Le concept d’inclusion est omniprésent dans le contexte sportif actuel et de nombreuses organisations, tant à l’échelon communautaire qu’international, se questionnent à savoir comment s’assurer que tous les individus ont accès aux sports et peuvent y participer. En général, l’inclusion signifie que tous les individus, peu importe leurs aptitudes, leurs limitations fonctionnelles ou leurs besoins spécifiques, ont le droit d’être respectés et appréciés à titre de membres précieux de leurs communautés. Toutefois, l’inclusion est un concept complexe dans le sport de haut niveau qui, de par sa nature, est exclusif.
Lorsqu’il s’agit de grands évènements sportifs comme les Jeux olympiques ou paralympiques, l’inclusion se complexifie davantage. Habituellement, les athlètes handicapés (para-athlètes) participaient à des épreuves distinctes. Au fil du temps, il semble que ce modèle d’épreuves distinctes soit devenu contreproductif en ce qui a trait au respect et à la valorisation de tous les athlètes. Depuis 2001, les Jeux olympiques et paralympiques sont plutôt devenus un grand évènement unique : les Jeux ont lieu à deux semaines d’intervalle, un comité organisateur (CO) conçoit, élabore et présente tous les Jeux, et celui-ci gère les legs qui en découlent. D’autres grands Jeux ont adopté le principe de ce modèle, notamment les Jeux panaméricains et parapanaméricains ainsi que les Jeux du Commonwealth, un évènement sportif entièrement intégré.
Du point de vue de l’accueil, le fait d’avoir un seul CO favorise l’efficacité organisationnelle et fonctionnelle (par exemple, une seule organisation communique avec les parties intéressées comme les gouvernements, les partenaires sportifs, les sociétés de diffusion et les partenaires commerciaux). Mais ceci s’accompagne aussi de défis. Molloy et Misener (2016) ont écrit à propos de l’importance de la « distinction », c’est-à-dire la reconnaissance et le respect de l’excellence qui distingue les athlètes, au moment d’envisager la gestion de grands Jeux dont le programme inclut les parasports. Si les Jeux ne sont pas gérés de manière adéquate, il y a un risque que cette distinction, ou la démonstration du respect et de l’appréciation envers tous les athlètes, soit perdue.
Cet article a pour but d’examiner les différents aspects de la gestion d’un évènement de grande envergure auquel participent des para-athlètes en relation avec le concept de distinction. Mon objectif consiste à mettre en relief les possibilités et les défis pouvant survenir lorsque l’on tente de s’assurer que les besoins et les désirs des athlètes pratiquant un parasport soient appréciés et valorisés, tout comme on le fait pour les athlètes non handicapés dans un contexte de grands Jeux.
Gestion de l’intégration
Depuis la mise en œuvre des Jeux paralympiques en 1960, les Jeux olympiques et paralympiques ont lieu la même année. Récemment, comme à Séoul à l’été 1988 et à Albertville à l’hiver 1992, les épreuves ont eu lieu dans la même ville, avec quelques semaines d’intervalle entre les deux évènements. Ce n’est qu’en 2001 qu’une entente formelle est entrée en vigueur entre le Comité international olympique et le Comité international paralympique pour s’assurer que les villes accueillant les Jeux olympiques présentent également les Jeux paralympiques. Le concept « une candidature, une ville » est né afin de protéger la tenue des Jeux paralympiques et qu’ils soient intégrés automatiquement à la candidature pour l’accueil des Jeux olympiques. L’entente reconnaît formellement que la ville hôte est obligée de présenter les deux évènements afin de maximiser l’utilisation des installations et de l’infrastructure. C’est en préparation pour l’accueil des Jeux de Salt Lake City en 2002 que pour la première fois, un seul comité organisateur assurait la gestion des deux évènements.
