Faits saillants
- Si l’objectif est un engagement sain et à vie dans le sport, la participation des enfants et des jeunes à une variété d’activités, y compris le jeu non structuré, est plus logique qu’une spécialisation précoce.
- Les recherches montrent que la spécialisation précoce dans le sport est liée à une probabilité accrue de blessures, d’épuisement et d’abandon.
- Le développement de l’athlète comprend des facteurs sociaux, culturels et génétiques qui s’entrecroisent. Des recherches supplémentaires sont donc nécessaires pour mieux comprendre les parcours des athlètes et leurs résultats à long terme.
Quelle est la meilleure voie vers le podium? Telle est la question qui sous-tend le débat entre la spécialisation précoce et la diversification. S’appuyant sur l’exemple de certains champions bien connus comme Tiger Woods ou les sœurs Williams, le camp de la spécialisation précoce soutient qu’un début précoce dans le sport principal de l’athlète est essentiel au développement de compétences de haut niveau et de capacités tactiques, c’est-à-dire la capacité à « lire le jeu ». Le camp de la diversification précoce (parfois appelée « échantillonnage de sports » ou « multisports ») se penche sur l’incidence élevée des blessures de surutilisation, de l’épuisement et de l’abandon chez les spécialistes précoces, et appelle à la fin de la spécialisation précoce. Ils citent les nombreux champions qui sont arrivés tardivement à leur sport principal, comme Steve Nash ou Clara Hughes, comme de meilleurs exemples de la manière d’atteindre le sommet.
Qu’est-ce qui est correct? Que disent les dernières recherches? Et si nous ne visons pas le podium mais plutôt une participation saine tout au long de la vie, la spécialisation précoce a-t-elle un sens? Sur la base d’un examen complet de 139 publications de recherche, cet article présente les dernières données probantes pour aider à répondre à ces questions.
Comprendre la spécialisation précoce, l’engagement précoce et l’approche multisports
Les jeunes athlètes suivent généralement l’une des trois voies suivantes : spécialisation précoce dans un seul sport, participation à plusieurs sports et activités avec une spécialisation ultérieure, ou une combinaison hybride associant un sport de prédilection précoce à une participation continue à d’autres activités.
La spécialisation est un entraînement intense, tout au long de l’année, dans un seul sport, à l’exclusion d’autres sports (Jayanthi et coll., 2013). La spécialisation est normale chez les athlètes seniors de haut niveau, mais elle est également courante chez les jeunes athlètes qui aspirent à la haute performance. La spécialisation précoce fait référence aux enfants qui s’engagent exclusivement dans un sport au début ou au milieu de l’école primaire, c’est-à-dire entre 6 et 10 ans (Jayanthi et coll. 2013).
Une approche multisports diffère de la spécialisation précoce en ce sens que l’enfant participe à plusieurs sports et activités physiques et ne passe pas la majeure partie de son temps dans un seul sport. Le nombre et le type de sports diffèrent largement d’un athlète à l’autre et ne sont pas uniformes dans les études de recherche. Par exemple, les « années d’échantillonnage » du modèle de développement de la pratique sportive comprennent la participation à plusieurs sports et l’accent mis sur le « jeu délibéré ». Le jeu délibéré est défini comme des activités physiques de développement précoce qui sont intrinsèquement motivantes, procurent une gratification immédiate et sont spécifiquement conçues pour maximiser le plaisir, comme le hockey de rue ou le soccer dans la cour. (Cote et Abernethy, 2012).
Une troisième voie, appelée hypothèse de l’engagement précoce (Ford et coll. 2009; Hendry et Hodges 2018), a été identifiée plus récemment dans la littérature sur le développement des athlètes. L’hypothèse de l’engagement précoce est basée sur une entrée précoce dans le sport de spécialisation éventuel, combinée à la participation à d’autres sports et à des quantités relativement élevées de jeu délibéré. Cette approche pourrait réduire les nombreux risques associés à la spécialisation précoce, permettre le développement de compétences fondamentales spécifiques et éviter les « barrières politiques et sociales » qui peuvent décourager l’entrée tardive dans le sport principal (Hendry et Hodges 2018, p. 82).
En général, la spécialisation ou l’engagement précoce sont plus courants dans les sports où des compétences motrices très développées (comme le tennis ou le golf) ou une combinaison de compétences motrices et tactiques (comme le soccer ou le hockey) sont considérées comme essentielles. La spécialisation ou l’engagement précoce tendent également à être plus fréquents lorsqu’une capacité de développement précoce comme la souplesse est essentielle (par exemple, la gymnastique). Les points de vue traditionnels doivent être remis en question lorsqu’il est possible que les inconvénients l’emportent sur les avantages potentiels. Pour cela, nous nous tournons vers les recherches.
