« Finir… quoi qu’il arrive. » : Exploration des constructions de la douleur et du plaisir dans le triathlon Ironman

Sommaire du projet

Fondé sur mon expérience personnelle des triathlons Ironman, le projet explore les notions de douleur et de plaisir en tant que constructions sociales. Quels liens peut-on établir entre ces idées considérées dans le contexte de l’Ironman et les notions de douleur et de plaisir en usage dans le contexte socioculturel général? Comment ces liens peuvent-ils éclairer la compréhension contemporaine du corps et de l’identité?

L’étude révèle que les idées de douleur et de plaisir sont largement modelées par l’importance accordée à la réussite du parcours. Le fait de terminer l’épreuve permet d’acquérir une identité Ironman, une identité présentée comme recelant un capital culturel du fait que les triathloniens Ironman sont souvent présentés comme d’excellents exemples de santé, de contrôle de sa destinée et de discipline — soit autant de caractéristiques hautement valorisées dans un contexte social et politique néolibéral. Cette importance accordée à la réussite du parcours débouche apparemment sur la promotion ou l’adoption inconditionnelle de la philosophie selon laquelle on n’obtient rien sans peine. Cela dit, bon nombre de participants aux entrevues soulignaient qu’il est important de négocier la différence entre les types de douleurs, qui peuvent être positives ou négatives. Paradoxalement, en dépit de cette conscience critique de l’existence de différents genres de douleurs, la prévalence des blessures demeurait élevée. En conséquence, l’importance attachée au fait de devenir un Ironman semble l’emporter sur l’état physique des participants et leur santé générale. Ce facteur modèle par ailleurs les notions de plaisir. Très peu de participants ont laissé entendre qu’ils retiraient un plaisir sensuel de leur participation; le plaisir leur venait plutôt du défi de dépasser les « limites », de terminer l’épreuve et de récolter les récompenses perçues comme faisant partie du processus.

Méthodes de recherche

Des entrevues ont été menées auprès de 19 triathloniens Ironman d’une région géographique limitée (Est de l’Ontario). Ce groupe présente des caractéristiques démographiques très spécifiques – professionnels de classe moyenne, reflétant la communauté du triathlon/sport d’endurance. Les expériences Ironman personnelles ont été intégrées par l’inclusion des carnets d’entraînement et de comptes rendus de courses. Les représentations de l’Ironman dans les médias — diffusion sur NBC des Championnats du monde (de 1991 à 2010) et extraits de deux magazines traitant du triathlon (de 1983 à 2010) — ont aidé à remettre les entrevues et le matériel autobiographique dans leur contexte. Ces documents ont été analysés avec Atlas.ti (logiciel d’analyse qualitative).

Résultats de recherche

La recherche en sociologie du sport a fait ressortir l’aspect problématique lié à la perception de la douleur et des blessures, qui sont comme des composantes « naturelles » de l’expérience sportive, et la façon dont les entraîneurs, les administrateurs du sport et les athlètes eux-mêmes peuvent contribuer à entretenir cette perception. Les participants à l’étude affirmaient qu’une blessure pouvait les empêcher de terminer une épreuve et qu’ils s’efforçaient de négocier avec soin les différents types de douleur de manière à éviter les blessures. Parallèlement, il semble y avoir une discordance entre la conscience critique et l’expérience vécue, puisque la prévalence des blessures demeure assez élevée. Les participants dépensaient plus de 40 000 $ par année en services de médecine du sport, chiffre qui s’inscrit dans les coûts souvent sous-estimés des blessures liées au sport qui surviennent chaque année au Canada (White, 2004). Certains participants évoquaient l’utilisation d’AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens tels qu’Advil ou ibuprofène) comme stratégie de gestion et/ou de traitement de la douleur. Cet état de choses est préoccupant en raison des effets indésirables documentés de la consommation excessive d’AINS, qui comprennent une altération de la fonction rénale, des hémorragies digestives et le risque accru d’hyponatrémie (Gorski, Cadore et Santana Pinto, 2009). Il y avait aussi des mises en garde contre les AINS dans les magazines de triathlon analysés, ce qui permet de croire que la communauté est préoccupée par ce problème. Ce constat met de nouveau en évidence la nature paradoxale du statut de modèle de bonne santé attribué aux athlètes Ironman.

