Accroître l’engagement en revoyant les pratiques de non-sélection d’athlètes dans les sports de jeunes

Pour les chercheurs et éducateurs que nous sommes et qui avons été (et sommes toujours!) très impliqués dans le sport, le retour à l’école signifie aussi le retour aux horaires de sport. Grâce à notre expérience personnelle et à nos recherches, nous connaissons de première main l’effet positif que la pratique d’un sport peut avoir sur le développement des enfants. Nous savons très bien aussi que beaucoup d’enfants et de jeunes n’ont pas la chance de connaître ces avantages parce qu’ils ne sont pas sélectionnés dans des équipes, sont épuisés par la spécialisation d’un seul sport ou n’ont simplement jamais eu l’occasion de jouer. Les écoles et les collectivités qui participent à des programmes sportifs (entraîneurs, parents, directeurs d’école, enseignants, animateurs récréatifs, etc.) reconnaissent que les sports sont bénéfiques pour les enfants, MAIS que tous les enfants ne sont pas en mesure de jouer. Du moins, pour l’instant.

Lors des Jeux olympiques d’hiver de 2018, de nombreuses personnes se sont familiarisées avec l’approche norvégienne du sport chez les jeunes.

En Norvège, les enfants sont encouragés à s’inscrire à des clubs sportifs locaux pour favoriser leur développement social, mais il existe des règles strictes qui empêchent le comptage de points. En effet, aucun enfant de moins de 13 ans ne peut être classé dans un rang de premier à dernier. « Nous souhaitons qu’ils fassent du sport parce qu’ils le veulent. », explique Tore Øvrebø, chef de l’équipe norvégienne, à CNN Sport. L’accent est mis sur d’autres aspects que sur la compétition. « Au lieu de [gagner], ils veulent s’amuser et se développer non seulement comme athlètes, mais aussi comme personnes sociales. »

 « Notre vision est d’avoir des sports accessibles à tous. Avant l’âge de 12 ans, il faut s’amuser en faisant du sport. On ne se concentre donc pas sur le gagnant avant cet âge et on met plutôt l’accent sur l’intégration des enfants dans nos 11 000 clubs sportifs locaux. » – Tom Tvedt, président du Comité olympique norvégien. (The Guardian)

 Dans le cadre de nos recherches et de nos expériences comme entraîneurs et parents, nous avons vu des aspects très différents de l’approche norvégienne. À titre d’exemple, voici une anecdote d’un parent en réponse à un ancien billet de blogue sur le fait d’être retranché d’une équipe :

Je viens de lire votre billet de blogue et je voulais vous parler de l’expérience de mon fils lors d’un camp de sélection. Mon fils a 8 ans (oui, seulement 8) et faisait partie d’une équipe de niveau 1. Son équipe était vraiment bonne, et après la saison, un camp de sélection a été tenu pour former l’équipe de la saison suivante. Le camp consistait en deux séances d’une heure. À la fin de la deuxième journée, tous les joueurs ont été appelés à former un cercle autour des entraîneurs. Si un joueur était sélectionné dans l’équipe, on l’appelait et lui donnait un document à remettre à ses parents pour l’inscrire. Après que tous les documents ont été distribués, on a dit aux autres qu’ils ne feraient pas partie de l’équipe. Quelques garçons de l’équipe de mon fils n’ont pas été sélectionnés. Ils sont restés assis là pendant que leurs anciens coéquipiers criaient de joie. Je n’ai pas aimé voir ça.

En tant que professionnels de l’éducation physique qui ont pratiqué et entraîné le sport à divers niveaux, nous grimaçons lorsqu’on entend des histoires comme celle-là sur le sport canadien. Les problèmes actuels liés à la participation et à l’engagement dans le sport chez les jeunes (p. ex. abandon du sport [Crane et Temple, 2015]; diminution de la participation sportive pendant l’adolescence [Zimmerman-Sloutskis, Zimmerman et Martin, 2010]; spécialisation sportive [Jayanthi et coll., 2013]) nous ont amenés à entreprendre un programme de recherche qui comprend jusqu’à maintenant : des sondages auprès de plus de 1 600 entraîneurs et directeurs sportifs (écoles primaires et secondaires); 52 entrevues avec de jeunes athlètes (âgés de 13 à 18 ans) qui n’ont pas été sélectionnés dans une équipe et leurs parents; une étude de cas concernant le sport « repensé » dans une école secondaire; et une recherche sur de nouveaux modèles sportifs qui visent à accroître la participation et à garder les enfants aussi actifs que possible. Le présent article donne des stratégies pour améliorer les pratiques de non-sélection et propose de nouveaux modèles sportifs pour accroître la participation des jeunes au sport.

