Des allégations parues dans les médias concernant le collège Saint Michael’s de Toronto à l’automne 2018 ont fait du bizutage une priorité pour le personnel du sport des établissements d’enseignement secondaire et postsecondaire du Canada. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un événement isolé. Au cours de la dernière décennie, un certain nombre d’institutions canadiennes ont signalé des cas de bizutage, notamment l’Université Laurentinne (2016), l’Université McGill (2015), et l’Université Dalhousie (2014 et 2013).
Le bizutage est une pratique culturelle établie et perpétuée depuis des décennies avec des répercussions néfastes notamment au sein de l’armée, des écoles secondaires, du sport, des fraternités et des sororités. En 2016, nous avons entrepris une étude sur les pratiques et les connaissances en matière de bizutage dans le sport universitaire canadien en sondant les étudiants-athlètes, les entraîneurs et les directeurs sportifs partout au pays. Jusque-là, on savait peu de choses sur l’omniprésence du bizutage dans les sports interuniversitaires. Les résultats ont révélé que 64 % des athlètes universitaires canadiens étaient engagés dans une forme ou une autre de bizutage et que les nouveaux athlètes universitaires qui quittent l’école secondaire s’attendaient à être bizutés (pour en savoir plus, cliquez ici). Des études similaires menées auprès d’athlètes de la NCAA ont révélé que plus de 80 % des athlètes ont subi une forme quelconque de bizutage et que seulement 20 % ont décrit l’expérience comme positive (Hoover et Pollard, 2000).
La recherche de solutions
Les tentatives visant à éliminer le bizutage dans le sport posent un certain nombre de défis. Il s’agit notamment d’une définition vague du bizutage, de politiques peu claires et mal appliquées, d’un manque d’éducation, de la croyance persistante que le bizutage contribue aux liens de groupe, à la cohésion et au succès de l’équipe, et d’un puissant code du silence entourant les activités du bizutage. Cet article abordera chacun de ces obstacles en donnant un aperçu des moyens de s’attaquer à ces problèmes et de créer une nouvelle culture sans bizutage dans le sport.
Définition du bizutage
Le bizutage est souvent défini comme « un événement créé pour établir la hiérarchie sociale d’une équipe en humiliant, dégradant, abusant et/ou mettant en danger les nouveaux venus, indépendamment de la volonté de cette personne de participer, afin de renforcer son statut social dans l’équipe ».
Cependant, les recherches révèlent des différences importantes dans la signification du bizutage (Waldron et Kowalski, 2009). Par exemple, les athlètes mentionnent que le bizutage peut être bon ou mauvais, acceptable ou inacceptable. La création d’une définition commune du bizutage fournira une base pour des changements dans les politiques, les pratiques et les croyances.
Renforcer les politiques
Une bonne politique peut soutenir le changement organisationnel et culturel. Au Canada, la plupart des départements de sport des universités et des collèges ont des politiques qui interdisent directement les pratiques de bizutage. Cependant, les recherches ont révélé que les politiques relatives au bizutage étaient souvent enfouies dans des codes de conduite plus larges, qu’elles étaient traitées avec politiques sur le harcèlement et les abus et qu’elles étaient mal appliquées.
Les organisations sont encouragées à créer une politique spécifique en matière de bizutage. La politique devrait inclure une définition claire du bizutage comme celle fournie ci-dessus, avec des exemples spécifiques de comportement de bizutage. Ceux-ci pourraient aller du fait d’être forcés à chanter, à porter quelque chose en public, à consommer de l’alcool, à des activités à caractère sexuel. La politique devrait également prévoir des sanctions clairement définies. Il pourrait s’agir de la suspension ou de l’expulsion d’athlètes, de l’annulation de la saison d’une équipe, de la perte de financement ou de la suspension ou du congédiement du personnel. Enfin, avec la mise en œuvre de la politique, un canal ouvert devrait être établi pour que les athlètes et les autres intervenants puissent signaler les infractions de bizutage. Il pourrait s’agir d’une ligne d’assistance téléphonique ou d’une adresse électronique confidentielle où les rapports pourraient être acheminés.
