 futur père au moment des entretiens). Ces 10 participants ont, ensemble, participé à 14 Jeux olympiques et 15 championnats du monde, principalement dans des épreuves de course de longue distance allant du 800 m au marathon. 

Au cours des entretiens, ces hommes ont partagé leur expérience de la conciliation d’une carrière d’athlète de haut niveau et de la paternité, ainsi que de l’équilibre entre les responsabilités familiales, les camps d’entraînement, les compétitions, l’entraînement quotidien et bien d’autres choses encore. 

Principales conclusions 

Ce groupe d’athlètes de haut niveau a mis en avant le caractère profondément conflictuel de la paternité pour ceux qui poursuivent une carrière sportive au plus haut niveau. Ils perçoivent la paternité comme ayant le potentiel d’améliorer, mais aussi d’entraver leurs performances sportives. 

D’une part, devenir père apporte ce qu’ils appellent la « force du père » : une motivation renouvelée et un objectif supplémentaire qui peuvent les propulser sur les pistes, les routes et dans les salles d’entraînement. Toutefois, ils soulignent que cet engagement a un coût. En termes simples, ils expliquent que devenir père tout en poursuivant une carrière sportive signifie devoir « renoncer à consacrer 100 % de ses capacités au sport ». Cela implique que leur temps, leur concentration et leur énergie ne sont plus exclusivement dédiés à leur pratique sportive, mais doivent désormais être partagés, en conciliant entraînement et compétition avec les responsabilités et les exigences de la parentalité. Ainsi, bien qu’ils accueillent une nouvelle dimension d’épanouissement dans leur vie, ils constatent également un effet négatif sur leur performance sportive. 

Certains athlètes ont également exprimé leur surprise face à une nouvelle réalité où la paternité les investissait tellement émotionnellement qu’ils se sont retrouvés à se soucier moins de leur sport par rapport à la période précédant la paternité. De manière inattendue, la paternité est ainsi devenue une forme d’obstacle psychologique à leur réussite sportive, simplement parce que devenir père signifiait plus que tout au monde. 

D’une manière générale, les athlètes de cette étude ont décrit leurs expériences comme des flux et des reflux où ils apprennent continuellement grâce à de nouvelles expériences lorsqu’ils combinent la paternité et l’athlétisme de haut niveau.  

Il convient de noter certains des parallèles intéressants entre leurs expériences par rapport à celles des mères athlètes. Dans nos travaux antérieurs avec des coureuses de fond d’élite enceintes/parentales (Darroch et coll., 2019), nous avons constaté que les athlètes féminines sont souvent confrontées à un manque de soutien de la part des commanditaires ou des dirigeants sportifs pendant la grossesse ou la période postnatale, ce qui oblige les femmes à planifier les grossesses en fonction des compétitions, des contrats et du soutien du conjoint; un degré de stress et d’incertitude auquel les athlètes masculins ne sont pas confrontés.  

En plus de cela, des recherches antérieures ont également souligné la façon dont les athlètes féminines traversent de nombreux autres obstacles pendant la grossesse et la maternité, y compris le conflit d’identité potentiel en tant qu’athlète et mère (Darroch et Hillsburg, 2017; McGannon et coll., 2015; Palmer et Leberman, 2009). L’impression est qu’il y a un conflit physique et concernant la combinaison de l’exercice vigoureux avec la grossesse (Jette, 2011; Kardel, 2005; McGannon et coll., 2015; Weaving, 2020), et le point de vue sociétal accablant selon lequel les femmes devraient activement sacrifier leurs propres besoins pour ceux de leur famille (Appleby et Fisher, 2009; Darroch et Hillsburg, 2017).  

Bien entendu, les réalités biologiques très différentes entre hommes et femmes entraînent des divergences significatives dans les expériences des athlètes qui cherchent à concilier sport et parentalité. Toutefois, nos travaux récents révèlent des tensions identitaires comparables chez les athlètes masculins, qui jonglent entre leurs rôles de parents et d’athlètes, éprouvent des difficultés à concilier leur carrière sportive avec leur vie de famille et doivent s’appuyer sur leur partenaire, leur famille et leur réseau de soutien pour gérer ces conflits. 

Il est crucial de reconnaître ces nuances propres aux athlètes parents afin de permettre à l’industrie du sport d’évoluer de manière équitable. Bien que les athlètes masculins ne subissent pas les exigences physiques de la grossesse et de la convalescence post-partum, ni les pressions supplémentaires exercées par les commanditaires et les instances dirigeantes, les résultats de cette étude soulignent l’importance de mettre en place des politiques, des ressources et un soutien adapté à la famille (soutien financier, médical, garde d’enfants, etc.) dans le cadre du sport de haut niveau. 

Les expériences des parents d’athlètes masculins et féminins sont liées au genre (et donc intrinsèquement différentes), tout en étant similaires. Il s’agit d’une réalité complexe qui devrait se refléter dans la manière dont ces athlètes sont soutenus et protégés au sein de l’industrie du sport et par celle-ci.  

Dans le cadre d’une approche plus globale et équitable du soutien à tous les athlètes parents, il est essentiel de donner la priorité à un soutien significatif qui réponde aux besoins spécifiques des athlètes féminines pendant la grossesse et la période postnatale, tout en faisant une place aux considérations relatives aux athlètes masculins qui sont ou deviendront pères. 

Consultez la vidéo d’animation de notre équipe sur l’équité entre les genres dans le sport d’élite pour en savoir plus sur certains de ces événements récents. Vous pouvez regarder la vidéo ici

About the Author(s) / A propos de(s) l'auteur(s)

Sydney Smith est gestionnaire de recherche au sein du Health and Wellness Equity Research Group de l’Université Carleton. Sa recherche de maîtrise portait sur les perspectives des athlètes olympiques sur les changements actuels entourant la parentalité et l’athlétisme. Elle est actuellement athlète sur piste au niveau national. 

Francine Darroch est professeure agrégée en sciences de la santé à l’Université Carleton. Ses recherches sur les méthodes mixtes se concentrent sur l’équité dans les sports et elle s’engage à égaliser les chances pour les athlètes de loisir et les athlètes d’élite. Ancienne coureuse nationale junior, elle a fait du jogging pendant ses propres grossesses, a fondé un club de course à pied à but non lucratif pour les enfants et court généralement après ses propres enfants 

Audrey Giles est professeure titulaire à l’École des sciences de l’activité physique de l’Université d’Ottawa. Anthropologue culturelle appliquée, elle s’intéresse au lien entre la culture, le genre et le lieu dans le cadre de la promotion de la santé et de la prévention des blessures. Ancienne coureuse universitaire de niveau national, elle est passionnée de course à pied, d’entraînement, de cyclisme et de yoga. 

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