Introduction et contexte
On constate depuis une vingtaine d’années un intérêt grandissant envers les approches de sélection et de dépistage des talents fondées sur les données. De telles approches sont souvent associées au dépistage précoce d’athlètes « talentueux », qui repose sur la prémisse qu’il faut assurer le développement de ces jeunes (p. ex. en leur offrant des possibilités d’entraînement avancé, de participation à des compétitions) pour augmenter la probabilité qu’ils atteignent tout leur potentiel. Si le dépistage précoce peut être un avantage stratégique pour les organisations sportives (p. ex. meilleure attribution des ressources, reconnaissance rapide des jeunes athlètes et soutien de ces derniers), il peut également donner lieu à des problèmes. Selon les données, les taux de précision des prévisions du potentiel athlétique sont faibles. Malgré l’essor des approches fondées sur des données probantes pour la sélection des athlètes, nous en savons très peu sur la manière dont les entraîneurs prennent leurs décisions lors de la sélection. À cette fin, ce projet de recherche a exploré : a) les conceptualisations du talent par les entraîneurs (qu’est-ce que c’est?); b) les processus, stratégies et pratiques auxquels les entraîneurs ont recours lors de la prise de décisions en vue de la sélection des joueurs (comment le talent est-il évalué et mesuré?).
Méthodes
La première phase de cette recherche s’est concentrée sur un petit groupe (n=10) d’entraîneurs de course de fond (distances de 5 km, 10 km, 21 km, 42 km) à différents niveaux de compétition (p. ex. développement, club de compétition, niveaux collégial, provincial et national). La course de fond a été choisie pour plusieurs raisons : i) les décisions de sélection reposent sur un nombre relativement restreint des principaux indicateurs de performance (principalement le temps de parcours); ii) il s’agit d’un sport individuel, ce qui permet d’éliminer les décisions reposant sur les positions des joueurs (défensives ou offensives), ou la dynamique de groupe que l’on observe souvent dans les sports d’équipe (p. ex. le choix d’un motivateur, d’un leader, d’un défenseur, etc.); iii) étant donné que l’âge du rendement maximal pour les coureurs de fond est relativement tardif (Allen et Hopkins, 2015), les indicateurs de talent peuvent être suivis plus longtemps et pendant les périodes plus stables de la vie d’un athlète (p. ex. la performance ne devrait pas être perturbée par des questions telles que « l’effet de l’âge relatif »; Wattie, et coll., 2015). Enfin, cet échantillon parachève celui des travaux antérieurs qui comptait davantage de participants à des sports d’équipe (Jones et coll., 2020).
La deuxième phase comportait une étude de cas menée dans l’optique de la recherche-action, l’objectif premier étant d’élaborer une approche pouvant être appliquée dans la pratique, tout en contribuant au milieu de la recherche sur les moyens d’y parvenir. Ainsi, cette étude de cas visait à : a) construire une approche; b) en faire l’essai; c) rendre compte de l’approche élaborée pour évaluer le comportement des personnes chargées de la sélection des athlètes. Si une approche s’avérait précise (c’est-à-dire représentative) et sensible (c’est-à-dire capable de cerner des différences subtiles dans le comportement lié à la sélection) lors de l’évaluation de la prise de décision des personnes chargées de la sélection, une meilleure compréhension de la cognition humaine, des préférences, des motivations et des préjugés pourrait être dégagée.
Principales constatations et répercussions
En définitive, ce programme de recherche a mis en évidence la nature complexe de la mesure, de l’évaluation et de la sélection des « talents » dans le domaine du sport. Ces processus semblent fortement liés au sport et au contexte et sont difficiles à susciter dans le cadre de modèles contrôlés/expérimentaux et à atténuer au moyen de l’éducation. En particulier, l’extension d’un modèle expérimental simpliste issu de la recherche dans le domaine de la musique n’a pu être appliquée dans le sport, en raison de la nature plus complexe de la sélection dans ce contexte.
Points forts et limites
Ce travail présente plusieurs points forts. L’accent mis sur un seul sport (la course de fond) a permis d’atténuer les facteurs contextuels susceptibles d’entraver une compréhension approfondie de la psychologie de la sélection. En outre, l’approche patiente et à long terme du développement de l’interface utilisateur au cours de la deuxième phase nous a permis de tester le potentiel des modèles expérimentaux pour susciter des biais de sélection et des processus de prise de décision. Les limites de ce travail comprennent une généralisation limitée des résultats des entretiens au-delà de la course de fond dans le contexte canadien, et des résultats expérimentaux au-delà du rugby au Royaume-Uni.
Conclusions et prochaines étapes
Ces travaux donnent à penser que la sélection dans le sport est l’une des tâches les plus compliquées que l’on puisse demander à des évaluateurs humains d’entreprendre. Cela dit, nous continuons à explorer les moyens d’évaluer la prise de décision d’une manière valable sur le plan écologique.