Éduquer
Pour que la mise en œuvre de la politique soit réussie, celle-ci doit être appuyée par des initiatives d’éducation et de sensibilisation. L’éducation est essentielle pour développer une compréhension plus profonde du bizutage, démystifier les mythes selon lesquels le bizutage contribue à la cohésion de l’équipe, et remettre en question les pratiques bien établies et parfois cachées. Les efforts d’éducation doivent être étendus non seulement aux athlètes, mais aussi à tout le personnel de l’équipe, aux administrateurs, aux dirigeants des organisations, aux parents et aux partisans. Les efforts devraient également adopter une approche continue, semblable à celles qui ont été prises pour réglementer l’utilisation et l’abus des substances améliorant la performance. Les champions de tous les groupes d’intervenants peuvent aider à garder la question à l’esprit et à la garder pertinente.
Violation du code du silence
Un code du silence entoure souvent les pratiques de bizutage. Comme nous l’avons mentionné précédemment, notre étude a révélé que les nouveaux athlètes qui entrent à l’université s’attendent à ce qu’ils soient bizutés. Cette réalité perçue suggère que : 1) les jeunes athlètes sont conscients du bizutage et qu’ils peuvent l’avoir subi avant d’entrer dans le système d’éducation postsecondaire; et 2) les athlètes entrent sciemment dans une culture où ils pourraient être victimes de violence au cours de leur expérience universitaire. Les nouveaux athlètes qui se joignent à une équipe établie pendant leur transition vers l’université sont vulnérables sur les plans psychologique, physique et social et dans leur position au sein de l’équipe. Nos constatations indiquent que la plupart des athlètes ont indiqué qu’il serait très improbable qu’ils aient l’impression de pouvoir soulever des questions concernant le bizutage. Au cours de nos plus de 20 années de recherche dans ce domaine, nous avons entendu parler d’athlètes qui ont choisi de ne pas aller dans certaines écoles à cause des pratiques de bizutage, et d’athlètes qui ont quitté les programmes sportifs parce qu’ils étaient ostracisés et marginalisés à cause de ce type de pratique.
Un autre élément qui renforce le code du silence sur le bizutage est la normalisation. Le bizutage se produit généralement par l’entremise d’un processus cyclique, où les athlètes de première année sont bizutés, puis deviennent ceux qui effectuent des pratiques de bizutage en ayant une mentalité de « faire aux autres ce qu’on leur a fait ». Le bizutage devient donc « normal » pour les athlètes dans cette culture et peut souvent durer des années. Par exemple, à la lumière des récentes allégations de bizutage à caractère sexuel concernant le collège Saint Michael’s, de nombreux anciens élèves ont raconté la même chose qui leur est arrivée il y a 30, 40 ou 50 ans (p. ex. https://toronto.citynews.ca/2018/11/17/st-michaels-college-school-hazing).
Enfin, nous avons constaté que les entraîneurs et les administrateurs fermaient souvent les yeux ou prenaient leurs distances par rapport au bizutage. Cependant, notre étude a indiqué que les entraîneurs peuvent avoir la plus grande influence sur le changement de la culture du bizutage lorsqu’ils sont activement engagés dans l’éducation et le travail avec les chefs d’équipe pour introduire de nouvelles orientations. Les entraîneurs et les autres membres du personnel de l’établissement ont la responsabilité de savoir ce qui se passe au sein de leur équipe. Les leaders doivent adopter une approche proactive pour aborder les enjeux et diriger le changement culturel nécessaire. Plus ce système sera transparent, meilleures seront nos chances de changement culturel.
