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Football players in a huddle holding hands

Si vous vous êtes jamais impliqué au sport de compétition en tant qu’entraîneur ou administrateur, il est fort probable que vous avez vu des athlètes subir des revers émotionnellement éprouvants, que ce soit un échec majeur sur le plan de la prestation (par exemple, décevoir les attentes durant une compétition majeure), ou des évaluations négatives ou commentaires cinglants (par exemple, de la part des spectateurs, des coéquipiers, des adversaires, des parents, et/ou de soi-même – nous sommes souvent nos plus sévères critiques). Certains athlètes ont une aptitude à transformer ces sortes d’écueils en tremplins pour propulser le perfectionnement. Pour d’autres, qui manquent de ressources d’adaptation, ces mêmes expériences peuvent avoir une incidence négative sur le bien-être de l’athlète, voire le détourner du sport de façon temporaire ou permanente. Heureusement, la notion de l’autocompassion gagne du terrain en tant que ressource personnelle sur laquelle les athlètes peuvent s’appuyer afin de surmonter d’une manière saine et positive les revers se rapportant au sport (par exemple, Mosewich et al., 2011; Reis et al., 2015; Wilson et al., 2019).

Qu’est-ce que l’autocompassion?

L’autocompassion requiert une prise de conscience de la souffrance personnelle et une volonté de s’aider soi-même à traverser une expérience émotionnellement éprouvante. Selon la Dre Kristin Neff (2003), l’autocompassion comporte trois composantes :

  1. La bonté envers soi-même – se traiter avec bonté et compréhension à la suite d’un échec ou une expérience difficile;
  2. L’humanité commune – être conscient du fait que nous vivons tous et toutes l’expérience humaine, et que tout le monde affronte des difficultés; et
  3. La pleine conscience – concentrer l’attention sur le moment présent et adopter une perspective plus objective et rationnelle sur les situations négatives, plutôt que de devenir trop subjectif ou, en revanche, refuser de reconnaître l’enjeu.

À la différence de l’estime de soi, qui exige au préalable une autoévaluation positive par rapport aux autres personnes afin d’être bien dans sa peau, l’autocompassion se base sur une acceptation de ses propres défauts et défaillances. Ce faisant, comme l’indique Neff, l’autocompassion met en valeur une attitude de soutien envers soi-même et une perspective plus positive dans la vie. En particulier, l’autocompassion se relie au bien-être global et à une réduction des émotions négatives telles que la honte, et le phénomène a été observé à travers une variété de segments démographiques (par exemple, étudiants d’université, adultes plus âgés; Allen, Goldwasser, & Leary, 2012; Johnson & O’Brien, 2013; Leary et al., 2007). Il existe un nombre croissant de preuves qui en soulignent les avantages dans le contexte spécifique des athlètes.

Le rôle de l’autocompassion dans le sport

Au cours de la dernière décennie, les études portant sur l’autocompassion dans le sport se sont penchées notamment sur son rôle en tant qu’outil pour aider les athlètes à se remettre sur les rails aux suites d’un écueil ou lors d’une situation émotionnellement éprouvante. Spécialement dans les contextes où les réseaux d’appui se font rares ou inexistants pour les athlètes, l’autocompassion pourrait être particulièrement utile pour aider les athlètes à se remettre d’une variété de revers, d’une manière adaptive et salutaire. Dans le cadre du présent article, nous allons nous concentrer sur les liens entre l’autocompassion et deux types de revers qui ont une pertinence particulière pour les praticiens travaillant avec les athlètes : (a) les blessures et (b) les jugements durs et les échecs sur le plan des performances dans le sport.

Blessures

Therapist Applying Kinesiology Tape On Athlete's Knee

Une blessure est un revers majeur auquel font face presque tous les athlètes à un moment ou un autre dans leur carrière. Parfois, les blessures sont relativement mineures, et l’horaire des entraînements, des séances de mise en forme, et des compétitions peut se poursuivre plus ou moins inchangé. Mais il y a aussi des blessures plus graves qui obligent les athlètes de s’absenter du sport pour une période de temps considérable. Dans un tel cas, lorsque l’athlète reprendra ses activités au terme de la période de réadaptation, il y a la possibilité que l’athlète ait de la difficulté à retrouver sa forme précédente, voire que ce niveau de performance soit désormais inatteignable. D’autres fois encore, les blessures mettent effectivement fin à la carrière sportive de l’athlète, et les retombées émotionnelles et mentales peuvent évidemment être énormes. Tout cela pour dire qu’une blessure peut constituer un revers très difficile à supporter pour un athlète.