Dans les documents examinés, le plaisir était construit de façon instrumentale (p. ex. notions de défi, de réalisation, de récompense et de reconnaissance), et comme cette façon d’appréhender le plaisir sous un angle limité est répandue dans l’industrie de la condition physique en général (Smith-Maguire, 2008), on peut penser que les résultats obtenus ne sont pas surprenants; ce constat, toutefois, ne diminue en rien leur importance. Quand l’accent est davantage mis sur la réussite de l’épreuve que sur l’expérience du participant au moment où il est physiquement actif, le risque de subir une blessure ou d’avoir à vivre avec les conséquences à court et à long terme d’une blessure est décuplé.

Répercussions sur les politiques

La douleur et le plaisir associés au sport et à la condition physique doivent faire l’objet de discussions approfondies. En mettant l’accent plus précisément sur les expériences des participants au sport plutôt que sur les résultats de leur participation, on peut entamer une discussion qui ne semble pas avoir cours actuellement. Avec la préséance maintenant accordée au développement à long terme du participant/athlète (DLTP/A) au Canada (y compris la notion de « vie active »), il devient impérieux de réfléchir plus à fond à ce que peuvent faire les différents intervenants dans le domaine du sport pour discuter de la douleur et des blessures (et des liens avec la santé, puisque la participation au sport est encouragée en tant que partie intégrante d’un mode de vie « sain »). À l’heure actuelle, la plupart des documents qui traitent de la douleur et des blessures présument que les blessures sont un aspect normal de la pratique sportive et que pour y faire face, les athlètes devraient avoir une stratégie de médecine sportive intégrée à leurs plans d’entraînement. Les documents officiels devraient inclure un examen des coûts possibles de la participation sportive, plutôt que de promouvoir le sport comme étant indiscutablement une pratique saine. Force est de reconnaître que l’incorporation de ce genre de discussions ne sera pas une entreprise facile, comme l’attestent les nombreuses façons différentes (et souvent contradictoires) de présenter la douleur relevées dans le contexte de l’étude. Ignorer complètement ce type de discussions, toutefois, n’est pas un service à rendre à ceux qui participent au sport à n’importe quel niveau et à faire fi de la possibilité qu’une personne puisse pratiquer un sport sans faire l’expérience de types négatifs de douleur et de blessure. Enfin, l’un des objectifs du DLTP/A est de promouvoir le « savoir-faire physique »; il me semble que cela devrait inclure des discussions sur les expériences corporelles liées à la douleur (voir ci-dessus) et au plaisir — dans une optique qui permette d’aller au-delà du plaisir attaché aux réalisations et aux récompenses.

Deux voies s’offrent pour commencer à diffuser cette information : le programme de certification des entraîneurs (par l’entremise de l’Association canadienne des entraîneurs) et les modèles de développement à long terme du participant/athlète des organismes de sport canadiens. Est-ce qu’on ne pourrait pas, par exemple, inclure une discussion de la douleur liée au sport dans tous les documents de formation des entraîneurs élaborés par l’ACE? Ne pouvons-nous pas élargir l’idée actuellement limitée que nous avons du plaisir associé au sport?

Prochaines étapes

L’idée que « tout le monde peut faire un Ironman » a émergé pendant la recherche. Nous devons savoir que ce qui est considéré comme une activité physique « normale » se rapproche de plus en plus de l’extrémité du continuum de l’intensité des activités, et que cette tendance aura des effets indubitables sur la façon dont les gens voient leur corps et celui des autres autour d’eux. Il y a aussi les grandes questions soulevées par la croissance de l’Ironman et des autres formes de pratiques sportives « extrêmes » en tant que catégorie de loisir : qu’est-ce qui peut, au cours des 30 dernières années, avoir contribué à la croissance continue de ce type d’épreuves? Il semble que les gens ont des attentes de plus en plus extrêmes envers leur corps, un phénomène dont les médias grand public et spécialisés se font volontiers les promoteurs, l’accent étant mis sur les résultats et non sur le processus. Cet état de choses, combiné à l’absence de discussion approfondie des concepts de douleur et de plaisir dans le sport, pourrait créer un scénario où les coûts de la participation commencent à avoir la préséance sur les avantages, un résultat que les organisateurs du domaine du sport et les décideurs ne peuvent juger souhaitable.

Principaux intervenants et avantages

Trois groupes d’intervenants pourraient tirer profit de cette information et des données à venir : (1) le groupe d’experts de Sport Canada sur le développement à long terme du participant/athlète; (2) l’Association canadienne des entraîneurs; et (3) Triathlon Canada (ainsi que les fédérations provinciales sans doute).

About the Author(s) / A propos de(s) l'auteur(s)

William Bridel, Université de Queen’s.

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