Points saillants
- Le système sportif canadien connaît une forte baisse du nombre d’officiels de match en raison d’une combinaison de facteurs, dont les abus, le manque de soutien des organismes et l’absence de rémunération.
- Dans cet article, des officiels de divers sports à travers le pays partagent leurs points de vue sur la crise de l’arbitrage, y compris des solutions potentielles telles que les programmes de sensibilisation pour les parents et les spectateurs, la signalisation et les programmes de mentorat pour les officiels.
- Les parents, en particulier, jouent un rôle clé en donnant l’exemple d’un comportement approprié dans les estrades, mais ils font souvent partie du problème.
« Ce n’est pas toi qu’ils injurient : c’est ton maillot » est le refrain que Nicole Pagliaro, responsable de la lutte au harcèlement pour la Huronia District Soccer Association, répète à ses jeunes arbitres, afin qu’elles et ils soient armés de défenses mentales pour faire face aux abus.
Mais de moins en moins d’officiels, jeunes et moins jeunes, estiment que les aspects positifs du travail compensent les abus et l’environnement stressant. De plus, la pandémie de COVID-19 a aggravé le déclin du nombre d’arbitres. Aujourd’hui, à travers le Canada, les sports font face à une crise de l’arbitrage.
La pénurie d’officiels de match a été fréquemment évoquée lors du processus de renouvellement de la Politique canadienne du sport comme une situation urgente nécessitant une intervention coordonnée par l’ensemble du secteur. Cet article donne un aperçu du contexte culturel de la pénurie d’officiels au Canada et met en lumière les voix des officiels de match de tout le pays.
S’attaquer à une culture de l’abus
Hockey Canada a signalé une baisse de 33 000 à 16 000 officiels avant et après la pandémie (Fitz-Gerald, 2021). Le soccer ontarien est passé de 8500 officiels en 2019 à 4846 en 2022, dont 2000 nouveaux officiels (Fitz-Gerald, 2022).
Bien qu’il n’y ait pas de recherches multidisciplinaires sur les officiels au Canada, des recherches menées aux États-Unis montrent que, dans une enquête menée auprès de 19 000 officiels du sport, 70 % ont classé « l’amour du sport » comme leur principale raison d’arbitrer, mais 55 % ont classé la violence verbale comme la principale cause des démissions (IUPUI, 2022). L’enquête a également montré que 59 % des officiels ne se sentent pas respectés par les parents ou les spectateurs, et 42 % estiment que les organisations avec lesquelles ils travaillent n’investissent pas suffisamment d’efforts pour lutter contre les comportements toxiques (IUPUI, 2022).
Pagliaro, qui fait également partie du Comité de développement des officiels de match pour Ontario Soccer, explique que les arbitres plus âgés et plus chevronnés ont profité d’un répit pendant la pandémie et ont indiqué qu’elles et ils n’avaient guère envie de revenir. La pandémie a également mis en veilleuse les possibilités de mentorat et de développement des jeunes officiels.
David Hancock, PhD, professeur à l’école de cinétique humaine et loisirs de l’université Memorial de Terre-Neuve, étudie les officiels. Il propose une explication légèrement différente : « Il est facile de dire que les abus sont la raison pour laquelle les officiels abandonnent, mais quelqu’un qui est victime d’abus et qui bénéficie d’un soutien adéquat au sein de son organisation n’est pas vraiment susceptible d’abandonner. Ils sont plus susceptibles d’abandonner pour des raisons comme l’absence de rémunération et le stress du travail lui-même. »
Brooke Briscoe, officielle de basket-ball et ancienne directrice des officiels de Basketball BC, a été confrontée à ces problèmes entremêlés : « La plupart d’entre nous, les officiels adultes, avons un emploi à temps plein. Nous ne sommes pas arbitres pour le salaire, nous le faisons parce que nous aimons le sport. Les matchs ont généralement lieu le vendredi et le samedi soir, ce qui signifie que nous avons travaillé toute la semaine, que nous nous sommes battus contre les embouteillages pour arriver au gymnase une heure plus tôt pour ensuite nous faire abuser verbalement. Puis nous passons une heure ou deux après le match à débreffer et analyser les séquences, pour tenter de nous améliorer. »
Rhonda Pauls, directrice générale de Baseball IPÉ, dit qu’elle comprend pourquoi les jeunes n’affluent pas pour s’inscrire comme arbitres : « Nous avons cette culture d’abus ridicule et de droit des entraîneurs et des fans qui se plaignent et insultent les officiels. Et à l’ère de la caméra vidéo, les gens disent aux officiels “Nous allons vous filmer et vous observer et nous allons publier sur les médias sociaux quand vous faites une erreur et nous allons nous moquer de vous, vous critiquer et vous blâmer”. Qui veut s’impliquer pour ça ? »
Pagliaro prend les choses un peu plus à la légère : « J’ai commencé à arbitrer parce que je m’étais blessée au jeu et je ne voulais pas me blesser à nouveau, mais je voulais continuer à faire partie du jeu. J’aime plaisanter maintenant en disant que depuis que je suis arbitre, la seule chose qui est blessée, c’est mon orgueil. »
Aptitude pour le mentorat
Dans le cadre du processus de renouvellement de la Politique canadienne du sport, les Canadiennes et Canadiens ont pu donner leur avis sur leur vision de l’avenir du sport au Canada. Dans le cadre de ce processus, les officiels et les gestionnaires ont réitéré l’importance des programmes de mentorat pour aider les officiels à faire face aux abus, à travailler à l’amélioration de leurs aptitudes et à sentir qu’ils font partie d’une communauté branchée.
