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Cet article a été publié à l’origine dans le Winnipeg Newcomer Sport Academy
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Introduction
Alors que le Canada passe du froid de l’hiver à la douce chaleur du printemps, les athlètes musulmans de tout le pays se préparent pour le Ramadan, l’une des périodes les plus sacrées et les plus encourageantes à la réflexion du calendrier islamique. Marqué par le jeûne, la prière et l’introspection, le Ramadan influence non seulement le bien-être spirituel des athlètes mais aussi leur performance sportive.
Pour les entraîneurs et dirigeants sportifs non musulmans, comprendre et soutenir les athlètes musulmans pendant cette période nécessite de la sensibilité, de la flexibilité et une concentration sur les accommodements pratiques. Cet article explore l’impact du Ramadan sur les athlètes et propose des conseils pratiques pour aider les communautés sportives de partout au Canada à favoriser un environnement inclusif et solidaire.
Comprendre le Ramadan : une période d’engagement spirituel et physique
Le Ramadan est le neuvième mois du calendrier lunaire islamique, observé par plus de 1,9 milliard de musulmans dans le monde (Pew Research Center, 2021). Au cours de ce mois, les musulmans jeûnent de l’aube au coucher du soleil, s’abstenant de nourriture, de boisson et de tout autre besoin physique. Le jeûne est rompu avec un repas appelé Iftar, peu après le coucher du soleil, et reprend avec le Suhoor, un repas avant l’aube qui prépare les individus pour la journée à venir.
Pour les athlètes, le jeûne pendant le Ramadan présente des défis uniques. Au Manitoba, où le coucher du soleil au printemps peut avoir lieu aussi tard que 21 h, le jeûne peut durer plus de 16 heures. Malgré ces exigences physiques, de nombreux athlètes rapportent que le jeûne améliore leur concentration, leur discipline et leur clarté mentale.
Il est également important de noter que les pratiques de jeûne peuvent varier. Alors que la plupart des athlètes musulmans adultes observent un jeûne complet, les athlètes plus jeunes ou ceux qui se mettent progressivement au jeûne peuvent pratiquer un jeûne partiel, ce qui signifie qu’ils peuvent ne pas s’abstenir de nourriture et d’eau pendant toute la journée. Au cours des premiers jours du Ramadan, la fatigue peut être plus prononcée, nécessitant des ajustements dans l’intensité de l’entraînement.
Contexte historique : jeûne et athlétisme
Le jeûne et la performance sportive peuvent sembler incompatibles, mais l’histoire offre des exemples inspirants d’athlètes qui ont excellé pendant le Ramadan.
Prenons comme exemple Noureddine Morceli, le coureur de demifond Algérien qui a établi plusieurs records du monde dans les années 1990. Morceli s’est entraîné et a participé à des compétitions tout en jeûnant pendant le Ramadan, y compris des compétitions à enjeux élevés (BBC, 1993). Son succès souligne la puissante interaction entre la foi, la discipline et l’endurance.
De même, Mohamed Salah, le footballeur Égyptien de Liverpool, a démontré comment le Ramadan peut coexister avec les performances de l’élite. Salah a réalisé une prestation extraordinaire d’Homme du Match lors de la demi-finale de la Ligue des champions de l’UEFA, en 2018, alors qu’il était à jeun (Kareem, 2019). Ses réalisations pendant le Ramadan ont inspiré d’innombrables jeunes athlètes musulmans du monde entier, y compris ici au Manitoba.
Rendre le Ramadan pertinent pour la communauté sportive du Canada
Au Canada, où le sport constitue un élément essentiel de la vie communautaire, les entraîneurs et les dirigeants sportifs doivent comprendre les expériences uniques des athlètes musulmans pendant le Ramadan.
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Qu’il s’agisse d’entraîner une équipe de hockey dans une petite ville de l’Ontario, une équipe de de basket en Colombie-Britannique ou une équipe de football (soccer) au Québec, reconnaître l’importance culturelle et religieuse du Ramadan permet aux entraîneurs de créer un environnement plus inclusif et plus solidaire. Lorsque les athlètes se sentent respectés et accommodés, ils éprouvent un plus grand sentiment d’appartenance, ce qui favorise la confiance, la loyauté et la motivation au sein de l’équipe.