La bonne nouvelle est qu’il existe de plus en plus de preuves soulignant que l’autocompassion peut aider les athlètes à mieux gérer les émotions négatives découlant d’une blessure. En réduisant l’anxiété et l’inquiétude de l’athlète et en atténuant les stratégies d’adaptation axées sur le refus d’accepter le problème (en ce cas-ci, la blessure), l’autocompassion peut habiliter les athlètes à opter pour des moyens plus sains et plus proactifs de progresser dans leur réadaptation (par exemple, stratégies d’adaptation et d’acceptation), et contrer notamment la propension à devenir obsédé par la blessure (Huysmans & Clement, 2017). L’autocompassion peut même réduire la susceptibilité aux blessures, ceci en atténuant l’activation physiologique des athlètes face aux différents stress, et en renforçant leur capacité à prendre conscience des indices pertinents lorsqu’ils sont sur le terrain, la piste, ou la glace (Huysmans & Clement, 2017).

Si les bienfaits de l’autocompassion dans le contexte d’une blessure ne sont pas encore entièrement connus, cette stratégie semble tout de même fournir aux athlètes un moyen d’atténuer certaines des émotions négatives qui découlent typiquement d’une blessure encourue dans le sport (par exemple, la honte, l’humiliation), et en conséquence les athlètes seraient plus déterminés à surmonter une blessure et à persévérer au travers l’adversité en lien avec cette blessure (Wilson et al., 2019). À ce titre, les recherches dans nos laboratoires à l’Université de Saskatchewan, chapeautées par Karissa Johnson dans le cadre de sa thèse de cycle supérieur, montrent que les athlètes faisant preuve d’autocompassion lors de se remettre d’une blessure ont tendance à être mentalement plus solides, ont la perception de disposer de davantage de ressources d’adaptation, et sont moins susceptibles d’être critiques d’eux-mêmes. Point important : les recherches de Karissa indiquent que l’autocompassion pourrait activer chez les athlètes blessés une version plus saine de la résistance psychologique, caractérisée par une acceptation de la blessure et la prise de décisions plus sages, à l’opposé d’une résistance psychologique moins bénéfique, donnant lieu à de mauvaises décisions de poursuivre en dépit de la douleur.

Évaluations négatives et échecs en matière des performances

emale athlete preparing for a workout in a gym locker roomIl serait assez rare de travailler avec un athlète qui n’ait jamais commis une erreur, qui n’ait jamais éprouvé un sentiment d’échec, souvent à un moment critique d’une compétition. Tout comme les blessures, les erreurs et les échecs font partie intégrale du sport, et similairement aux blessures, les répercussions peuvent être émotionnellement éprouvantes pour les athlètes. Qu’il s’agisse de se blâmer pour une défaite aux suites d’un lancer franc raté dans une partie de basketball au secondaire, ou d’un tir de réparation raté dans le cadre de la Coupe du monde de soccer, les athlètes sont souvent soumis au jugement assez dur – d’autrui comme d’eux-mêmes. Parfois ce sont les coéquipiers, les adversaires, les entraîneurs, et les parents qui sont responsables de ces rétroactions négatives, voire dévastatrices, à l’égard des athlètes. D’autres fois, ce sont les athlètes eux-mêmes les critiques les plus sévères, en assumant toute la responsabilité de l’incident. Le plus souvent, les évaluations négatives proviennent de sources multiples.

Quels que soient la/les source(s) de jugements négatifs,  le niveau de compétition, ou l’ampleur de l’erreur ou l’échec, les athlètes sont très sensibles à la douleur morale occasionnée par les jugements durs de leur prestation dans le sport (Mosewich et al., 2011). Les études ont montré que les athlètes éprouvent une variété d’émotions mésadaptées (par exemple, la honte, la gêne, l’humiliation) et des pensées parallèles (par exemple, « Je suis nul(le) ») lorsqu’ils font des erreurs ou subissent un échec (Reis et al., 2015), incluant l’autocritique et l’autopunition (Ceccarelli et al., 2019). Plus généralement, les performances inférieures aux attentes dans le sport peuvent donner lieu à des effets négatifs sur la santé mentale, porter atteinte à l’image de soi-même, et causer des troubles émotionnels (Ceccarelli et al., 2019; Mosewich, Crocker, & Kowalski, 2014).