L’accessibilité et l’inclusion pendant et après de grands jeux multisports
J’ai récemment dirigé une équipe de recherche qui a entrepris une étude longitudinale se penchant sur la façon dont les différents types d’évènements traitent l’accessibilité et l’inclusion dans les Jeux avec un CO (Misener et collab., 2018). Dans chaque cas examiné, le CO avait précisé sa vision pour améliorer l’accès aux installations et autour de celles-ci afin de créer davantage de possibilités d’inclusion dans la communauté sportive. Nous avons remarqué que les lignes directrices en matière d’accessibilité dans les installations, telles qu’établies par les instances gouvernantes internationales des sports et les comités organisateurs locaux, ne se traduisent pas nécessairement par des changements sociaux viables, par une meilleure inclusion, ou par une meilleure accessibilité dans la communauté. Par exemple, dans de nombreux cas, l’infrastructure matérielle fut bâtie selon les normes minimales ou par des méthodes temporaires, ou bien les changements furent mis en place sans tenir compte de l’intersection entre la nouvelle et l’ancienne infrastructure (p.ex. la bordure de chaussée, les trottoirs, les matériaux). Certains pourraient dire qu’il n’en revient pas à l’évènement de modifier le paysage spatial du décor urbain, mais il est important pour les comités de tenir compte de la manière dont les structures de l’évènement s’articulent aux espaces publics si l’on recherche un changement social viable. Par exemple, si les nouvelles installations sportives érigées respectent des normes élevées en terme d’accessibilité, mais qu’aucun transport accessible n’est disponible ou que les espaces extérieurs liés à l’édifice ne sont pas accessibles, l’inclusion de l’évènement et de son legs s’en voit réduite.
Le risque du biais des gens « physiquement aptes »
Dans un environnement de Jeux, nous avons aussi constaté que le biais des gens physiquement aptes teintait le processus décisionnaire du CO. Les besoins, les intérêts et les expériences des para-athlètes sont souvent négligés, car les preneurs de décisions ne connaissent pas le vécu d’une personne handicapée. Voici des exemples de l’incidence de ce biais sur la programmation, l’infrastructure, le marketing et les communications, selon nos recherches et celles de nos collègues de travail, comme Byers et coll. (2019) et Darcy (2017).
Programmation : Le programme et la structure des évènements pour les athlètes ayant des besoins spécifiques en matière d’accès et de soutien, ou avec des classements différents, doivent être bien réfléchis. Par exemple, si l’horaire d’une épreuve parasportive est basé sur l’horaire des athlètes non handicapés, on pourrait penser qu’un ou une athlète ayant besoin de plus de temps pour se préparer à la compétition et pour se rendre au bassin, sur le court ou sur le terrain dérange le cours « normal » de l’horaire. De plus, on doit porter une attention particulière au domaine de la compétition de certains sports et évènements pour s’assurer que le moment et le niveau d’intégration des parasports soient appropriés. Pendant notre recherche axée sur l’observation à Glasgow lors des Jeux du Commonwealth de 2014 (Misener et coll., 2019), j’ai remarqué qu’une épreuve de natation pour les para-athlètes avec classement mixte semblait avoir été prévue à la fin d’une longue journée de compétitions de natation. Ceci démontre non seulement un manque de compréhension des besoins des athlètes, mais a eu pour effet de ressembler à une compétition charitable où quelques spectateurs encourageaient l’athlète solitaire à la ligne d’arrivée tandis que les autres s’empressaient de quitter l’édifice.
Édifices de sport : Bien que le Comité international paralympique exige que les installations, le transport et les logements soient accessibles (Guide d’accessibilité du CIP, 2015), d’autres aspects des Jeux peuvent trop facilement être négligés, comme les espaces pour les festivals publics, le transport métropolitain et les lieux d’entrainement (souvent des installations de loisirs existantes). Les changements temporaires sont souvent conçus pour être efficients et n’offrent que le minimum d’accessibilité requis. Cette citation tirée d’un article sur les Jeux met en relief les défis auxquels les villes et les CO doivent faire face en regard à l’intégration des exigences d’accessibilité pour les édifices de sport et les lieux publics :
Les nouveaux palais de sport que j’ai vus sont magnifiquement lisses…[mais] le problème survient là où ils rejoignent le vieux monde. Après avoir traversé un nouvel endroit parfaitement accessible, je suis soudainement bloquée par un abaissé de trottoir inexistant. Après avoir quitté le vélodrome, je descends la rampe vers la rue, où la jointure semble négligeable, mais je m’arrête brusquement. Partout ailleurs, le gravier éparpillé sur le pavé bloque les mains courantes informatisées de mon fauteuil roulant, qui se met à mal fonctionner. (Melanie Reid, Sunday Times, Angleterre, 2014).