Cela renforce à son tour la cohésion de l’équipe, car des joueurs issus d’horizons divers développent un respect et une compréhension mutuels. Une culture d’équipe unie conduit à une meilleure communication, une plus grande solidarité et, en fin de compte, à de meilleures performances globales, tant sur le terrain qu’en dehors.
Voici quelques accommodements pratiques qui peuvent rendre le Ramadan plus inclusif pour la communauté sportive canadienne :
1) Horaires d’entrainement flexibles : le timing est clé
L’un des moyens les plus simples et les plus efficaces de soutenir les athlètes musulmans pendant le Ramadan consiste à ajuster les horaires d’entraînement pour les aligner sur les engagements spirituels des sportifs. Partout au Canada, le coucher du soleil pendant le Ramadan varie selon les régions, allant de 19 h à Halifax à 21 h à Vancouver. Compte tenu de ces variations, de nombreux athlètes préfèrent s’entraîner soit tôt le matin, après le Suhoor, soit plus tard dans la soirée, après l’Iftar. Ces choix horaires permettent aux athlètes de s’hydrater, de faire le plein et de donner le meilleur d’eux-mêmes.
De plus, l’Iftar est souvent un événement familial et certains athlètes musulmans peuvent être amenés à quitter l’entraînement plus tôt ou à manquer des séances complètement. Les entraîneurs doivent être conscients que la fréquentation peut varier, en particulier lors des soirées spéciales où les engagements familiaux deviennent prioritaires.
Les recherches démontrent que même si le jeûne peut réduire temporairement l’endurance physique pendant la journée, les athlètes qui s’entraînent après avoir interrompu leur jeûne ressentent moins de fatigue et récupèrent plus efficacement (Zerguini et al., 2007). Offrir des horaires d’entrainement flexibles respecte non seulement leurs engagements religieux, mais soutient également leur capacité à maintenir des performances optimales.
2) Hydratation et nutrition : favoriser le bien-être physique
L’hydratation est une préoccupation majeure pendant le Ramadan, en particulier pour les athlètes pratiquant des sports d’endurance ou de haute intensité. Dans de nombreuses régions du Canada, les températures printanières peuvent dépasser les 20 °C, augmentant ainsi le risque de déshydratation pour les athlètes à jeun. Sans pauses d’hydratation régulières, les performances peuvent diminuer rapidement, en particulier dans des sports comme le football, l’athlétisme et le football américain.
Pour atténuer ces effets, les entraîneurs devraient encourager les athlètes à surveiller leur hydratation entre l’Iftar et le Suhoor. Boire de l’eau avec des liquides riches en électrolytes tels que l’eau de coco ou les boissons pour sportifs aide à reconstituer les liquides perdus et à maintenir les performances. De plus, une alimentation équilibrée joue un rôle clé dans le maintien des niveaux d’énergie tout au long de la journée :
- Suhoor (repas avant l’aube) : prioriser les sucres lents (par exemple, l’avoine, les grains entiers), les protéines maigres et les graisses saines pour maintenir les niveaux d’énergie.
- Iftar (repas après le coucher du soleil) : inclure sucres rapides, des aliments riches en protéines et des fruits hydratants comme la pastèque ou les oranges pour faciliter la récupération.
Fournir aux athlètes des stratégies intelligentes d’hydratation et de nutrition peut les aider à répondre aux exigences du jeûne et de la performance, leur garantissant ainsi de rester forts tout au long du Ramadan.
Considérations pour des sports spécifiques
Certains sports, comme la natation, peuvent nécessiter des accommodements supplémentaires. Les athlètes qui jeûnent pendant qu’ils s’entraînent dans l’eau doivent faire attention à ne pas l’avaler involontairement, car cela pourrait rompre leur jeûne par inadvertance. Les entraîneurs voudront peut-être ajuster les horaires d’entraînement pour les nageurs à jeun ou proposer des alternatives d’entraînement, hors de l’eau, pendant le Ramadan.
3) Respecter la prière et les besoins spirituels
Le Ramadan va au-delà du jeûne : c’est aussi un moment de spiritualité accrue, de réflexion et de prière. Les athlètes musulmans observent cinq prières quotidiennes, dont celle du Maghrib, qui coïncide avec l’Iftar. Prendre en compte ces pratiques est un moyen essentiel de soutenir les athlètes de manière globale.
