Regarder en arrière pour aller de l’avant : 50 ans de sport féminin canadien

Championnats de natation U SPORTS 2020 au Saanich Commonwealth Place, Victoria, BC, février 2020 (Photo : U SPORTS)

Si l’on considère les 50 dernières années de sport féminin au Canada, il est étonnant de constater à quel point nous avons progressé pour assurer l’équité, la stabilité et les possibilités dans le sport. Ce n’est pas nécessairement le cas dans tous les aspects du sport, mais certainement dans beaucoup d’entre eux. 

Par exemple, il y a 50 ans, le soccer féminin était quasiment inexistant au Canada, même si l’on pouvait observer des signes d’un intérêt croissant chez les enfants et les jeunes (Hall, 2004). Des équipes de filles ont commencé à se former à la fin des années 1960, ce qui a eu pour effet immédiat d’attirer les mères qui ont par la suite développé un intérêt pour le jeu en devenant responsables d’équipes et gestionnaires de ligues. Tout au long des années 1970 et 1980, les occasions pour les filles de jouer au soccer ont continué à proliférer au Canada. 

À l’été 2023, le Canada a participé pour la huitième fois à la Coupe du monde féminine de la FIFA. Cette participation fait suite à la médaille d’or remportée par l’équipe nationale féminine canadienne aux Jeux olympiques de Tokyo en 2020. En 2022, Canada Soccer a indiqué que sur 575 768 jeunes joueurs dans le pays, 38 % étaient des femmes. De nos jours, le soccer demeure le sport qui connaît la plus forte croissance chez les jeunes Canadiens (Canada Soccer, 2022).  

La croissance phénoménale du soccer féminin au Canada n’est qu’un exemple de l’évolution significative du sport féminin au cours des cinq dernières décennies. 

Il n’est pas possible de couvrir tous les aspects du sport féminin entre 1973 et 2023 dans ce court article. J’ai plutôt choisi d’examiner des thèmes qui sont importants et qui requièrent encore notre attention et notre diligence, à savoir le féminisme, le leadership, le sport professionnel et, enfin, le sport sécuritaire et inclusif. D’autres auraient pu choisir des sujets différents. 

Le féminisme et les femmes dans le sport 

Quel a été le rôle du féminisme, défini au sens large comme la croyance en la pleine égalité sociale, économique et politique des femmes, à stimuler le changement dans le sport féminin canadien au cours des 50 dernières années ? Bien que le féminisme de la deuxième vague soit apparu au Canada dans les années 1960, il n’a pas eu d’impact significatif sur le sport avant les années 1970, lorsqu’il est devenu évident que si les femmes n’agissaient pas, elles seraient régulièrement mises à l’écart.  

Membres fondateurs de l’Association canadienne pour l’avancement des femmes et du sport (ACAFS), 1981 (Photo : ACAFS, aujourd’hui appelée Association canadienne Femmes et Sport)

De plus, d’un point de vue féministe, le monde du sport était souvent considéré comme masculin, compétitif et non essentiel à l’effort général d’amélioration du statut des femmes au Canada. La situation a changé en 1981 avec la création de l’Association canadienne pour l’avancement des femmes et du sport (ACAFS), qui offre un espace féministe et sécuritaire pour aborder des sujets controversés et difficiles, comme l’homophobie dans le sport féminin. L’établissement du programme du gouvernement fédéral pour les femmes dans le domaine de la condition physique et du sport amateur a également joué un rôle important. Pour en savoir plus à ce propos, voir Demers, Greaves, Kirby, & Lay, 2014. 

Plus de 50 ans après l’entrée du féminisme de la deuxième vague dans la conscience canadienne, il y a lieu de se poser la question suivante : le féminisme est-il encore un facteur déterminant pour faire évoluer le système sportif ? 

