L’année 2018 s’avère déjà une année passionnante notamment en raison de quatre grands jeux internationaux : les Jeux d’hiver de l’Arctique dans la région du Slave Sud des Territoires du Nord-Ouest (du 18-24 mars 2018), au Canada; les Jeux olympiques et les Jeux paralympiques d’hiver (du 9-25 février et du 9-18 mars 2018) à Pyeongchang, en Corée du Sud; et les Jeux du Commonwealth sur la Gold Coast, en Australie (du 4-15 avril 2018). Le SIRC s’est entretenu individuellement avec les quatre chefs de mission de ces Jeux pour discuter de divers éléments touchant le leadership. Le présent article du SIRCuit fait état de ces discussions.
SIRC : Le rôle du chef de mission est généralement d’être la tête de la délégation d’athlètes, d’entraîneurs et de membres du personnel. À quoi ressemblait ce poste en pratique?
Todd Nicholson, chef de mission de l’Équipe Canada, Jeux paralympiques d’hiver de 2018 : Pour les grands Jeux, le chef de mission a la liberté de créer sa propre vision pour l’équipe. Pour moi, il s’agissait d’une plateforme pour promouvoir et célébrer les athlètes paralympiques du Canada auprès des Canadiens et des Canadiennes. Les familles et les amis des athlètes à Pyeongchang ont pris ce message à cœur. L’atmosphère d’équipe à la Maison paralympique du Canada était incroyable; tout le monde encourageait les athlètes de l’Équipe Canada. J’ai régulièrement mis au défi nos commanditaires d’apprendre à connaître les athlètes et leurs histoires, et de réfléchir à la façon dont ils pourraient les soutenir pendant et après la compétition, par exemple sur le plan de leur emploi et de leur profil. J’ai également eu l’occasion de communiquer avec 25 à 30 écoles canadiennes pendant les Jeux paralympiques, ce qui leur a permis de mieux connaître les athlètes (et de mettre au défi mes propres connaissances!).
Isabelle Charest, chef de mission de l’Équipe Canada, Jeux olympiques d’hiver de 2018 : En tant que chef de mission aux Jeux olympiques, j’étais le visage de l’équipe et la porte-parole des médias et des partenaires. Mais j’étais aussi une mentor et une défenseure des athlètes et des entraîneurs en veillant à ce qu’ils aient ce dont ils avaient besoin pour réussir. En plus de mettre l’accent sur l’Équipe Canada, j’ai aussi utilisé ce rôle comme plateforme pour sensibiliser les gens à une question qui me tient à cœur, soit l’engagement d’un plus grand nombre de filles dans le sport. Bien que les athlètes de l’Équipe Canada soient d’excellents modèles pour inspirer les Canadiens à être actifs et à atteindre leurs objectifs, les filles ont besoin de gens présents dans leur vie quotidienne qui agissent comme mentors et modèles dans le sport.
Claire Carver-Dias, chef de mission de l’Équipe Canada, Jeux du Commonwealth de 2018 : Pour moi, la vision de l’Équipe Canada aux Jeux du Commonwealth tournait autour des liens : aider les athlètes à établir des liens menant à une performance optimale, les aider à se lier à la vaste communauté du Commonwealth et les aider tisser des liens entre eux.
Doug Rentmeister, chef de mission de l’équipe des Territoires du Nord-Ouest, Jeux d’hiver de l’Arctique de 2018 : Le rôle de chef de mission lors de Jeux de petite envergure, comme les Jeux d’hiver de l’Arctique, est beaucoup plus opérationnel. J’ai participé à la sélection finale de l’équipe des Territoires du Nord-Ouest et j’ai géré l’équipe aux Jeux. En tant que communauté d’accueil, moi-même, le personnel et les bénévoles de l’équipe avons travaillé en étroite collaboration avec la société hôte, assumant des tâches telles que la coordination des processus douaniers canadiens pour les délégations internationales. Comme les Jeux étaient répartis sur deux sites (Hay River et Fort Smith), j’ai voyagé dans les deux sens pendant les Jeux et j’ai travaillé en étroite collaboration avec les chefs adjoints à chaque site.
SIRC : Comment vous êtes-vous préparé pour assumer ce rôle?