Pareillement aux effets positifs notés dans le contexte des athlètes qui se remettent d’une blessure, l’autocompassion semble être un outil efficace pour les athlètes éprouvant des troubles émotionnels aux suites d’un échec ou d’un jugement négatif. Du fait d’habiliter les athlètes à être moins sévères envers eux-mêmes, et de mettre en perspective les échecs ou les erreurs dans le sport, l’autocompassion favorise des stratégies d’adaptation positives et une réaction au stress plus salutaire, autant sur le plan psychologique (par exemple, en considérant les défaillances actuelles comme surmontables et solubles) que sur le plan physiologique (par exemple, une réaction au stress appropriée en termes de la fréquence cardiaque) (Ceccarelli et al., 2019). Autrement dit, l’autocompassion aide les athlètes à surmonter les expériences difficiles dans le sport, telles que les blessures et les échecs sur le plan de la performance (et les jugements négatifs conséquents), d’une façon qui n’amène pas l’athlète à se préoccuper excessivement de l’écueil, favorisant une reprise plus rapide et une expérience sportive globalement plus positive.

Stratégies en vue de renforcer l’autocompassion

L’intervention est une des principales approches pour renforcer l’autocompassion chez les athlètes. Par exemple, la Dre Amber Mosewich et ses collègues ont mis sur pied un programme d’une semaine d’intervention d’autocompassion dans le sport qui a réussi à renforcer les niveaux d’autocompassion chez des femmes athlètes très critiques d’elles-mêmes, tout en réduisant les tendances à la rumination et l’autocritique (Mosewich et al., 2013). L’intervention consistait en une séance de formation en personne et un exercice de rédaction basé sur l’autocompassion, suivis par une série de modules d’écriture en ligne, toujours au sujet de l’autocompassion, que les athlètes ont complétés au cours de la semaine. Le volet de formation initial a fait un tour d’horizon de l’autocompassion et a fait la synthèse des recherches à ce sujet (par exemple, l’autocompassion ne soutient pas la complaisance ni la passivité : c’est plutôt un exercice adaptif, et une stratégie saine pour surmonter les défis). Au terme de la formation de 10 minutes, les athlètes ont été appelées à réfléchir à une expérience négative qu’elles avaient encourue personnellement dans le sport durant les 10 jours précédents. Elles ont été invitées à faire le bilan de l’expérience et consigner des démarches qu’elles auraient pu prendre en réaction audit scénario, en se basant sur les trois composantes essentielles de l’autocompassion (c’est-à-dire, la bonté envers soi-même, l’humanité commune, la pleine conscience). Cet exercice d’écriture a donné aux athlètes la possibilité de s’exercer à la mise en pratique de l’autocompassion avant de procéder à l’étape du cours qui se faisait indépendamment, à savoir les cinq modules d’écriture en ligne. Deux de ces exercices invitaient les participantes à réagir à leur expérience négative dans le sport en : (a) écrivant un paragraphe « qui fait preuve de compréhension, de bonté, et d’un souci envers vous-même… tout comme vous le feriez si vous parliez avec une bonne amie aux prises avec la même situation » (exercice de mise en application de la notion de la bonté envers soi-même) et (b) en dressant une liste des  «moyens par lesquels d’autres personnes traversent des expériences similaires, » (exercice de mise en application de la notion de l’humanité commune).

close up of woman writing her journalDans une étude appliquée, Rodriguez et Ebbeck (2015) ont mis en œuvre des stratégies d’autocompassion avec des femmes gymnastes et leurs entraîneurs. Dans une série de réunions hebdomadaires ou bihebdomadaires avec les gymnastes, entraîneurs, et un conseiller externe en psychologie sportive, les  gymnastes ont participé à des activités visant à renforcer l’autocompassion. Par exemple, les gymnastes ont été encouragées à écrire leurs réflexions sur un scénario selon lequel une coéquipière avait une opinion très négative d’elle-même, à tel point qu’elle avait des difficultés lors des entraînements et des compétitions. Les gymnastes ont également incorporé des pauses d’autocompassion dans leurs routines d’entraînement : elles étaient amenées à imaginer un scénario stressant dans la gymnastique et à formuler leurs propres indices d’autocompassion basés sur les notions de la bonté envers soi-même, l’humanité commune, et la pleine conscience. Cet exercice visait à renforcer leur capacité d’adaptation et en même temps les outiller pour gérer de manière plus saine les situations futures. Un aspect particulièrement unique de cette étude a été l’exercice selon lequel les gymnastes choisissaient des billes de couleurs différentes pour tenir le compte des moments où elles ont pratiqué un discours intérieur positif ou ont fait des affirmations positives à leur propre égard, versus les moments où elles ont noté un dialogue intérieur négatif ou des instances d’autocritique. Les gymnastes ont également été encouragées à envisager l’autocompassion comme une approche de prévention de la « souffrance », cette dernière étant liée à d’autres résultats indésirables ou défavorables (par exemple, la perte de forme en saison morte pourrait être évitée du fait de « maintenir une routine de conditionnement de saison morte et maintenir de bonnes habitudes alimentaires »). Pour contrer la perception que l’autocompassion est un exercice inutile de « se dorloter » – préoccupation que nous aborderons en plus de détail dans la prochaine section – on a posé des questions aux gymnastes spécifiquement en vue de donner une perspective équilibrée à l’emploi et à la valeur de l’autocompassion (par exemple, « Est-ce que vous vous priveriez d’eau tout au long d’une séance d’entraînement de 4 heures, tout simplement en vue d’être dure envers vous-même? »).