L’ACAFS, par exemple, a changé de nom en 2020 pour devenir Femmes et Sport au Canada, et utilise le plus souvent l’expression “égalité des sexes” dans sa politique et son matériel promotionnel. Au cours des dernières années, plusieurs études parlementaires et gouvernementales ont été réalisées et ont donné lieu à des rapports concernant les femmes et les filles canadiennes dans le sport. Il s’agit notamment du rapport du gouvernement du Canada intitulé Mobilisation active : Politique concernant le sport pour les femmes et les filles (2009) et le rapport sur les femmes et les filles dans le sport du Comité permanent du patrimoine canadien (2017). 

Le rapport le plus complet, publié en 2018, est le résultat du Groupe de travail du Comité fédéral-provincial/territorial du sport (CFPTS) sur les femmes et les filles dans le sport. Il présente une série de résultats et de mesures de responsabilisation qui, si elles sont respectées, devraient aboutir à ce que “toutes les femmes et les filles sont représentées, reconnues et servies de façon égale et équitable dans tous les aspects du sport canadien” (Groupe de travail du CFPTS sur les femmes et les filles dans le sport, 2018, p. 14). 

Ces études et rapports fournissent une multitude d’informations utiles, notamment sur la manière de faire évoluer le sport pour les filles et les femmes. Cependant, il n’est pas évident de savoir qui s’assure que les recommandations sont suivies et appliquées. 

Les femmes dans le leadership sportif

Au-delà de la participation, les femmes ont progressé en matière de leadership au sein du secteur sportif canadien. L’impact des dirigeantes a joué un rôle essentiel dans la promotion de l’égalité des sexes dans la gouvernance du sport. 

Depuis 1961, le Canada a connu 34 ministres fédéraux responsables du sport et de l’activité physique, dont 10 femmes, et la moitié d’entre elles ont été nommées au cours des 16 dernières années. 

Les dernières statistiques sur le leadership dans les organismes de sport financés par le gouvernement fédéral au Canada sont encourageantes. Un aperçu des organismes nationaux de sport (ONS), des organismes de services multisports (OSM) et des instituts canadiens du sport (ICS), soit 90 organismes au total, a montré que les femmes représentaient 41 % des membres des conseils d’administration, 38 % siègent en tant que présidente d’un conseil d’administration et 47 % occupent un poste de PDG. Les OSM comptent le plus haut pourcentage de présidentes-directrices générales (62 %) alors que les ICS comptent le plus bas pourcentage (29 %) (Femmes et sport au Canada, 2022).  

Des statistiques similaires datant du début des années 1980 montraient que les femmes représentaient environ un tiers du secteur sportif bénévole et seulement 26 % du secteur professionnel (direction générale, direction technique, coordination de programmes et entrainement au niveau national). Il y avait plus de femmes impliquées dans les OSM au niveau professionnel (47 %), mais elles ne représentaient que 18 % du secteur bénévole (Hall & Richardson, 1982, p. 63). Par conséquent, au cours des 40 dernières années, des progrès considérables ont été réalisés, mais il reste encore du chemin à parcourir pour parvenir à l’équité entre les sexes. 

Deux femmes participant à un combat de lutte (Photo : U SPORTS)

En ce qui concerne les femmes entraîneurs, en particulier au niveau national, la situation n’est pas aussi prometteuse. Par exemple, sur les 131 entraîneurs canadiens présents aux Jeux olympiques d’été de 2020 à Tokyo, environ 18 % étaient des femmes, ce qui représente une baisse par rapport aux 20 % des Jeux olympiques d’été de Rio quatre ans plus tôt. Par ailleurs, 47 % des entraîneures paralympiques à Tokyo étaient des femmes. Il y a quarante ans, 60 % des femmes jouant dans une équipe universitaire canadienne étaient entraînées par un homme (Hall & Richardson, 1982, p. 62). Aujourd’hui encore, la plupart des entraîneurs universitaires sont des hommes, à l’exception des entraîneurs adjoints dans les équipes sportives féminines, des postes occupés majoritairement par des femmes (Finn, 2022). 