Les pratiques de bizutage sont souvent justifiées par des croyances persistantes quant à leur rôle central dans le renforcement de la cohésion de l’équipe. Pourtant, nos recherches ont révélé que le bizutage peut avoir l’effet contraire et peut briser les relations entre les équipes et entre les joueurs. En novembre 2018, l’ancien joueur de la LNH Dan Carcillo s’est présenté devant les médias pour parler des cicatrices psychologiques qu’il porte parce qu’il a été victime de bizutage pendant son séjour dans la Ligue de hockey de l’Ontario. Les efforts d’éducation et de communication qui démystifient les relations mythiques entre le bizutage et la cohésion de l’équipe et abordent les effets à court et à long terme sur la santé physique et mentale des athlètes peuvent ouvrir la voie à de nouvelles pratiques.
Établir de nouvelles pratiques
La création de nouvelles traditions pour remplacer le bizutage présente des avantages pour toutes les parties concernées. Le rite de passage et le fait de marquer la transition au sein de l’équipe sont une tradition importante à préserver; nous devons simplement nous pencher sur la façon dont cela se fait et pourquoi. Une variété d’activités peuvent être utilisées pour accueillir de nouveaux membres tout en inculquant un sentiment de fierté et d’identité avec la signature unique de chaque équipe. Les dirigeants sportifs et le personnel clé devraient travailler ensemble pour concevoir de nouvelles activités afin de remplacer les activités de bizutage potentiellement nuisibles et dangereuses; les possibilités ne sont limitées que par l’imagination de l’équipe. Les activités devraient inclure tous les membres de l’équipe et le personnel clé et appuyer l’établissement de relations saines en renforçant la confiance, le respect mutuel et l’établissement d’objectifs et de valeurs communs qui serviront de fondement pour la saison à venir. Les administrateurs devraient désigner des ressources pour appuyer ces pratiques positives.
Voici des suggestions de solutions de rechange :
- une journée universitaire qui rassemble tous les athlètes dans un environnement commun pour des activités interactives, des défis coopératifs, de l’éducation sur les politiques connexes et une occasion de célébrer les succès passés et la fierté de l’équipe;
- des séances d’équipe qui combinent des activités de consolidation d’équipe et d’établissement d’objectifs avec de l’entraînement et du rétablissement;
- des expériences axées sur l’aventure telles qu’une randonnée pédestre, de la raquette, des parcours de cordes, de l’escalade ou des excursions en canot;
- des activités non liées au sport, allant du laser tag aux compétitions de cuisine.
Observations finales
Pour changer véritablement la culture du bizutage au Canada, nous devons créer une culture transparente et ouverte où les abus et le harcèlement ne peuvent avoir lieu. Des politiques, des connaissances et une éducation efficaces, des dialogues ouverts, des investissements dans de nouvelles activités saines et des systèmes de soutien solides sont primordiaux pour y parvenir.
Une étape importante vers le changement est l’engagement des athlètes, des entraîneurs, du personnel de soutien de l’équipe, des administrateurs, des anciens athlètes, des parents, des partisans et du public de manière à dénoncer et éliminer les comportements de bizutage normalisés et apporter un soutien aux pratiques positives qui ont fait leurs preuves pour renforcer la cohésion et soutenir la performance des équipes. En particulier, les dirigeants sportifs ont la responsabilité de reconnaître la gravité du bizutage et de prendre des mesures pour assurer la sécurité des athlètes à l’intérieur et à l’extérieur des milieux sportifs officiels. L’objectif global est de faire en sorte que le sport soit un lieu où tous les athlètes soient traités avec respect et dignité.
Ressource recommandée
Transformer les liens au sein de l’équipe en une expérience sûre et positive – Une trousse d’outils pour l’éducation sur le bizutage : Compréhension, prévention et transformation
Cette ressource consiste en un atelier de style étape par étape qui peut être animé par des entraîneurs, des administrateurs ou même des athlètes, et qui comprend des diapositives PowerPoint, des suggestions de travaux de groupe et de discussions, et des activités de consolidation d’équipe. Pour de plus amples renseignements, communiquez avec M. Jay Johnson de l’Université du Manitoba à l’adresse jay.johnson@umanitoba.ca.