En publiant sa politique d’inclusion des transgenres en septembre 2018, U Sports s’est jointe à une liste sans cesse croissante d’organisations communautaires et internationales qui ont mis en œuvre des politiques pour réglementer l’inclusion des athlètes qui s’identifient comme transgenres. Les organismes qui ont des politiques d’inclusion des trans comprennent notamment les divisions scolaires (p. ex. le Toronto District School Board), les associations provinciales de sport d’écoles secondaires (p. ex. la Manitoba High School Athletic Association), le Centre canadien pour l’éthique dans le sport (CCES) et le Comité international olympique (CIO).
Bien que l’élaboration de politiques soit souvent considérée comme une bonne chose, des politiques contradictoires peuvent porter à confusion. Le CCES recommande l’autodéclaration du sexe comme la seule exigence pour participer à un sport au Canada, alors qu’U Sports a harmonisé les mesures de testostérone requises avec les normes de l’Agence mondiale antidopage, et que le CIO exige que le taux de testostérone chez les femmes transgenres se situe dans une plage précise. Prenons l’exemple d’une jeune transgenre qui aspire à participer à des compétitions pour son école secondaire, à obtenir un diplôme au Canada en tant qu’étudiante-athlète, à représenter le Canada sur la scène internationale dans son sport et, éventuellement, à se qualifier pour participer aux Jeux olympiques ou paralympiques. De multiples ensembles de paramètres d’inclusion s’appliquent simultanément à différents niveaux de sport et dans différentes régions géographiques. La myriade de politiques concernant l’admissibilité des athlètes transgenres soulève deux questions :
- Les athlètes transgenres devraient-ils simplement être autorisés à participer dans la catégorie de sexe correspondant à leur identité sexuelle?
- Le sport de haut niveau est-il prêt à adopter uniquement une politique d’autodéclaration de sexe?
Terminologie
Sur le plan conceptuel, lorsque les organismes de sport créent des politiques d’admissibilité des transsexuels, les termes « transgenre » et « trans » désignent les personnes qui affirment que leur identité sexuelle et leurs expériences de vie ne correspondent pas au sexe qui leur a été attribué à la naissance. Les « athlètes trans » désignent les athlètes qui participent dans la catégorie de sexe correspondant à leur identité sexuelle, et non dans la catégorie de sexe qui leur a été attribuée à la naissance. Les athlètes « cisgenre » ou « cis » désignent les athlètes qui s’identifient au sexe qui leur a été attribué à la naissance et qui participent dans cette catégorie.
Les préoccupations au sujet de l’inclusion des athlètes trans au niveau communautaire ou récréatif sont généralement minimes; l’exclusion à ce niveau constituerait une violation manifeste des droits de la personne. Là où les préoccupations deviennent plus répandues et où les opinions divergent, c’est lorsqu’on se tourne vers le sport de haut niveau, où les occasions sont limitées et où une personne qui gagne sa place dans une équipe enlève une occasion à quelqu’un d’autre.
Surveillance des sexes
Le sport de compétition a une longue histoire de maintien de l’ordre en matière de sexe. En effet, on se souviendra des certificats médicaux signés « garantissant » que les athlètes féminines étaient des femmes (exigés avant 1966), des inspections visuelles et des examens gynécologiques imposés lors de certains événements internationaux (de 1966 à 1968), ainsi que de l’analyse chromosomique pour vérifier que les athlètes féminines avaient le chromosome XX (de 1968 à 1999). On constate que le sport a toujours eu une obsession pour le contrôle de la catégorie féminine du sport. Bien qu’en 1999, le CIO ait finalement accepté les preuves scientifiques démontrant que l’analyse chromosomique n’était pas efficace pour distinguer les femmes des hommes (car de nombreuses personnes ont des profils chromosomiques autres que XX et XY), la vérification du sexe n’était toujours pas éliminée du sport international. Plutôt, le maintien de l’ordre en matière d’égalité des sexes s’est poursuivi par l’entremise d’évaluations au cas par cas par des comités d’experts et de l’introduction de politiques relatives aux transgenres et à l’hyperandrogénisme au début des années 2000. Les personnes dont le corps ne cadre pas facilement dans le binaire femme-homme ont historiquement été interdites de participer au sport en raison de de politiques.
Politiques
La première de ces politiques, la Politique de Stockholm du CIO (2003), permettait aux athlètes de participer à des compétitions sportives dans la catégorie de sexe de leur choix s’ils effectuaient une transition avant la puberté ou s’ils pouvaient démontrer à la commission médicale du CIO qu’ils remplissaient les trois critères suivants :
- Ils ont subi une chirurgie de changement de sexe;
- Ils comptent deux ans d’hormonothérapie;
- Ils ont obtenu de nouveaux documents d’identité.
Cependant, le triathlonien Chris Moser, qui s’identifie comme un homme trans, a affirmé de façon convaincante que « les organes génitaux ne sont pas un facteur de rapidité ni de lenteur, de sorte que l’exigence de modifier le corps comme le veut la règle du CIO est totalement inutile. Les athlètes récréatifs et ceux dans des groupes d’âge devraient être capables de compétitionner contre des athlètes du sexe auquel ils s’identifient, point final. » Les objections des chercheurs à la politique originale du CIO, en accord avec la pensée de Moser, portaient sur la quantité d’hormones, l’accessibilité à la chirurgie, les coûts associés à la chirurgie élective, les risques encourus et les questions de droits de la personne. En 2015, le CIO a modifié sa politique pour ne plus exiger de chirurgie, mais a continué à se concentrer sur la régulation des taux de testostérone. Toutefois, comme le démontrent les recherches de Scheim et Bauer (2015), seulement 42 % des personnes trans choisissent de consommer des hormones.