Atténuer la déception après avoir été retranché d’une équipe

Les résultats de nos recherches confirment que le fait de ne pas être choisi dans une équipe est blessant (Gleddie, Sulz, Humbert et Zajdel, sous presse) et a des conséquences émotionnelles, sociales et physiques négatives. Les athlètes perdent des amis et sont forcés de se trouver de nouveaux cercles sociaux. Ils remettent en question leur propre identité et peuvent se sentir perdus et à la dérive. De toute évidence, leur estime de soi est ébranlée. Le temps consacré à l’activité physique est réduit – ne pas faire partie d’une équipe signifie qu’il n’y a plus d’entraînements ni de matchs. Le fait de ne pas être sélectionné dissuade également les athlètes de participer au même sport à l’avenir en raison de la faible perception qu’ils ont de leurs capacités dans ce sport. De plus, lorsqu’aucune rétroaction précise n’est fournie sur les raisons pour lesquelles un athlète a été retranché, celui-ci a tendance à penser que ses habilités sont faibles et que son futur est voué à l’échec. Les mêmes résultats se produisent lorsque les athlètes reçoivent des commentaires sur des éléments qu’ils ne peuvent pas changer, comme ne pas être assez grand.

Quatre facteurs peuvent être appliqués par les entraîneurs pour améliorer l’expérience des athlètes qu’ils ne sélectionnent pas dans l’équipe :

  • Instantanéité: Ne les faites pas attendre! Communiquez une date à laquelle les décisions relatives à la sélection des membres l’équipe seront prises, le plus vite possible après le camp de sélection. Certains athlètes ont indiqué qu’ils rafraîchissaient leur boîte de courriels toutes les quelques minutes pendant des jours ou qu’ils attendent près du téléphone pour recevoir l’appel de l’entraîneur.
  • Intimité: Ne leur annoncez pas la nouvelle devant tout le groupe. Fixez un moment pour tenir des rencontres en personne si possible ou, à tout le moins, des appels téléphoniques personnels pour parler aux athlètes dans un endroit privé. Évitez d’afficher une liste que tout le monde peut voir ou lire les noms à haute voix devant les autres.
  • Encouragement : Donnez des options pour continuer à s’améliorer dans le sport. Aidez les athlètes à surmonter leur déception en les mettant en contact avec d’autres possibilités de jeu (p. ex. organismes communautaires, camps sportifs, ligues de loisirs et possibilités de transition vers d’autres sports).
  • Attentes : Soyez clair et franc sur ce que vous recherchez et sur le processus de sélection de l’équipe. Partagez cette information, de même que le calendrier et les méthodes de communication avec les athlètes et les parents avant le camp de sélection.

De plus, les athlètes nous ont dit que la meilleure façon de les aider à faire face aux coupures est de fournir des raisons claires lors d’une rencontre en personne. Voici des conseils pour ces rencontres :

  • Présentez d’abord le résultat : Ne tournez pas autour du pot. Commencez la rencontre avec une phrase du genre « Je suis désolé de t’informer que tu n’as pas été sélectionné dans l’équipe. » Les athlètes se concentrent sur la nouvelle à savoir s’ils font partie de l’équipe ou non. Jusqu’à ce que vous leur disiez, ils ne retiendront rien de ce que vous leur dites.
  • Expliquez-leur pourquoi : Donnez à l’athlète de l’information sur les raisons pour lesquelles il n’a pas été choisi, soit des explications précises et personnelles. Évitez les commentaires génériques comme « Il y avait beaucoup de bons joueurs qui occupaient la même position que toi. » Cela semble impersonnel à l’athlète et ne fournit pas une explication claire de la décision.
  • Donnez de la rétroaction pratique : Mentionnez aux athlètes les éléments qu’ils peuvent réellement améliorer. Évitez les commentaires auxquels on ne peut pas donner suite (p. ex. « Tu n’es pas assez grand. ») et indiquez des compétences ou des attributs particuliers à améliorer (p. ex. « Travaille ton habileté à manipuler le ballon. »).
  • Faites un rapport écrit : Éliminez les mauvaises communications ou les perceptions erronées de ce qui a été dit lors de la discussion en tête-à-tête en fournissant une rétroaction écrite. Les athlètes oublient souvent ou interprètent mal ce qui a été discuté en réunion. Les commentaires sur papier aideront les athlètes à interpréter l’information et à s’en souvenir, ainsi qu’à partager correctement ce qui a été dit avec les parents.
Repenser le sport pour les enfants et les jeunes

Récemment, le Canada a reçu une note décevante de « D+ » sur le plan de l’activité physique (Bilan 2018 de ParticipACTION). En effet, seulement 35 % des jeunes de 5 à 17 ans respectent les lignes directrices recommandées d’un minimum de 60 minutes d’activité physique modérée à vigoureuse par jour. La participation au sport organisé a reçu une meilleure note de « B », avec 77 % des jeunes de 5 à 17 ans participant à des activités physiques ou sportives organisées. Nous croyons que le sport canadien peut faire encore mieux. Dans le cadre de nos recherches, nous avons constaté que des enseignants et des entraîneurs adoptent une gamme d’approches novatrices qui changent l’état d’esprit typique d’athlètes non retenus ou qui restent sur le banc pour adopter plutôt un modèle de développement de l’athlète axé sur l’éducation. Voici quelques exemples (dont certains font actuellement l’objet de nouvelles recherches) :