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Comment les entraineurs peuvent-ils aider?
- Offrir des espaces de prière désignés: fournir un espace calme et propre sur les sites d’entraînement ou de compétition pour que les athlètes puissent accomplir leurs prières.
- Ajustez l’horaire: coordonner avec les athlètes pour planifier les entraînements ou les matchs autour des heures de prière. Si la prière coïncide avec une activité, accorder une courte pause permet aux athlètes de remplir leurs obligations.
- Communication ouverte: avoir des conversations régulières et respectueuses avec les athlètes pour comprendre leurs besoins et leurs préférences pendant le Ramadan
- Éducation et sensibilisation: proposer de brefs ateliers ou des ressources pour sensibiliser les entraîneurs et les coéquipiers à l’importance du Ramadan.
- Collaboration communautaire: établir des partenariats avec des organisations musulmanes locales ou des centres communautaires pour créer un environnement plus inclusif et recherchez des conseils pratiques sur les accommodements.
De plus, l’Aïd marque la fin du Ramadan et constitue une célébration majeure pour les communautés musulmanes du monde entier. Il est courant que les athlètes manquent l’entraînement ou même la compétition pendant cette période, car les célébrations de l’Aïd peuvent s’étendre sur plusieurs jours. Les entraîneurs doivent planifier et comprendre les engagements des athlètes pendant cette période.
4. L’avantage mental : le pouvoir caché du Ramadan
Les défis du Ramadan ne mettent pas seulement à l’épreuve l’endurance physique : ils améliorent également la concentration mentale. De nombreux athlètes rapportent que le jeûne aiguise leur concentration et favorise la résilience. Des études scientifiques le soutiennent, associant le jeûne à de meilleures performances cognitives, une meilleure mémoire et une pleine conscience accrue (Carneiro et al., 2019).
Par exemple, des recherches sur le jeûne intermittent ont montré que les personnes qui jeûnent connaissent un temps de réaction et une vitesse de prise de décision accrus, en particulier dans les tâches mentalement exigeantes (Harder-Lauridsen et al., 2017). Cela est particulièrement pertinent pour les sports nécessitant une réflexion stratégique rapide, comme le hockey, le curling et le basket-ball, où les athlètes doivent traiter les informations rapidement et prendre des décisions en une fraction de seconde. En effet, certains athlètes rapportent que le jeûne les aide à entrer dans un état de clarté mentale accrue, leur permettant d’anticiper les mouvements de l’adversaire et de rester plus concentrés pendant la compétition.
Muhammad Ali, l’un des plus grands boxeurs de tous les temps, a dit un jour : « Le service rendu aux autres est le loyer que vous payez pour votre chambre ici sur Terre » (Ali, 1978). Pour les athlètes musulmans, le Ramadan est une période de service, non seulement envers Dieu, mais aussi envers eux-mêmes et leurs communautés. Ils cultivent la discipline, la patience et la maîtrise de soi grâce au jeûne, des qualités qui améliorent leurs capacités athlétiques.
Note finale : Bâtir une culture sportive inclusive au Canada
Le Canada abrite une population musulmane dynamique et croissante, et au sein d’elle, un nombre croissant d’athlètes musulmans. Dans un pays fier de sa diversité et de son esprit communautaire, les entraîneurs et les dirigeants sportifs ont une occasion unique de favoriser l’inclusion en respectant et en accommodant les pratiques religieuses de tous les athlètes.
Soutenir les athlètes musulmans pendant le Ramadan va audelà de l’ajustement des horaires d’entraînement ou des plans d’hydratation. Il s’agit de comprendre leurs défis physiques et spirituels, de leur offrir des conseils réfléchis et de créer un environnement ancré dans le respect et l’empathie.
Lorsque les entraîneurs prennent ces mesures, ils aident leurs athlètes à s’épanouir, pas seulement pendant le Ramadan, mais tout au long de l’année. Ce faisant, ils enrichissent également la communauté sportive canadienne dans son ensemble, en renforçant l’unité des équipes, la compréhension culturelle et en érigeant les fondations d’un avenir plus inclusif dans le sport.