Claire : Il y a certainement un risque d’être submergé du premier jour jusqu’à la tenue des grands jeux. Il y a tellement de courriels et d’information qui passent par notre bureau. Dans ce rôle, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur l’expertise et l’expérience de l’équipe des opérations et du personnel de mission. Des mises à jour régulières sur l’état d’avancement, des appels pour faire état des progrès et des discussions spécifiques au besoin nous ont permis de rester au courant de tout.
Doug : L’accent mis sur la communauté lors des Jeux d’hiver de l’Arctique a nécessité l’établissement de partenariats et de collaborations solides. J’ai assisté à de nombreux événements locaux pour renforcer le soutien et l’engagement envers les Jeux.
Todd : Ayant participé à cinq jeux précédents, j’ai eu d’excellents modèles et j’ai pris à cœur leurs conseils et leurs suggestions. Je me suis souvenu de l’effet qu’ils ont eu sur moi en tant qu’athlète, et j’ai été très précis sur la façon dont je voulais soutenir l’équipe. Athlètes, entraîneurs et nouveaux membres du personnel : j’étais disponible pour tout le monde et en tout temps, prêt à leur fournir des conseils, à les orienter et à leur donner du soutien.
Isabelle : Je pense que j’ai commencé à me préparer pour ce rôle en 2012 alors que j’étais coordonnatrice des services aux athlètes pour le Comité olympique canadien. En prévision de 2018, il était vraiment important de comprendre les rôles et les responsabilités des bénévoles, du personnel et des organismes impliqués, et de créer de solides relations de travail afin que nous puissions nous concentrer sur les athlètes.
SIRC : Décrivez votre approche globale en matière de leadership.
Isabelle : J’essaie de prêcher par l’exemple et de joindre le geste à la parole. Je m’efforce de bien comprendre les situations clés et de garder à l’esprit l’ensemble des choses lorsque je considère une stratégie et les résultats escomptés. Sur le plan opérationnel, le fait d’avoir cette compréhension commune des rôles et des responsabilités de chacun, surtout lorsqu’on collabore avec autant de personnes et d’organisations, signifie que la communication et l’action peuvent être beaucoup plus efficaces.
Doug : J’utilise une approche de leadership ascendante. Avec une bonne équipe, on peut compter sur chaque membre pour mettre à profit leurs forces afin d’accomplir le travail. Compte tenu de l’environnement très stressant des Jeux, nous avons besoin de communication, d’uniformité et de transparence pour assurer un climat aussi agréable et positif que possible.
Todd : Je suis assurément un joueur d’équipe! Je m’efforce de m’entourer des bonnes personnes pour m’aider à atteindre mes objectifs. Les Jeux sont un environnement intéressant, car on travaille à la fois avec le personnel et les bénévoles. Il peut être difficile de se retrouver dans les diverses façons de fonctionner des différents groupes. Comprendre ce contexte, connaître les rôles et les responsabilités des gens, et surtout leurs priorités, aide tout le monde à mieux travailler ensemble.
Claire : Le leadership n’est pas une question d’autorité; il s’agit d’influencer efficacement les autres pour établir une vision. Un bon leadership exige de fortes capacités d’observation et d’écoute afin d’optimiser les intérêts et les compétences des autres pour atteindre les objectifs communs. Il est également important de comprendre ses propres limites. C’est pourquoi il est essentiel d’avoir une bonne équipe en qui on a confiance, de sorte de ne pas avoir l’impression que tout repose sur nos propres épaules.
SIRC : Comment avez-vous développé votre compréhension du leadership? Quel rôle le sport a-t-il joué dans votre développement en tant que leader?
Todd : J’assimile le plus d’information possible en misant sur l’accessibilité des renseignements et la capacité de communiquer avec n’importe qui dans le monde à n’importe quel moment. Je me tiens au courant des nouvelles, je suis les médias sociaux, et je m’assure de lire les communiqués de presse des principales organisations au Canada et à l’étranger. J’entretiens également les relations de mon réseau pour en apprendre des mentors et des collègues. Le sport a joué un rôle important dans le développement non seulement de mon style de leadership, mais aussi de mes compétences en tant que personne. Avant mon accident à l’âge de 18 ans, j’étais un athlète fort, mais très timide. Après mon accident, j’ai souvent été identifié comme un d’expert, d’abord par des médecins et des résidents au cours de mon rétablissement et de ma réadaptation. Cela m’a donné confiance et m’a appris la valeur de la collaboration.