D’autres interventions sont nécessaires, comme l’Alberta Women in Sport Leadership Impact Program [Programme d’impact sur le leadership des femmes dans le sport en Alberta], en créant des possibilités équitables d’entraînement et de leadership (Culver, Kraft, Din et Cayer, 2019). Alors que les femmes continuent d’apporter des contributions exceptionnelles au secteur du sport au Canada, elles demeurent largement sous-représentées dans le domaine de l’entraînement. Toutefois, certains organismes comme l’Association canadienne des entraîneurs (ACE) s’efforcent d’aider un plus grand nombre de femmes à œuvrer dans ce domaine à tous les niveaux du sport par l’entremise de programmes de mentorat. 

Le sport professionnel féminin 

Il y a 50 ans, pour les femmes, les possibilités de décrocher un emploi rémunéré permanent et de faire carrière dans le sport étaient quasiment inexistantes. Le golf, le tennis et le patinage artistique étaient au mieux saisonniers, tandis que des sports comme le marathon, le roller derby et la course automobile offraient des possibilités limitées et semi-professionnelles. De plus, il y avait peu de possibilités pour les athlètes féminines de gagner de l’argent par le biais de parrainage et d’entreprises commerciales. En 1998, une étude parlementaire sur le sport au Canada, qui comportait une section importante sur le sport professionnel, ne mentionnait pas les femmes (Chambre des communes, 1998). En d’autres termes, le sport professionnel féminin était considéré comme sans importance.  

Bien qu’il ne soit toujours pas possible aujourd’hui pour la plupart des athlètes professionnelles canadiennes, à l’exception du tennis, du golf et peut-être du patinage artistique, de gagner leur vie exclusivement grâce à leur sport, des signes encourageants indiquent que cette situation va changer. En particulier dans les sports d’équipe comme le hockey sur glace et le soccer. 

Même si une étude récente soutient que le marché actuel du sport professionnel féminin au Canada est limité par le manque d’accès à des propriétés sportives professionnelles durables comme les ligues, les associations ou les équipes, cette situation change lentement (Femmes et sport au Canada, 2023). Par exemple, une nouvelle ligue professionnelle nord-américaine de hockey sur glace devrait voir le jour en janvier 2024, et l’on espère qu’une ligue professionnelle canadienne de soccer féminin verra le jour d’ici 2025. Canadian Tire a également annoncé une nouvelle initiative de plusieurs millions de dollars en faveur du sport féminin, réservant un minimum de 50 % de son budget de parrainage au sport féminin d’ici à 2026.  

Des événements plus médiatisés mettant en vedette des athlètes féminines professionnelles ont également contribué à l’essor du sport féminin. Par exemple, le 23 mai 2023, les équipes Chicago Sky et Minnesota Lynx de la Women’s National Basketball Association (WNBA) ont disputé le tout premier match d’exhibition de la WNBA au Canada, au Scotiabank Arena de Toronto. Ce match a fait salle comble et a suscité des discussions enthousiastes sur l’expansion de la WNBA à Toronto. 

Une semaine auparavant, également à Toronto, le sommet espnW, organisé par Canadian Tire, a rassemblé des “leaders de l’industrie, des influenceurs et des perturbateurs” du monde entier pour une session immersive d’une journée visant à repousser les limites, à susciter l’action et à provoquer le changement. Cette journée, à laquelle ont participé presque exclusivement des femmes, a été l’occasion d’une discussion et d’une réflexion intéressantes sur les progrès et les possibilités pour les femmes dans le sport, le leadership et les affaires (espnW Summit Canada, 2023). L’accent a également été mis sur le potentiel du sport d’équipe professionnel féminin au Canada. 

Bien que ces investissements soient encourageants et nécessaires, la couverture médiatique sous ses diverses formes est également essentielle au développement et à la croissance continus du sport professionnel féminin au Canada. Bien que la situation se soit améliorée au cours des 50 dernières années grâce au hockey et au soccer féminins, il existe toujours un déséquilibre important entre la couverture médiatique des sports masculins et celle des sports féminins. 