Marketing et communication : Les stratégies de marketing et de communication utilisées pour attirer les commanditaires et les spectateurs sont une partie intégrante de tout évènement majeur. Des stratégies de qualité fournissent aux para-athlètes une orientation claire et distincte. Les CO doivent collaborer étroitement avec les médias, puisqu’ils revêtent une importance capitale pour la sensibilisation, le changement d’attitude, la circulation des idées et le cadrage des récits concernant les Jeux inclusifs. Le CO des Jeux panaméricains et parapanaméricains de Toronto en 2015 a fait un travail remarquable pour assurer l’équité en matière de représentation des para-athlètes en ce qui concerne le marketing et les communications. Malheureusement, Toronto est plutôt l’exception que la norme ; trop souvent, les CO offrent une visibilité minimale aux para-athlètes. Toutefois, les Jeux de Toronto sont tombés dans un piège, celui de présenter les para-athlètes comme étant des « superhéros ». Une citation d’un membre du CO de Toronto démontre combien les équipes de marketing et de communication peuvent s’appuyer sur des récits axés sur des images de superhéros, de vedettes ou de pitié. « Il est si facile de s’identifier aux para-athlètes… ils ont de si bonnes histoires qui peuvent inspirer les gens. »
Un autre élément essentiel des communications évènementielles, qui peut souvent être négligé en ce qui concerne l’inclusion, est l’occasion d’apprentissage offerte par les Jeux. Dans le cadre de notre travail d’observation aux Jeux parapanaméricains de Toronto en 2015, on demandait souvent aux membres de notre équipe de recherche, qui portaient des chandails violets décorés d’un logo, d’expliquer en quoi consistaient les épreuves et les règles du jeu. On offrait peu d’informations aux spectateurs à propos des sports, des athlètes, des règles ou des classements, ou lorsque ces informations étaient disponibles, elles n’étaient pas offertes dans un format accessible. Étant donné la nature unique du parasport, il est important que les CO s’assurent d’offrir amplement d’informations afin d’intéresser les spectateurs. Pendant les Jeux paralympiques de Londres en 2012, Channel 4 a conçu le système de classement Lexi, lequel fut ensuite utilisé à Glasgow en 2014 pour les Jeux du Commonwealth. Ce système a aidé les spectateurs à comprendre les classements et les règles des sports, enrichissant ainsi leur expérience pendant la compétition.
Legs : Le concept des legs fait partie de l’agenda des évènements sportifs depuis le début des années 1990, mais est devenu la pierre angulaire de l’organisation des manifestations sportives au cours des dernières années. On s’attend à ce que les CO prévoient des retombées positives sur la communauté en terme d’infrastructure matérielle, et en terme d’avantages économiques et sociaux. D’un point de vue parasportif, on observe une tendance à utiliser ces manifestations pour influencer les changements sociaux et exercer une influence positive sur la vie des personnes handicapées dans les communautés locales. Selon le programme du CIP (CIP, 2017), on se concentre généralement sur quatre domaines : une infrastructure accessible, des structures de sports pouvant accueillir les parasports (p.ex. entraineurs, classements, organisations para), les attitudes et perceptions envers les handicaps, et les possibilités sportives. Dans notre travail autour du legs des Jeux, nous remarquons que les CO ressentent un désir sincère de connaître un tel changement social viable, mais sont confrontés à plusieurs défis lorsqu’ils tentent de léguer ces héritages. Dans certains cas, les CO sont si débordés par l’organisation des Jeux que les legs liés aux changements sociaux sont victimes de problèmes de capacité. Dans d’autres cas, on suppose que les legs de changements sociaux seront un résultat automatique des manifestations plutôt que le produit d’une planification, d’efforts et d’une collaboration considérables.
Recommandations pour se concentrer sur le parasport
À partir de nos recherches sur différents types de Jeux, nous présentons trois grandes leçons pour les CO et les villes hôtes.