Ce que disent les preuves :
Quelle est la meilleure voie vers le podium : une spécialisation précoce, un engagement précoce ou une approche multisports? Il y a beaucoup plus en jeu que cela. Le développement de l’athlète est complexe. Les performances résultent d’une interaction complexe de multiples facteurs, notamment génétiques, sociaux et culturels. De plus, ces facteurs sont liés à la physiologie, à la psychologie et à d’autres caractéristiques. La réponse ne peut pas être réduite au fait que l’athlète suive une approche multisports, se spécialise tôt ou s’engage tôt dans un sport principal (Gibbons et coll. 2003; Gulbin et coll. 2010; Collins, MacNamara et McCarthy 2016; DenHartigh et coll. 2016).
La spécialisation précoce entraîne-t-elle un risque accru de blessures? La majorité des études établissent une corrélation entre la spécialisation précoce et une probabilité accrue de blessures, d’épuisement et d’abandon du sport (Carder et coll., 2020). Simplement, plus un athlète effectue un mouvement, plus la probabilité de blessure par surutilisation est élevée. Commencer tôt signifie plus de répétitions. Dans les sports à mouvement répétitif, comme le lancer au baseball, les joueurs professionnels qui se spécialisaient tôt avaient une probabilité plus élevée de se blesser de manière significative au cours de leur carrière (Wilhelm, Choi et Deitch, 2017). De même, les joueurs de la NBA qui étaient des athlètes multisports ont participé à plus de matchs, ont subi moins de blessures majeures et ont eu des carrières plus longues que ceux qui pratiquaient un seul sport. (Rugg et coll., 2018)
La spécialisation précoce mène-t-elle à l’épuisement et à l’abandon du sport? L’épuisement est un état psychologique qui s’accompagne d’une diminution du sentiment d’accomplissement, d’un épuisement physique et émotionnel et d’une diminution du désir de faire du sport. L’American Medical Society for Sports Medicine recommande l’approche multisports pour minimiser les blessures de surutilisation et l’épuisement qui y est lié (DiFiori et coll., 2014). L’épuisement peut mener à l’abandon (Fraser-Thomas, Cote et Deakin, 2007), ce qui peut être plus fréquent chez les femmes et les filles (Isoard-Gautheur et coll., 2015; Latorre-Román, Pinillos et Robles, 2018).
L’approche multisports permet-elle aux athlètes d’acquérir des compétences transférables? L’approche multisports chez les jeunes, jusqu’à l’âge de la puberté environ, semble aider les jeunes athlètes à développer une large base de compétences, qui peuvent être transférées à un sport de spécialisation ultérieur (Arede et coll., 2019). Le transfert de compétences peut dépendre du fait que l’expérience a été acquise dans des sports similaires. Dans une étude sur la prise de décision au soccer, les compétences acquises dans d’autres sports d’invasion semblaient être transférées, tandis que les compétences décisionnelles acquises au volleyball ne l’étaient pas (Causer et Ford, 2014). Le jeu délibéré (jeu non structuré et non supervisé) semble également important. Coutinho et coll. (2016) ont constaté que les joueurs hautement qualifiés avaient participé à davantage d’activités non structurées de jeu délibéré que leurs pairs moins qualifiés.
Les différents types de sport nécessitent-ils des parcours différents? C’est probable, surtout dans les sports où la performance se mesure en centimètres, en grammes ou en secondes (par exemple, les sports de course comme la natation, le cyclisme et le canoë, ou les sports de force, notamment l’haltérophilie). Pour ces sports, Moesch et coll. (2011) ont constaté que la haute performance des adultes est le plus souvent le résultat d’une spécialisation tardive (post-puberté) combinée à une approche multisports antérieure.
Dans les sports exigeant un haut degré d’habileté technique ou d’habileté tactique, ou une combinaison des deux, y compris de nombreux sports d’équipe, la haute performance à l’âge adulte semble être améliorée par un engagement précoce à la fin de l’enfance, avant la puberté (apprendre à s’entraîner), ainsi que par la participation à une gamme d’autres sports et activités physiques. Par exemple, parmi les jeunes joueurs de soccer d’une académie écossaise, moins de 10 % de l’échantillon s’est spécialisé uniquement dans le soccer dès l’enfance et aucun spécialiste précoce n’a progressé jusqu’au niveau adulte-professionnel. Cependant, le soccer était le sport majoritaire dès la petite enfance pour presque tous les joueurs (Hendry et Hodges, 2018).
Dans les sports qui se spécialisent traditionnellement tôt, notamment les sports artistiques et acrobatiques, il faut faire très attention à ce que le jeune athlète ne s’engage pas dans des mouvements répétitifs excessifs. Au lieu de cela, ils devraient également participer à un éventail d’autres sports et activités. Il est également important de surveiller et d’éviter les facteurs qui peuvent conduire à l’épuisement.