Parmi les autres préoccupations au sujet des politiques, mentionnons le manque d’éducation qui accompagne bon nombre des règlements énoncés, l’hypothèse selon laquelle les taux de testostérone sont la composante clé de la réussite sportive et le silence sur la question de la transphobie dans le sport. Par conséquent, des obstacles continuent d’exister pour de nombreux Canadiens et Canadiennes transgenres qui pratiquent des sports récréatifs et de haut niveau, même lorsque des politiques sont en place qui leur permettent clairement de le faire.
Science, données probantes, éthique et valeurs
Les objections typiques aux politiques d’autodéclaration du sexe tendent à être centrées sur l’équité et la crainte que les athlètes transgenres puissent participer à des compétitions avec des avantages. Le cœur du problème soulève d’importantes questions au sujet de la science, des données probantes et de l’éthique. Beaucoup de gens veulent voir des études scientifiques concluantes pour vérifier que les athlètes trans ne possèdent pas d’avantages « injustes » sur le plan de la performance. Cependant, il est difficile de :
- Déterminer avec précision ce qu’il faut mesurer pour cibler ce qui est considéré comme « équitable » et « injuste »;
- Recueillir des échantillons suffisamment grands pour obtenir des résultats significatifs;
- Comprendre l’incidence du statut des participants comme entraînés ou non entraînés avant la transition;
- Trouver des participants dont les paramètres de performance physiologique de base ont été établis avant la transition.
Par conséquent, une grande partie de la recherche demeure anecdotique.
Il en résulte souvent un conflit de valeurs où il n’est ni clair ni évident d’équilibrer les idéaux d’équité, d’inclusion et de respect. Le simple respect des personnes ne garantit pas que des efforts raisonnables (justes) seront déployés pour accommoder la diversité. Il est possible de respecter quelqu’un sans l’accommoder, et de l’accommoder, à contrecœur, sans le respecter réellement. La littérature philosophique sur le respect utilise le langage du « respect de l’évaluation » (respect des personnes issu de l’appréciation de leurs talents, idées, mérite, etc.) et du « respect de la reconnaissance » (respect des personnes issu de leur appréciation en tant qu’humains). Le respect à l’égard de l’évaluation se manifeste à divers degrés et, dans le sport, il peut refléter des attitudes envers l’excellence. Par exemple, il est possible de respecter la performance sportive d’un athlète même après avoir pris connaissance de ses défauts en tant qu’être humain. Le respect de la reconnaissance, par contre, n’est pas comparatif et, parce qu’il est tout ou rien, il nécessite des mesures d’adaptation. En se fondant sur cette distinction, on peut se demander si le sport canadien respecte les athlètes transgenres en tant que personnes et reconnaît leurs droits de la personne.
Perspective d’un athlète
La recherche présentée à la conférence 2018 de l’Initiative de recherche de Sport Canada (voir Teetzel, 2018) a permis d’examiner les enjeux du point de vue des athlètes. À la suite d’entrevues semi-structurées approfondies avec 26 athlètes canadiens (13 athlètes trans, dont sept s’identifient comme hommes trans et 6 comme femmes trans, et 13 athlètes femmes cisgendes de haute performance), on a pu dégager certains thèmes.
- La communauté sportive ignore en grande partie les nombreuses politiques actuelles d’inclusion des personnes transgenres en vigueur dans le sport;
- L’incertitude et le scepticisme abondent à l’égard de la « science » qui sous-tend la réglementation actuelle;
- Différentes conceptions de l’équité s’appliquent au niveau récréatif et au sport de haut niveau;
- Les vestiaires, les environnements inconnus et les officiels sportifs inconnus peuvent créer des espaces dangereux pour les athlètes trans;
- Les athlètes trans ont souvent le fardeau d’éduquer les officiels, les compétiteurs et les administrateurs sur les raisons pour lesquelles ils devraient être autorisés à jouer;
- Les politiques culturelles peuvent empêcher les athlètes de s’exprimer de façon critique sur des questions de politique, même après la retraite.
Les entrevues ont démontré que l’incidence de la transition n’est pas bien comprise par les chercheurs et les athlètes en sciences du sport. Les participants ont convenu qu’il faut offrir aux trans canadiens des espaces et des occasions de sport sécuritaires, même si l’effet de la transition sur la performance sportive n’est pas bien compris. Cependant, la divergence s’est produite lorsque les conversations sont passées du sujet de la participation sportive récréative au sujet de la compétition féroce de haut niveau. Les entraîneurs, les athlètes et les administrateurs sportifs ne sont pas bien renseignés sur les obstacles auxquels les Canadiens et Canadiennes transgenres continuent d’être confrontés dans le sport, mais ils ont exprimé leur intérêt à obtenir plus d’information sur cet enjeu.
Les politiques d’admissibilité des transgenres sont importantes, mais la façon dont ces politiques sont appliquées pour créer des espaces sécuritaires pour les athlètes trans est encore plus importante. Les politiques ne protègent pas à elles seules les athlètes transgenres, et de nombreuses politiques continuent de surveiller l’égalité des sexes dans le sport et d’imposer aux athlètes le fardeau de justifier les raisons pour lesquelles ils devraient être autorisés à participer.
Ressources recommandées
CCES. (2012). Le sport en transition : rendre le sport au Canada plus responsable afin d’inclure les genres. Ottawa (Ontario) : CCES.
CCES. (2016). Créer des environnements inclusifs pour les participants transgenres dans le sport canadien. Ottawa (Ontario) : CCES.
Taylor, C. et coll. (2011). Every class in every school: The first national climate survey on homophobia, biphobia, and transphobia in Canadian schools. Final report. Toronto (Ontario) : Egale Canada Human Rights Trust.
Cette recherche a été appuyée par le Conseil de recherches en sciences sociales et humaines du Canada.