Claire : En tant que consultante en communication pour des dirigeants d’entreprise, mon travail est d’observer les leaders autour de moi, notamment la façon dont ils motivent et poussent les autres hors de leur zone de confort. J’ai aussi beaucoup lu sur le leadership et la communication. En développant mon propre style de leadership, j’ai pu apprendre de ce que j’ai vu et lu et emprunter des techniques. Mes expériences dans le sport ont été tout aussi instructives. En tant qu’athlète, j’ai connu des leaders extraordinaires, généralement des entraîneurs. Ces leaders m’ont enseigné l’art d’établir des objectifs, d’obtenir l’adhésion des participants et de motiver les autres.
Doug : J’ai beaucoup appris sur le leadership grâce à mon implication dans les cadets et à ma participation à une grande variété de sports. J’ai également été entraîneur dans un certain nombre de sports, où j’ai appris ce qu’il faut pour inspirer les athlètes et susciter leur engagement. Je suis un leader depuis un certain nombre d’années dans ma communauté et au sein du sport. J’ai pu observer d’autres leaders et apprendre d’eux. Ce genre d’expérience a vraiment influencé mon style de leadership.
Isabelle : Pour moi, la confiance et la capacité de communiquer avec les autres et de gagner leur respect sont venues naturellement; j’ai toujours été capitaine de l’équipe. Cependant, grâce au sport et à d’autres occasions de bénévolat, j’ai observé d’autres leaders en action, j’ai réfléchi aux résultats et j’ai intégré les apprentissages dans ma propre approche. Ce qui a toujours bien fonctionné pour moi, c’est de prendre le temps d’établir des relations pour soutenir au mieux l’équipe – que cette équipe soit sur le terrain ou dans une salle de conférence.
SIRC : Quelles stratégies spécifiques avez-vous utilisées pour bâtir et soutenir l’équipe aux Jeux?
Isabelle : En ce qui concerne le personnel de la mission, il s’agit encore une fois d’assumer les rôles et les responsabilités et de s’assurer que tout le monde connaît les attentes et les objectifs. Nous avions un groupe compétent et fiable qui se respectait, se faisait confiance et prenait soin les uns des autres. Lorsque des erreurs se produisaient inévitablement, tout le monde partageait la responsabilité de réparer les choses. J’ai aussi aimé tenir des rencontres en personne avec les athlètes pour établir des liens afin qu’en Corée, ils ne se sentent pas comme s’ils étaient avec un groupe d’étrangers. Les médias sociaux ont vraiment aidé à établir des relations.
Doug : Nous avons investi du temps et des ressources financières pour réunir les entraîneurs et le personnel de mission. Apprendre à se connaître avant le stress des Jeux a permis d’aborder rapidement toutes les situations. Aux Jeux, j’étais conscient de ne pas faire en sorte que les gens s’égarent trop loin. Nous avons pris le temps de dîner ou de déjeuner ensemble, et je me suis assuré d’être honnête et direct et de répondre rapidement à toute demande.
Claire : Nous avons réuni une excellente équipe de personnel de soutien aux Jeux. Leur rôle était de mettre en action leurs connaissances et leur passion pour les Jeux. Mon travail consistait à les aider à atteindre leur performance optimale, car cela soutiendrait les athlètes au final.
Todd : Je voulais que chaque athlète et entraîneur se souvienne de moi comme une force positive aux Jeux. Dans le cadre de la culture de l’Équipe Canada, j’avais un costume inspiré de Don Cherry que j’ai dit que je porterais chaque fois que nous gagnerions une médaille. J’ai dû le porter tous les jours.
SIRC : Comment avez-vous aidé les athlètes à gérer les hauts et les bas de la compétition?
Claire : L’écoute active était à nouveau importante à cet égard. J’ai eu un repas avec des membres de chaque sport au cours duquel j’ai pu écouter, poser des questions et créer un environnement pour que les athlètes puissent parler de leurs expériences et les assimiler. Selon la situation, certaines personnes et équipes ont eu besoin de réconfort et d’être rassurés, tandis que d’autres ont besoin d’encouragement.
