L’« agrégation des gains marginaux » est devenue une expression si populaire que les gens ont arrêté de se demander ce qu’elle signifie. La science vise à remettre les choses en question plutôt qu’à maintenir le statu quo, et elle tente de mettre en lumière les vérités cachées. Mais que sont les gains marginaux en réalité? Pourquoi avons-nous été formés pour les chercher? Et comment s’appliquent-ils concrètement dans le sport de haute performance, dans la mesure où c’est possible?
Les gains marginaux ont d’abord fait l’objet de discussions au sein de la communauté scientifique et médicale de British Cycling au début des années 2000 comme une composante permettant aux athlètes de rivaliser avec d’autres athlètes qui sont constamment et substantiellement plus rapides qu’eux. Mais comment peut-on connaître une amélioration de 10 % légalement, de façon sécuritaire et dans le respect de l’éthique? La stratégie en question consistait à obtenir de multiples petits gains qui s’accumulent pour donner un gain global qui permet de rivaliser avec les autres.
Stimuler l’innovation
Au cours de la dernière décennie, le concept des gains marginaux a amené les équipes sportives à essayer d’obtenir chaque petit gain possible en matière de nutrition, de physiologie, de psychologie, d’aérodynamique, de force et de conditionnement. Les sports olympiques se sont tournés vers des organismes et des industries externes pour la collecte et l’analyse de données, l’aérodynamique et même la gestion d’équipe. Par exemple, BAE Systems s’est associé à UK Sport pour développer un ergomètre à la pointe de la technologie pour British Cycling, qui a mis en œuvre certaines avancées s’appuyant sur les connaissances et l’expérience de la Formule 1. Ceci comprenait un « camion-burger » pour la collecte de données qui se trouve en permanence au centre du vélodrome de Manchester. Un autre domaine de développement substantiel dans de nombreux sports a été l’analyse et l’interprétation des données d’entraînement à l’aide de logiciels spécifiques. En effet, Team Sky s’est associée à Today’s Plan pour développer sa propre version personnalisée du logiciel de formation. Au cours de la dernière décennie, le sport a fait un grand pas en avant grâce à l’innovation, en grande partie en raison de partenariats avec des experts externes ayant une formation de classe mondiale dans des domaines connexes qui n’avaient jamais été appliqués au sport auparavant.
Dans certains cas, cet élan d’innovation a donné l’impression que certaines équipes fonctionnaient presque de façon robotisée, les formules et les processus étant à la base de chaque décision. En vérité, les personnes sont toujours au cœur du sport et il s’agit de trouver la meilleure façon d’optimiser leur performance. Aucun algorithme ou protocole ne gagnera jamais une course. Quoi qu’il en soit, examiner ce qu’il faut optimiser dans un sport et la façon de le faire est une approche fascinante pour améliorer la performance.
Démystifier les mythes
Malheureusement, dans la recherche de gains marginaux, les équipes sportives ont souvent ignoré les coûts en temps, en énergie et en ressources. Les équipes de tête ont souvent de vastes budgets que n’ont pas la plupart des organismes nationaux de sport (ONS) amateur ou même pour la plupart des équipes professionnelles. Et pourtant, ces plus petites équipes subissent toujours une pression pour imiter le niveau d’innovation des plus grandes organisations.
Les équipes qui sont financées au plus haut niveau peuvent se permettre de chercher toutes les améliorations possibles, mais les autres doivent être très sélectives quant à l’affectation des ressources, tant financières qu’humaines. Il y a un coût d’opportunité pour toute innovation potentielle, et il est important de l’examiner en détail avant de s’engager dans un projet. Les gains probables doivent être suffisamment importants pour avoir un effet réel sur la performance et, par conséquent, ils doivent être beaucoup plus importants que le taux d’erreur de mesure des instruments utilisés pour recueillir les données.
