

Sommaire du projet
Les données de Statistique Canada indiquent qu’à partir de 1931, plus de citoyens (54 %) vivaient dans les centres urbains que dans les communautés rurales. En 2006, ce pourcentage avait atteint 80 %. Ce changement démographique a de graves conséquences pour les communautés rurales. À Warner, une communauté agricole du sud de l’Alberta qui compte environ 380 habitants, une stratégie unique a été adoptée pour promouvoir le sentiment d’appartenance des gens de la communauté et donner aux résidents le choix d’y rester (Epp et Whitson, 2001). Situé à 65 km au sud de Lethbridge, le village a bien failli perdre son école, qui accueille les enfants depuis la maternelle jusqu’à la 12e année (de 5 à 17 ans). Les citoyens de Warner ont établi une académie de hockey de haut niveau en guise de stratagème pour sauver l’école, et implicitement la ville elle-même. Le but de cette recherche était d’examiner l’incidence de la création de l’école de hockey de Warner (WHS) pour filles sur la ville. L’étude de cas portait sur le potentiel du sport de haut niveau pour assurer la survie et la revitalisation d’une communauté.
Les objectifs précis du projet étaient de déterminer et d’analyser les éléments suivants :
- les raisons pour lesquelles la WHS a été établie, et le processus entrepris par la communauté pour faire de l’école une réalité;
- comment la « communauté imaginée » de Warner en est venue à intégrer le hockey de haut niveau tel que défini par les entraîneurs, les joueuses et la communauté;
- le rôle des académies de hockey d’élite dans le système de hockey canadien, et leur incidence sur le hockey féminin;
- le potentiel du sport de haut niveau pour assurer la survie des communautés rurales canadiennes.
Méthodes de recherche
Une étude de cas, avec de multiples stratégies de collecte de données qualitatives, a été utilisée :
- analyse des documents de l’école et de la communauté liés à l’établissement et aux activités de la WHS;
- entrevues semi-structurées avec des membres de la communauté, des employés de l’école et de l’académie de hockey, des experts éclairés du domaine du hockey, et d’anciennes joueuses (n = 32);
- observation de participants lors des réunions du conseil de village, des activités sportives, des galas de hockey, des camps promotionnels, et des parties de hockey.
Résultats de la recherche
Incertitude malgré le succès
Les recherches indiquent que les écoles, en tant qu’institutions communautaires intégrales, jouent un rôle essentiel dans les communautés rurales nord-américaines menacées de déclin. Depuis 2003, la WHS aide Warner à accomplir son principal but – offrir une scolarité de la maternelle à la 12e année. La WHS offre un programme de hockey d’élite reconnu à l’échelle nationale et internationale. En 2015, les Warriors de Warner ont gagné le championnat de la North American Junior Women’s Hockey League (JWHL). Plus de 90 pour cent des joueuses de la WHS poursuivent leurs carrières de hockeyeur au niveau postsecondaire, et beaucoup d’entre elles décrochent des bourses étudiant-athlète dans des universités canadiennes et américaines.
La plupart des citoyens de Warner interrogés ont dit avec insistance que la WHS « a sauvé le village ». L’école a rassemblé les gens afin de trouver une solution au déclin de leur communauté. Pourtant, malgré le succès de la WHS et l’engagement de la communauté, le village et la WHS sont à la croisée des chemins. D’un côté, l’académie de hockey a connu du succès et l’école est demeurée ouverte et viable. De l’autre côté, la visibilité de la WHS et la réussite de l’équipe n’ont pas entraîné la revitalisation ou le développement de la communauté. Bien que l’on entend souvent que la création d’école favorise le consensus et la cohésion de la communauté, en réalité l’école de hockey semble l’avoir divisée. Certains membres de la communauté ont réalisé que l’école n’allait pas avoir les répercussions économiques et développementales attendues initialement, et il est donc difficile pour eux de continuer d’appuyer cette initiative coûteuse et chronophage. L’épuisement des bénévoles était une réalité. Les citoyens qui avaient investi un nombre incalculable d’heures et de ressources (temps personnel, main-d’œuvre et ressources financières) dans la WHS se sont mis de plus en plus à douter de l’incidence de l’académie sur le village. Cela a entraîné des désaccords parmi eux, séparés en deux camps : ceux qui appuient toujours la WHS, et ceux qui ne sont pas à l’aise de soutenir la WHS puisqu’aucun avantage tangible pour la communauté n’est en vue.