Un sport sécuritaire et inclusif 

Au début des années 1980, l’attitude à l’égard des abus sexuels dans les institutions sociales canadiennes est passée du silence à l’examen minutieux, à la réconciliation et à la punition, ce qui a encouragé les chercheurs à étudier le problème dans le sport et les journalistes à dresser le profil des cas et des incidents connus, en particulier dans le sport féminin (voir, par exemple, Kirby, Greaves et Hankivsky, 2000, et Robinson, 2002). 

Deux femmes en compétition de basket-ball en fauteuil roulant (Photo : Basket-ball en fauteuil roulant Canada)

En 1996, tous les ONS bénéficiant d’un financement fédéral étaient tenus d’élaborer une politique en matière de harcèlement, de traiter les plaintes et de présenter un rapport annuel à Sport Canada comme condition de leur financement. Cependant, 20 ans plus tard, il est apparu clairement que cette politique d’autocontrôle ne fonctionnait pas. En 2022, cette situation a suscité une nouvelle vague d’activisme de la part des athlètes qui a abouti à la création du Bureau du commissaire à l’intégrité dans le sport chargé d’administrer le Code de conduite universel pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport. 

Seul le temps nous dira si ces nouveaux mécanismes sont suffisants pour mettre fin aux abus. Au fond, et comme l’a dit un chercheur : “Le mouvement pour un sport sans danger vise à optimiser l’expérience sportive pour tous — athlètes, entraîneurs, gestionnaires sportifs, officiels, personnel de soutien et autres personnes présentes dans l’environnement sportif (Kerr, 2021).

Non seulement le sport doit être sécuritaire, mais il doit aussi être inclusif.  

Selon les données du dernier recensement, plus de la moitié de la population canadienne (50,9 %) s’identifie en tant que femme. Un Canadien sur quatre s’identifie comme PANDC (personnes autochtones, noires et de couleur) et 1,7 million d’entre eux s’identifient comme autochtones. De plus, selon les différentes sources de données, entre 3 % et 13 % des Canadiennes et Canadiens s’identifient comme LGBTABI (lesbienne, gai, bisexuel, transsexuel, allosexuel, bispirituel, intersexué).  

La population canadienne d’aujourd’hui, comparée à celle d’il y a 50 ans, comprend des individus plus diversifiés avec des identités intersectionnelles. En réalité, les personnes à faible revenu et racialisées, les minorités ethniques et religieuses, les nouveaux arrivants, les minorités sexuelles et les jeunes en situation de handicap sont ceux qui s’impliquent le moins dans le sport ou qui y prennent le moins de plaisir. Cela est particulièrement vrai pour les adolescentes (Pegoraro & Moore, 2022 ; Hagger & Giles, 2022). La diversité, l’équité et l’inclusion dans le sport canadien signifient que tous les individus doivent être traités avec dignité et respect, et que chacun a un accès égal aux possibilités et aux ressources. 

Conclusion  

D’ici 2035, le gouvernement du Canada s’est engagé à réaliser l’égalité des sexes dans le sport canadien à tous les niveaux. À mon avis, il est peu probable que cela se produise sans un effort de collaboration entre les gouvernements et les organisations qui se consacrent à l’amélioration du sport féminin. Par exemple, l’Association Canadienne Femmes et Sport s’associe à des organismes sportifs, à des gouvernements et à des dirigeants pour améliorer le sport grâce à l’égalité des sexes. Sa vision est de créer un système Canadien de sport et d’activité physique équitable et inclusif qui donne du pouvoir aux filles et aux femmes – en tant que participantes actives et dirigeantes – dans et par le sport. Il reste à voir si, dans un peu plus d’une décennie, l’égalité des sexes aura été atteinte dans le sport Canadien.

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