Les gains marginaux impliquent des gains de 1 à 2 %, mais l’ampleur de cette amélioration se situe souvent à l’intérieur d’une marge d’erreur, comme c’est le cas des capteurs de puissance à vélo offerts sur le marché qui ont une marge d’erreur de +/- 2,5 %. Les entraîneurs et les athlètes peuvent être frustrés par ce genre d’outils parce qu’ils ne voient aucun effet sur le temps de performance lors des entraînements ou des compétitions, malgré l’investissement de temps et d’argent. Des activités telles que l’entraînement en altitude ont fait l’objet de recherches approfondies (Ploszczyca, Langfort et Czuba, 2018), mais il n’est pas clair pour certains entraîneurs si l’incidence sur la performance est attribuable aux modifications physiologiques prévues ou à environnement d’entraînement très ciblé… ou plus probablement à une combinaison des deux. Il ne faut pas sous-estimer la valeur de réunir une équipe dans un endroit où il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que de faire un entraînement de qualité et récupérer son énergie; un endroit où des responsables surveillent la charge de travail des athlètes et y donnent suite avec grand soin.
Les gains marginaux fondés sur la physiologie dépendent d’un certain nombre d’hypothèses qui sont très rarement vraies dans le sport. Pour réaliser ces gains, les athlètes doivent être en bonne santé, indemnes, avoir un régime alimentaire idéal, s’hydrater parfaitement, s’adapter idéalement au climat, se rétablir aussi vite que possible et dormir parfaitement. Ceci est rare dans le sport de haute performance, surtout dans la phase précédant la compétition, lorsque les athlètes sont stressés et doivent souvent voyager.
Si l’approche actuelle des gains marginaux n’est pas une bonne solution, quelle serait donc l’approche idéale? En tant que praticiens, nous devons prendre du recul et examiner la situation dans son ensemble. Qu’est-ce qui permet de se démarquer au plus haut niveau de performance? C’est d’avoir ses meilleurs athlètes en grande forme sur la ligne de départ au lieu d’être blessés ou malades à la maison. C’est d’avoir une équipe d’athlètes qui veulent tous être là et qui sont en bonne santé mentale pour qu’ils puissent tout donner. C’est d’avoir des entraîneurs et du personnel de soutien qui ne sont pas épuisés d’amener tous les athlètes aux compétitions en un seul morceau tout en jonglant avec leur vie personnelle. C’est de disposer d’un système administratif solide et efficace qui fournit le soutien logistique nécessaire à l’équipe.
Investir dans les gains réels
Pour améliorer la performance, les organismes de sport, les entraîneurs et les athlètes doivent regarder au-delà de l’athlète et adopter une approche systémique globale.
01. Voyagements des athlètes
Plusieurs ONS au Canada ont beaucoup travaillé avec des spécialistes du sommeil pour s’assurer que leurs athlètes dorment de façon optimale et ont des plans de haute qualité pour voyager à travers les fuseaux horaires afin de minimiser les effets du décalage horaire. De plus, les ONS pourraient mettre en œuvre des lignes directrices sur les réservations de voyage pour s’assurer que les athlètes prennent l’avion à des heures qui leur permettent d’avoir une nuit complète de repos avant le voyage et d’avoir le vol le plus direct. Souvent, ce n’est pas l’option la moins chère, et en raison de budgets limités, les organisations essaient de réaliser des économies sur les vols. Dans certains cas, cela ne pose pas problème, mais lorsqu’un athlète vise une performance optimale lors d’un événement, les préparatifs de voyage peuvent avoir des conséquences (Reilly, 1990; Thoune, Bjorvatn, Flo, Harris et Pallesen, 2015).
L’un des gains marginaux les plus fréquemment mentionnés par Team Sky et British Cycling est de voyager avec son propre matelas. On rit souvent de la situation, mais la qualité du sommeil est extrêmement importante si un athlète doit faire des courses intenses tous les jours pendant trois semaines (Watson, 2017). La quantité et la qualité du sommeil jouent un rôle dans la prévention des maladies ainsi que dans la performance athlétique. Rester en bonne santé tout au long d’un Grand Tour de trois semaines est un défi. L’approche de Team Sky est de ne pas laisser le hasard déterminer si le lit est suffisamment confortable, si la chambre d’hôtel est climatisée, et si la nourriture est adéquate. Ils s’occupent de chacun de ces aspects, et bien qu’ils puissent parler de ceux-ci comme des gains marginaux, ils sont en fait assez importants.