Obstacles à l’autocompassion et solutions éventuelles

En dépit du potentiel prometteur de l’autocompassion en tant que ressource pour aider les athlètes à surmonter les écueils et les expériences émotionnellement éprouvantes dans le sport, il existe des défis en ce qui concerne la mise en pratique généralisée. L’un des principaux enjeux est la perception chez certains athlètes que l’autocompassion est en soi un obstacle à la réalisation d’un statut d’élite (Sutherland et al., 2014). Spécifiquement, certaines femmes athlètes ont indiqué qu’elles pensaient qu’il était en fait nécessaire d’être critiques envers elles-mêmes et notamment de leurs échecs et leurs performances inférieures aux attentes, ceci en vue d’en tirer des leçons et devenir meilleures comme athlètes. Bref, l’autocompassion, de ce point de vue, signifiait un état d’esprit qui les encouragerait à se tirer d’affaire trop facilement. Pareillement, dans une étude récente menée par notre équipe de chercheurs auprès des hommes athlètes, certains participants ont avoué qu’à entendre le terme « l’autocompassion », le mot qui venait immédiatement à l’esprit était « faible » – un obstacle en soi à l’autocompassion – et que ce l’autocompassion les encouragerait à être trop indulgents à leur propre égard. En plus, ils ont remarqué que le fait de regarder leurs échecs et leurs mauvaises prestations dans une optique sévère et critique envers eux-mêmes faisait partie intégrale du processus qui donnerait lieu à une progression positive dans les performances. Bien que de telles notions soient en grande partie infondées – en fait, les études ont souligné les effets positifs de l’autocompassion sur l’épanouissement dans le sport (Ferguson et al., 2014) tout en dissipant les mythes d’auto-indulgence et de défaut de motivation (Gilbert et al., 2011) – elles constituent tout de même un défi réel à la promotion et l’adoption de l’autocompassion chez les athlètes. Les chercheurs se demandent si l’utilisation d’un vocabulaire alternatif pour exprimer « l’autocompassion » serait une approche valable pour écarter cette connotation de « faiblesse » que certaines personnes s’obstinent à rattacher à ce terme. Par exemple, Neff et Germer (2018) ont proposé le concept du « yin » et du « yang » de l’autocompassion, reconnaissant les aspects traditionnellement féminins ou « yin » de l’autocompassion et en y associant les notions de « réconfortant », « apaisant » et « validation » ; et les aspects traditionnellement masculins ou « yang » du concept, rattachés aux termes tels que « protéger », « habiliter » et «motivation ».

Cette croyance persistante chez certains athlètes que l’autocompassion pourrait donner lieu à une révision à la baisse des ambitions et un rendement inférieur met en lumière un autre obstacle potentiel à une application plus répandue de l’autocompassion dans le monde sportif : une mauvaise interprétation de la notion même de l’autocompassion. Dans nos recherches avec les hommes athlètes, ceux-ci ont indiqué initialement que l’autocompassion apportait une connotation de tomber dans la complaisance. Par la suite, ils ont reconnu que leur manque de formation sur l’autocompassion avait été en grande partie responsable de cette perspective négative. Au terme d’une formation sur l’autocompassion, les participants ont expliqué que leur réticence initiale à l’égard de l’autocompassion reposait sur une idée fausse du concept. Ils ont souligné que l’éducation et la formation devraient être une étape incontournable lors de promouvoir l’autocompassion auprès des autres athlètes. Ils ont continué par dire qu’il faut non seulement sensibiliser les athlètes à la notion de l’autocompassion, mais également leur faire savoir que l’autocompassion est un outil pouvant les aider à surmonter les difficultés dans le sport, et les élever à un niveau de performance meilleur, en les équipant pour apprendre des erreurs et des échecs, plutôt que de se laisser préoccuper par ces expériences négatives.