Imaginer la communauté
Les résidents de Warner, qui ont souvent des liens intergénérationnels serrés, sont très attachés à l’histoire : l’histoire du village, de la famille et de l’école. Les joueuses de hockey, bien qu’elles soient les bienvenues dans le village, ne partagent pas ce même attachement intime envers l’histoire et la prospérité future du village. L’intrusion de ces joueuses « étrangères » dans une communauté rurale établie fait naître des tensions. Inévitablement, les joueuses considèrent Warner comme une destination passagère; elles choisissent de s’y établir pour poursuivre l’excellence dans leur sport et décrocher un diplôme d’études secondaires qui pourrait leur permettre de décrocher une bourse universitaire hockey‑études. Elles ne sont pas vraiment chez elles à Warner, car il s’agit seulement d’un passage temporaire vers l’excellence sportive et des études postsecondaires.
Les joueuses qui participent aux événements promotionnels d’essai à la WHS ont inconsciemment en tête un modèle précis; étudier pour être plus compétentes sur le plan technique. Si leur candidature est retenue, elles doivent prendre une décision importante. Les frais annuels sont actuellement de 33 000 $ par année, ce qui représente un effort financier majeur sur leurs épaules. Les jeunes femmes viennent à Warner pour suivre un entraînement de hockey de qualité, pour l’excellence de la compétition, et afin d’obtenir plus tard une bourse universitaire hockey‑études.
Une culture de l’élitisme : possibilité et menace
En 2000, Julie Stevens (2000, p. 136) a fait l’évaluation suivante du hockey féminin : « un fossé incroyable s’est créé dans le système du hockey féminin, séparant la scène locale de la scène mondiale ». Au cours de la dernière décennie, une culture d’élitisme, de professionnalisme et de commerce s’est incrustée dans le monde du hockey. En 2003, lorsque la WHS a ouvert ses portes aux premières recrues, il s’agissait seulement de la deuxième école de hockey pour filles au Canada. Il y en a maintenant plus d’une douzaine d’un océan à l’autre, qui rivalisent entre elles pour attirer les filles dans leurs programmes. De plus en plus, les familles qui ont les moyens de payer les droits de scolarité inscrivent leurs enfants dans ces programmes de hockey d’élite. Le futur de la WHS est menacé par cette popularité croissante du hockey d’élite féminin. Mis à part l’enseignement de qualité et la formation en hockey dans un environnement rural, le petit village de Warner a peu à offrir aux joueuses. Les autres commodités sont rares ou non existantes. Avec l’augmentation du nombre d’académies de hockey, Warner doit adopter une stratégie promotionnelle unique pour se distinguer des autres écoles, dont plusieurs se trouvent dans des centres urbains et exigent des frais d’inscription moins élevés. La WHS n’est donc pas l’histoire de la réussite facile d’une petite communauté rurale se tournant vers le sport afin de « sauver la ville ». Le paradoxe pour Warner est que si l’on peut se réjouir de la réussite de la WHS, l’existence même de la WHS est menacée par l’élitisme croissant du hockey féminin à l’échelle nationale. Cela remet en question l’avenir de la WHS et la survie de cette petite communauté rurale.
Répercussions sur les politiques
Les résultats cadraient avec les recherches passées suggérant l’essor d’une culture d’élitisme dans le hockey féminin. Les académies de hockey comme la WHS sont très recherchées par les joueuses qui veulent suivre un entraînement spécialisé, développer leurs compétences, obtenir des bourses d’études postsecondaires pour étudiants-athlètes, et être possiblement repêchées par des équipes d’élite nationales et internationales.
Prochaines étapes
D’autres recherches sont nécessaires sur les répercussions des académies sportives de sport de haut niveau dans les communautés rurales et urbaines de l’ensemble du Canada, de même que sur les avantages qu’elles offrent aux athlètes, aux membres de la communauté et aux écoles associées.
Principaux intervenants et avantages
Hockey Canada, Hockey Alberta et d’autres organismes de régie provinciaux, et les institutions postsecondaires qui recrutent des joueurs diplômés.
Sport Canada – le soutien à la recherche fourni par Sport Canada est essentiel (et il devrait être maintenu et augmenté) pour enquêter sur les tendances changeantes dans le sport d’élite et le sport communautaire, afin d’évaluer les avantages et les impacts des nouvelles initiatives.