  • Modèle de sport à trois niveaux (Manitoba) – Les étudiants sont répartis selon leurs habiletés et placés dans l’une des trois équipes de qualité égale. Le niveau 1 représente des équipes scolaires qui compétitionnent avec d’autres écoles. Les équipes des niveaux 2 et 3 s’entraînent et organisent des compétitions inter-équipes. L’un des meilleurs aspects de ce modèle est que si un étudiant-athlète s’améliore, il peut gravir les échelons pour s’assurer qu’il est au niveau qui correspond à ses capacités.
  • Tout le monde joue (Alberta) – Dans ce modèle, toute personne intéressée à jouer a essentiellement la possibilité de jouer. Bien que la logistique associée à cette approche puisse être lourde, les écoles sont en train de la mettre en œuvre. Une école secondaire de premier cycle a accepté que plus de 100 élèves jouent au basketball. Les équipes s’entraînent le matin, le midi et après l’école. L’école et le personnel ont créé un environnement où les enseignants-entraîneurs sont valorisés et soutenus et veulent entraîner. Un modèle semblable selon lequel les programmes de sports scolaires incluent tous les enfants qui veulent pratiquer un sport a également connu du succès en Ontario.
  • Plus d’équipes (Saskatchewan) – Dans ce modèle, même si les élèves peuvent encore être retranchés d’une équipe sportive, les écoles ont créé deux équipes plutôt qu’une pour la 9e et 10e année, ce qui a permis ainsi à un plus grand nombre d’enfants de jouer. Une équipe (l’équipe bleue) est composée de joueurs plus avancés, tandis que l’autre équipe (l’équipe verte) est composée de joueurs débutants. Lors des compétitions interscolaires, l’équipe verte d’une école affronte celle d’une autre école, et les équipes bleues s’affrontent entre elles, ce qui assure une compétition équilibrée et propice au développement.
Changer la culture

Notre objectif en tant qu’entraîneurs et chercheurs est de garder le plus grand nombre possible de jeunes qui participent au sport. Pour atteindre cet objectif, il est important d’examiner de nouveaux modèles sportifs qui encouragent la participation sportive et l’engagement à long terme. Nous devons travailler ensemble sur tous les plans (écoles, communautés, clubs et élite), avec tous les intervenants (parents, organismes de sport, gouvernement, chercheurs, entraîneurs et surtout les enfants) pour réussir ce qui suit :

  • Mettre l’accent sur le développement des athlètes : Faire en sorte que le sport soit d’abord axé sur le développement – les victoires et les podiums viendront plus tard, s’il y a lieu. Faire du Canada un pays où le sport pour tous fait partie de notre culture collective.
  • Arrêter de soutenir la spécialisation précoce : Permettre aux enfants de pratiquer plusieurs sports au cours de plusieurs saisons sportives (cessez le hockey à longueur d’année!). Les administrateurs sportifs peuvent contribuer à cette mesure en élaborant et en appliquant une politique qui favorise la participation multisports (politique qui réglemente la durée de jeu, la saison de jeu et le financement des sports). Les entraîneurs peuvent quant à eux faire la promotion des avantages de la participation multisports et en évitant de surcharger leur équipe. Pour leur part, les parents peuvent éviter d’organiser trop d’activités pour leurs enfants, encourager la pratique de plusieurs sports et activités, et sortir jouer avec leurs enfants.
  • Envisager de repenser le sport pour qu’il soit disponible pour tous : Les sports d’élite peuvent certainement rester, mais nous devons encourager les niveaux de participation et développer une grande base d’enfants sportifs qui deviendront des adultes sportifs.
  • Assurer la collaboration entre les organismes : Les organismes doivent cesser de se battre pour avoir exclusivement des athlètes et permettre à ceux-ci de pratiquer de multiples sports (p. ex. le sport scolaire et le sport de club). Ils doivent promouvoir la collaboration entre les sports et les organismes de sport et permettre aux athlètes de manquer une pratique ou deux pour essayer un sport différent ou à un autre niveau ou dans une autre organisation (voir le point ci-dessus sur la spécialisation précoce).
  • Envisager des solutions de rechange à la non-sélection d’athlètes : Penser aux effets de la non-sélection d’athlètes dans un programme afin de mettre en œuvre les recommandations susmentionnées pour atténuer la déception. Plus important encore, on doit se demander si le programme en question doit réellement retrancher des athlètes. Nous sommes conscients qu’il y a parfois des raisons logistiques (temps, personnes, espace) qui font en sorte que les programmes doivent réduire leur nombre d’athlètes, mais ne nous en servons pas pour refuser aux enfants des occasions de jouer.

Ensemble, nous pouvons faire en sorte que le Canada devienne le meilleur pays au monde pour que les enfants pratiquent un sport.

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