Mais qu’en est-il de tous les spécialistes précoces qui sont devenus des champions nationaux ou mondiaux juniors? Étaient-ils sur la mauvaise voie? Gullich, Macnamara et Hambrick (2021) le pensent. Le titre de leur article le dit clairement : « Qu’est-ce qui fait un champion? Une pratique multidisciplinaire précoce, et non une spécialisation précoce, prédit une performance de classe mondiale. » Leur analyse de 51 articles de recherche a montré que les adultes qui sont des athlètes de classe mondiale étaient impliqués dans plus de pratique multisports pendant l’enfance et l’adolescence, ont commencé leur sport principal plus tard, ont accumulé moins de pratique du sport principal et ont initialement progressé plus lentement que les athlètes de classe nationale. Cela signifie que les athlètes seniors de classe mondiale qui ont commencé leur sport principal tôt et se sont spécialisés sont l’exception, pas la règle.
La spécialisation précoce peut contribuer à la haute performance chez les jeunes. L’analyse de Gullich, Macnamara et Hambrick (2021) a également révélé que les jeunes athlètes les plus performants ont commencé à pratiquer leur sport principal plus tôt, se sont engagés dans plus de pratique de leur sport principal mais dans moins de pratique d’autres sports, et ont eu une progression initiale plus rapide que les jeunes athlètes moins performants. Alors, voulons-nous des jeunes champions ou des champions adultes?
Principaux points à retenir pour les organisations sportives, les entraîneurs, les parents et les tuteurs
- La spécialisation précoce n’a aucun sens si nous ne visons pas le podium mais plutôt une participation saine tout au long de la vie. L’idée d’une spécialisation précoce repose sur l’exemple de quelques champions exceptionnels bien connus qui se sont spécialisés très tôt. Si nous ne visons pas le podium, sur la base des preuves de blessures, d’épuisement et d’abandon, alors la spécialisation précoce n’a aucun sens. Le meilleur conseil pour un athlète pré-pubère est de l’aider à faire l’expérience d’une variété de sports et d’activités, y compris des jeux non structurés, et de lui permettre de graviter vers le sport de son choix. Portez une attention particulière au développement holistique et multilatéral, au repos approprié et au fait de décourager les athlètes de faire des mouvements répétitifs excessifs.
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Les parents, les tuteurs, les entraîneurs et les organisations sportives devraient être plus conscients des risques d’une spécialisation précoce. Ils doivent résister à la tentation d’obtenir un avantage à court terme en se spécialisant plus tôt ou en laissant l’effet de l’âge relatif (sélection du jeune le plus grand ou le plus rapide, alors qu’il s’agit d’effets temporaires dus à une date de naissance plus précoce) influencer la sélection des athlètes. Dans la plupart des cas, que le jeune athlète atteigne ou non la haute performance (par exemple, champion national junior, sélection aux championnats du monde junior), la spécialisation précoce peut raccourcir la carrière sportive de cet athlète.
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Les programmes de sport pour les jeunes enfants devraient aider à développer diverses aptitudes au mouvement et au jeu au lieu de se concentrer sur un seul sport. En d’autres termes, qu’il s’agisse d’un programme de natation, de baseball, de soccer ou de gymnastique, les programmes destinés aux enfants au stade « S’amuser grâce au sport » du développement à long terme (vers 6 à 9 ans) devraient inclure une variété de jeux et de mouvements non spécifiques. Cela aiderait les enfants et réduirait la pression exercée sur les parents et les tuteurs pour les inscrire à de multiples sports différents.
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Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour savoir si l’approche multisports entraîne une meilleure rétention et une plus longue participation au sport. Si la spécialisation précoce peut prédisposer les athlètes à des blessures, à l’épuisement et à l’abandon, il ne s’ensuit pas automatiquement que l’approche multisports entraîne une rétention à long terme. De nombreux autres facteurs entrent en jeu dans la décision de rester dans le sport ou de l’abandonner.
On dit souvent que sans participation, il ne peut y avoir de haute performance. Il est tout aussi vrai que si les jeunes participants ne restent pas dans le sport (en bonne santé, heureux, engagés et enthousiastes), il ne peut y avoir de haute performance. La recherche montre clairement les risques d’une spécialisation précoce et les avantages d’une participation multisports et multi-activités. Notre défi comporte deux volets. Le premier consiste à faire de la diversification une option facile et abordable pour les parents, les tuteurs, les entraîneurs et les organisations sportives. Le second consiste à soutenir une culture sportive qui permette à chaque athlète de rester dans le sport suffisamment longtemps pour réaliser son potentiel et ses rêves.