Au-delà des perceptions négatives ou indifférentes de l’autocompassion entretenues par certains athlètes, qui se doivent potentiellement à une mauvaise compréhension du concept, il y a l’obstacle non négligeable de la COVID-19 qui présente son propre lot d’entraves freinant la croissance de l’autocompassion dans le monde sportif. Simplement dit, certaines stratégies de sensibilisation et de formation précédemment déployées dans un contexte en personne, et les activités visant à renforcer les capacités d’autocompassion chez les athlètes, comme par exemple les séances d’initiation au concept (par exemple, Mosewich et al., 2013) et les exercices de groupe (par exemple, Rodriguez & Ebbeck, 2015), sont plus difficiles à réaliser sous les restrictions en lien avec la COVID-19. Ainsi, dans le contexte sportif actuel, les ressources, ateliers, cours et interventions d’autocompassion se poursuivent uniquement en ligne. Heureusement, étant donné les importantes améliorations apportées à la technologie au cours des années récentes, l’élaboration et la prestation des formations et des interventions en ligne portant sur l’autocompassion sont devenues non seulement faisables, mais potentiellement aussi efficaces que les interventions en personne. À titre d’exemple, le volet de formation de l’intervention développée par Mosewich et al. (2013) pourrait fort probablement être intégré de manière transparente avec les exercices d’écriture qui se déroulaient en ligne déjà. En plus, les activités de groupe, incluant les réunions entre entraîneurs, athlètes, conseillers en performance mentale, et psychologues du sport, peuvent se faire par moyen de visioconférence. Les exercices et méditations en ligne développés par Nef (www. self-compassion.org) sont accessibles à toute personne qui visite son site web, ce qui facilite le travail pour les entraîneurs et les administrateurs de sport cherchant à aiguiller leurs athlètes vers l’autocompassion.

Le rôle du genre dans l’autocompassion et le sport

Athlete sitting on gym bench suffering mentallyLa grande majorité des recherches jusqu’à date se rapportant à l’autocompassion et les athlètes se sont penchées sur les femmes athlètes. En revanche, dans nos recherches récentes les hommes athlètes prennent une place plus large, et les résultats suggèrent que les niveaux d’autocompassion se relient à l’image de la masculinité que se font les athlètes individuels (Reis et al., 2019). Spécifiquement, les hommes athlètes qui s’identifient avec une image plus traditionnelle de la masculinité (à savoir, une identification avec les normes masculines dites traditionnelles comme l’agressivité, la violence, et l’autonomie; Parent & Moradi, 2009) manifestent des niveaux d’autocompassion plus bas par rapport aux hommes athlètes qui adoptent une version de la masculinité plus contemporaine, empreinte d’acceptation (à savoir, une masculinité inclusive selon laquelle toutes les représentations de la masculinité sont considérées comme également valides; Anderson, 2005).

Tout en reconnaissant que les femmes athlètes font face à leur propre lot de défis dans le sport (par exemple, le paradoxe qui existe entre les attentes de la société en ce qui concerne l’aspect physique, et les attentes en ce qui concerne la performance), les hommes athlètes n’en sont pas épargnés (à savoir : l’émasculation sous forme d’une subordination et/ou une marginalisation si l’athlète ne réalise pas les attentes en matière de la performance dans le sport, comme par exemple les déficits de vitesse ou de force physique; Anderson & McGuire, 2010). Ces considérations sont importantes dans le contexte de l’autocompassion dans le sport pour les raisons suivantes : (a) il est difficile de savoir si l’autocompassion peut aider les hommes athlètes à gérer et à s’adapter à leurs propres expériences difficiles dans le sport, et (b) certains hommes athlètes seraient réticents à accepter/adopter/pratiquer les techniques d’autocompassion, à cause de la perception que cela pourrait porter atteinte à leur masculinité.  