- Engagement des intervenants: L’établissement d’un comité ou d’un poste de responsable de l’évènement sportif est une première étape minimale importante pour s’assurer que l’on accorde une attention et une distinction adéquates au parasport. Cependant, il faut intégrer la voix des personnes handicapées à travers toutes les zones de gestion des Jeux. En fait, en général, seulement un petit nombre de personnes handicapées occupent des postes d’autorité au sein d’organisations de sport ou lors d’évènements sportifs. Les personnes handicapées ou leurs alliés doivent être capables d’influencer la prise de décisions et d’identifier les inégalités structurelles auxquelles elles sont confrontées quotidiennement afin que l’on puisse les aborder lors de l’organisation de l’évènement sportif. De cette façon, le CO intégré peut organiser un évènement de manière efficace et assurer la distinction des athlètes des parasports. Pour évaluer le point de vue des intervenants, il faut se poser les questions suivantes :
- Est-ce que le CO compte des postes supérieurs opérationnels consacrés aux parasports qui feront partie des Jeux?
- Est-ce que des groupes consultatifs pour les personnes handicapées font partie du processus décisionnel des Jeux et des programmes de legs des Jeux?
- Est-ce que les organisations partenaires (communications, gouvernement, commanditaires) se sont engagées à favoriser l’accessibilité et l’inclusion dans leur mandat? Comment cela se reflète-t-il dans la gestion et dans les contrats liés à l’évènement?
- Cadres de politiques: Notre recherche démontre que les pays et villes ayant mis en place de solides politiques en matière de diversité et d’inclusion utilisent ces politiques pour guider la planification des évènements et des legs. Les stratégies nationales et internationales suivantes peuvent servir de levier pour appuyer la diversité et l’inclusion dans les Jeux :
Ces cadres de politiques servent de toile de fond aux décisions concernant les pratiques sportives, l’accessibilité des infrastructures, le marketing et les communications pour s’assurer que tous les aspects de l’évènement soient plus accessibles. Au Canada, nous sommes en voie de tenir compte de la diversité et de l’inclusion dans tous les aspects du sport. Avec la récente adoption de la Loi C-81, la Loi canadienne sur l’accessibilité, les organisations nationales de sport et les organismes de services multisports, les organisations provinciales et territoriales de sport, les clubs sportifs communautaires et toutes les grandes manifestations sportives trouveront des manières d’améliorer la participation entière et équitable de tous les individus, particulièrement les personnes handicapées.
- Programmes de legs: Un indicateur clé de l’engagement de l’évènement envers l’accessibilité et l’inclusion est l’intégration de ces priorités dans des programmes de legs. Pour les Jeux panaméricains et parapanaméricains de Toronto en 2015, le CO a priorisé l’accessibilité et l’inclusion à titre d’aspect clé du legs des Jeux. Cela signifie que l’organisation, la coordination des Jeux, la planification du legs et autres prennent en considération la distinction pour les para-athlètes, l’accessibilité des installations et des services sportifs connexes, et les possibilités d’inclusion pendant et après les Jeux. Un exemple clé de ceci est le Collectif parasport Ontario, un groupe composé d’organisations provinciales du sport, d’organismes multisportifs et d’organisations sportives pour les personnes handicapées, qui s’est réuni pendant les Jeux afin d’en faire un moyen d’intervention. Quatre ans plus tard, le groupe continue à travailler ensemble pour augmenter les possibilités parasportives et promouvoir des politiques qui appuient le développement du parasport dans la province de l’Ontario. Ce type d’engagement avant, pendant et après les Jeux fut essentiel à leur succès et a permis de s’assurer que l’évènement ait des retombées positives.
Regard vers l’avenir
Les grands Jeux multisports qui mettent clairement l’accent sur l’accessibilité et l’inclusion dans tous les aspects organisationnels et administratifs des Jeux sont plus susceptibles d’appuyer le parasport et d’engendrer des changements sociaux durables. À l’approche des Jeux de 2020 à Tokyo, qui possède les ressources pour organiser des Jeux inclusifs, le CO doit encore faire ses preuves concernant l’accessibilité et l’inclusion. En tenant compte des recommandations mentionnées dans cet article, les Canadiens et le reste du monde évalueront la manière dont l’engagement déclaré envers l’accessibilité et l’inclusion sera mis en œuvre pendant les Jeux et pour les legs qui en découleront.