02. Santé mentale
La santé mentale des athlètes et du personnel est un autre aspect pour lequel les avantages sont potentiellement très importants. Le personnel donne le ton de l’environnement d’entraînement et de compétition, et lorsqu’ils vivent des moments éprouvants, tout le monde le ressent bien souvent. Les athlètes qui éprouvent des problèmes ne sont pas en mesure de donner le meilleur d’eux-mêmes, et il a été rapporté que la prévalence des troubles mentaux chez les athlètes est similaire à celle de l’ensemble de la population (Gulliver, Griffiths, Mackinnon, Batterham et Stanimirovic, 2015; Foskett et Longstaff, 2018). Si un athlète est blessé, les équipes savent ce qu’il faut faire pour intervenir, mais lorsque quelqu’un éprouve des difficultés mentales, il est beaucoup plus difficile d’y remédier. Le Canada a eu la chance d’avoir des athlètes bien connus qui ont parlé de cette question, mais il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Les organismes peuvent aborder cette question en adoptant une stratégie de santé mentale globale qui établit une approche uniforme et positive liée aux problèmes de santé mentale chez les athlètes et le personnel, et en fournissant une formation en santé mentale à leurs entraîneurs, au personnel de soutien et à la direction. Morneau Shepell s’est associé à Cyclisme Canada en 2013 pour élaborer une formation en santé mentale propre au sport et l’offrir à leur personnel par l’entremise d’un atelier en personne et d’un webinaire. Les participants ont signalé une amélioration substantielle de leurs connaissances sur les questions de santé mentale et le traitement connexe (données non publiées).
Le système sportif canadien fait des progrès en matière de soutien en santé mentale pour les athlètes grâce à des services comme le Plan de match ainsi que des services internes fournis par les équipes nationales. En ayant une stratégie et en offrant de la formation, les ONS peuvent réduire les obstacles liés à la stigmatisation et à l’incompréhension qui peuvent empêcher les athlètes de recourir à ces services pour obtenir le soutien dont ils ont besoin.
03. Lourdeurs administratives
L’importance des processus simples et efficaces au sein d’une organisation ne peut être sous-estimée lorsqu’il s’agit d’optimiser la performance des courses. S’assurer que les athlètes ont toute l’information dont ils ont besoin à l’avance, qu’ils ont assez de vêtements pour l’entraînement et la compétition, que les dépenses sont faciles à classer, que les gens sont remboursés rapidement, que la communication entre les membres de l’équipe est facile et n’implique pas d’inonder la boîte de courriels des gens, et plusieurs autres aspects du fonctionnement de l’organisation ont un effet sur la façon qu’un athlète performe le jour de la course. Cet aspect des gains marginaux a commencé à être étudié dans un contexte scientifique (McGuire et Halliday, 2018) dans le cadre d’études sur la façon dont les processus de changement ont un effet sur les gens plutôt que simplement examiner de nouveaux types d’interventions. Cela montre que le concept de gains marginaux est utile comme fondation, en ce sens qu’il permet aux gens d’examiner l’ensemble du système dans lequel ils travaillent et de rechercher des gains d’efficacité et des améliorations potentielles.
Messages clés
Le concept de « gains marginaux » a été le catalyseur de certaines innovations substantielles et positives, alors que les équipes et les organisations sportives cherchent de nouvelles pistes d’amélioration qui n’étaient pas prises en compte auparavant. Cependant, il est tentant de ne chercher ces gains que par des interventions directes auprès des athlètes, plutôt que se pencher sur l’organisation et les systèmes qui soutiennent les athlètes. En ce qui concerne son système sportif, le Canada doit miser sur tous les types de gains et résister à l’envie de ne chercher que des interventions scientifiques visant à améliorer la performance des athlètes.