Dans nos recherches auprès des hommes athlètes, ceux-ci ont indiqué que la masculinité a été en fait la cause fondamentale d’une large partie des expériences émotionnellement éprouvantes qu’ils avaient subies dans le sport. Par exemple, ils ont fait référence aux attentes et aux pressions de la société et de l’exigence de faire toujours une prestation du plus haut niveau, et de continuer à jouer quand ils étaient blessés, et même les entraîneurs qui crient « endurcis-toi » depuis la ligne de touche. Point intéressant : certains hommes ont expliqué que le refus de se plier à de telles pressions fondées sur la masculinité et potentiellement dangereuses était en soi une qualité masculine, et qu’en ce sens, l’autocompassion était une qualité masculine puisque la décision de prendre soin de soi-même devient alors une manifestation de la force mentale. Même si cette perspective est encourageante en ce qui concerne la mise en œuvre et la pratique de l’autocompassion parmi les hommes athlètes, il serait présomptueux de suggérer que tous les hommes athlètes ou même la majorité de ceux-ci partagent ce point de vue. En revanche, nous avons des raisons d’espérer que les générations présentes et futures d’hommes athlètes affluent vers une définition de la masculinité qui semble plus inclusive, et qui cadre mieux avec le concept de l’autocompassion.

Synthèse

Les recherches sur l’autocompassion dans le sport se sont multipliées au cours de la dernière décennie. De plus en plus d’athlètes se prévalent des techniques d’autocompassion, particulièrement comme moyen de gérer et surmonter les revers subis dans le sport. La plus grande partie des recherches jusqu’à date sur l’autocompassion dans le sport se penchent sur les femmes athlètes ou une combinaison de femmes athlètes et d’hommes athlètes, mais les recherches sur l’autocompassion portant spécifiquement sur les hommes athlètes commencent à voir le jour, et les résultats s’annoncent encourageants. Le plein potentiel de l’autocompassion reste largement inexploité, étant donné que le concept est relativement nouveau dans les recherches axées sur le sport; mais à force d’éduquer les intervenants et d’offrir des occasions de formation sur le concept pour les athlètes, les entraîneurs, et les administrateurs de sport (ateliers, cours, séminaires, et interventions), il y a beaucoup à gagner pour les athlètes et le personnel de soutien qui travaille avec eux. En plus, étant donné les restrictions en place à cause de la COVID-19 qui limitent les interactions en personne, il serait utile pour les praticiens d’autocompassion de se concentrer sur l’élaboration et la prestation d’activités en ligne visant à développer l’autocompassion chez les athlètes.

5 stratégies pour promouvoir l’autocompassion auprès des athlètes

  1. Expliquez aux athlètes que des liens ont été établis entre l’autocompassion et une reprise plus rapide à la suite d’une situation difficile dans le sport, et que cela peut favoriser une performance meilleure.
  2. Lorsqu’un(e) athlète éprouve une difficulté ou un échec, encouragez-le/-la à réfléchir à ce qu’il/elle dirait à un(e) ami(e) aux prises avec une situation similaire.
  3. Invitez les athlètes à vous parler d’autres athlètes qui auraient pu subir des expériences similaires.
  4. Sur une période de 10 jours, demandez aux athlètes de tenir le compte des « billes » électroniques. À chaque fois où l’athlète tient un discours intérieur positif ou fait une affirmation positive à son propre égard, il/elle ajoute une bille verte. Et à chaque instance de dialogue intérieur négatif ou autocritique, il/elle ajoute une bille rouge.
  5. Invitez les athlètes à participer à une séance de méditation dirigée portant spécifiquement sur l’autocompassion, comme par exemple Compassionate Body Scan, disponible à titre gratuit au site web de Kristin Neff (www.self-compassion.org).

A propos de(s) l'auteur(s)

M. Nathan Reis est un doctorant au Collège de Kinésiologie à l’Université de Saskatchewan. Son principal intérêt de recherche est l’autocompassion chez les hommes athlètes, et notamment le rôle éventuel de la masculinité dans l’autocompassion.

Le Dr Kent Kowalski est professeur au Collège de Kinésiologie à l’Université de Saskatchewan. Les recherches de Kent portent sur le rôle de l’autocompassion dans la vie des athlètes.

La Dre Amber Mosewich est professeure agrégée à la Faculté de Kinésiologie, sport, et loisirs à l’Université de l’Alberta. Les recherches d’Amber se penchent sur l’autocompassion, le stress, l’adaptation, et l’émotion dans le sport.

La Dre Leah Ferguson est professeur agrégée au Collège de Kinésiologie à l’Université de Saskatchewan. Les recherches de Leah portent sur l’autocompassion et sur le bien-être des Autochtones.

Références

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