Isabelle : Nous avions une équipe de quatre athlètes olympiques qui étaient dans le salon des villages tous les jours pour les athlètes. J’ai aussi essayé d’avoir une grande visibilité sur les sites de compétition où je pouvais interagir avec les athlètes, qu’ils soient là en tant que compétiteurs ou spectateurs. Un soutien était certainement nécessaire pour les athlètes ayant des rôles spécifiques (p. ex. le porte-drapeau) ou ceux et celles qui avaient des attentes élevées sur le plan des médailles. J’ai fait en sorte que chaque athlète sache que le Canada les soutiendrait quel que soit leur résultat, et je leur ai rappelé que le succès de leur carrière ne se mesurerait pas en une seule journée.
Todd : Le salon des athlètes du village paralympique était un endroit idéal pour communiquer avec les athlètes. J’ai pu partager mes propres succès et défis face au stress et à l’anxiété de la compétition, de même que mes expériences pour gérer les exigences de l’entraînement, du travail et de la famille, en plus d’apporter une perspective différente à l’ensemble de l’expérience. Nous avons également jumelé des athlètes avec des mentors d’autres sports pour qu’ils puissent poser des questions et parler de leurs difficultés avec un certain degré d’intimité et d’objectivité.
Doug : Aux Jeux d’hiver de l’Arctique, les entraîneurs étaient la principale source de soutien pour les athlètes. Cependant, je suis intervenu à l’occasion pour aider un athlète à recadrer une expérience négative et aussi pour régler des problèmes disciplinaires, malheureusement. Les valeurs fondamentales de l’Équipe des Territoires du Nord-Ouest ont servi à rappeler à tous les membres de l’équipe pourquoi nous étions là et à faire de notre mieux.
SIRC : Quel est l’un des principaux éléments que vous avez appris qui aura une incidence sur votre approche en matière de leadership à l’avenir?
Doug : Un incident disciplinaire grave a nécessité le renvoi d’un athlète des Jeux d’hiver de l’Arctique. Cela a pris beaucoup de temps et d’efforts, et ça a été une distraction pour les athlètes et les autres membres de l’équipe. Cependant, nous nous sommes ralliés pour régler ce problème, ce qui a donné à l’équipe de la mission l’occasion de peaufiner ses processus et, espérons-le, d’éviter des situations semblables à l’avenir. C’était un rappel qu’il y a toujours un risque de crises; la façon dont elles sont gérées est un indicateur de la force de l’équipe.
Claire : Les grands jeux sont des situations stressantes : beaucoup de pression, des heures de travail exigeantes et des enjeux élevés. J’ai vu de première main l’incidence du stress et de la fatigue, en particulier sur les interactions interpersonnelles. Aux Jeux du Commonwealth, je restais constamment à l’affût des cas de fatigue extrême et j’ai créé des occasions de repos et de récupération pour les athlètes.
Isabelle : Les Jeux olympiques ont présenté quelques situations difficiles, en particulier soutenir la patineuse de vitesse courte piste Kim Boutin qui a été la cible de réactions négatives et de menaces de mort sur les médias sociaux. Un groupe de personnes a essentiellement créé une bulle de protection autour d’elle pour détourner l’attention et lui permettre de se concentrer sur sa préparation. Même sans ces types de situations extrêmes, les athlètes sont soumis à un immense stress psychologique. Nous devons garder à l’esprit qu’il s’agit de personnes et nous devons adopter une approche centrée sur les athlètes pour les aider à gérer la pression.
Todd : Il y avait certainement beaucoup de situations stressantes et difficiles desquelles on pouvait tirer des leçons. Mais les anecdotes inspirantes des Jeux ont été tout aussi précieuses. Lors d’une course, un athlète d’expérience qui s’est rendu compte qu’il n’allait pas remporter de médaille a sacrifié son propre temps global pour attendre et motiver une recrue à la ligne d’arrivée, appuyant ainsi une performance qui a mérité un podium. Cette histoire s’est produite dans un sport individuel. C’était incroyable de voir comment, même en période de compétition, notre équipe canadienne s’entraide. Je n’aurais pas pu être plus fier de tous les athlètes qui ont participé aux Jeux de 2018. Ce sont ces types d’histoires qui démontrent la valeur du sport et qui poussent beaucoup d’entre nous à donner de notre de temps et à sacrifier le confort de nos propres lits pour être impliqués.