Un programme de mentorat à Edmonton a été crucial à la continuation de Brooke Briscoe en tant qu’arbitre : « On parle constamment du mentorat, mais c’est parce que c’est très important. Il fait partie intégrante de l’aide apportée aux officiels pour qu’ils aient un sentiment d’appartenance, qu’ils se sentent soutenus et qu’ils évoluent. » Lorsque Brooke était rattachée à un mentor, les officiels seniors qui souhaitaient être affectés à des matchs ou des championnats de haut niveau devaient participer au programme de mentorat. Ainsi, le mentorat était ancré dans la structure de formation.
Mais lorsqu’il n’y a déjà pas assez d’officiels pour couvrir les matchs, trouver des personnes supplémentaires pour se tenir sur les côtés afin d’observer, de soutenir et de débreffer avec l’officiel en fonction semble être une utopie pour de nombreuses organisations.
« Ce que les gens n’ont plus, c’est la main-d’œuvre nécessaire pour superviser la programmation », note Rhonda. « De nos jours, nous n’avons pas de personnel rémunéré au niveau des organisations, il n’y a que des bénévoles. Et ils subissent déjà la pression d’être sollicités : “Pouvez-vous s’il vous plaît arbitrer ce match, pouvez-vous s’il vous plaît diriger ce programme, s’il vous plaît donner cette rétroaction, s’il vous plaît faire cette paperasse, s’il vous plaît conduire trois heures jusqu’à cet endroit parce que nous n’avons personne pour le couvrir”, pour ensuite vous faire manquer de respect pendant que vous êtes là… »
David Hancock note que les efforts de recrutement et de rétention (tels que les programmes de mentorat) visant à diversifier les cohortes officielles sont essentiels. « Trop peu d’organisations sportives font quelque chose pour recruter des personnes qui pourraient ne pas être des hommes blancs. Dans les sports d’équipe traditionnels, 10 % environ des officiels sont des femmes. Si vous voulez remédier à la pénurie d’officiels et que vous pouviez porter ce chiffre à 30 %, vous feriez un grand pas en avant. »
Mais les femmes et les officiels racisés sont davantage exposés aux abus sexistes et racistes.
Ce constat rejoint les appels plus généraux lancés par les participantes et participants et les parties prenantes au processus de renouvellement de la Politique canadienne du sport en faveur d’une augmentation de la formation à la lutte contre le racisme et des efforts en matière de diversité dans les organismes sportifs.
Nicole Pagliaro est toujours déconcertée par les façons dont le genre se manifeste sur le terrain. Les spectateurs crient aux joueurs d’écouter madame l’arbitre, « et je me demande pourquoi on ajoute “madame” à l’avant », dit-elle.
Le rôle des parents
Les parents ont un rôle clé à jouer dans la modélisation d’un comportement respectueux dans les estrades, mais ils font souvent partie du problème. C’est pourquoi Nicole estime que les matchs de jeunes sont difficiles à gérer.
« Je trouve que plus la tranche d’âge est jeune, plus les spectateurs sont erratiques, explique-t-elle. Je suis allée à un festival des moins de 12 ans le week-end dernier. C’était le tout premier match de la matinée. Nous étions à court d’arbitres. Nous n’en avions pas assez pour couvrir les matchs. Nous étions déjà en train de nous surmener. Lors de mon tout premier match, il y a eu une décision de hors-jeu et je ne l’ai pas bien vue. Tout le camp s’est levé et m’a injuriée. »
Nicole s’est donc adressée directement aux spectateurs : « Je me suis approchée et je leur ai dit “La raison numéro un pour laquelle nous avons une pénurie d’officiels dans la province de l’Ontario aujourd’hui, c’est l’abus. Moi, je suis ici aujourd’hui. Notre équipe couvre 47 matchs aujourd’hui et nous le faisions sans arbitres adjoints parce que nous n’arrivions pas à en faire venir suffisamment. J’apprécie votre soutien. Je vais prendre de bonnes décisions et je vais en manquer. Mais j’ai besoin que vous compreniez que nous faisons de notre mieux aujourd’hui. S’il vous plaît, travaillons ensemble.” »
Les officiels de match sont formés pour ne pas parler aux parents, car les joueurs et les entraîneurs, et non les parents, sont sous leur responsabilité. La chaîne d’engagement normale serait qu’un arbitre parle à l’entraîneur d’un spectateur ou d’un parent qui dépasse les bornes, et que l’entraîneur leur parle.
Mais ce jour-là, Nicole a estimé qu’il était important que les spectateurs sachent où elle voulait en venir. Et les spectateurs ont répondu de la même manière : « Des parents applaudissaient et criaient “Yeah l’arbitre !”. »
Colin Cameron, arbitre en chef du Milton Youth Soccer, et Pauls sont tous deux tombés (ou revenus) dans l’arbitrage en raison de leur rôle de parents. Cameron a commencé à arbitrer lorsqu’il était adolescent, mais a cessé lorsqu’il est entré à l’université, car il n’y avait pas de possibilité de progression. Vingt-cinq ans plus tard, il a repris la formation, cette fois avec son enfant aîné, en partie par amour du jeu, et en partie par désir de protéger son fils : « Je me suis souvenu des aspects difficiles de la fonction d’arbitre de mes débuts en tant qu’adolescent. Il y avait une partie de moi en tant que parent qui voulait être là pour mon fils. »
La carrière d’arbitre de Rhonda Pauls a commencé par erreur, lorsqu’aucun officiel ne s’est présenté à l’un des matchs de baseball de son enfant. Elle a donc arbitré le match elle-même. Elle a ensuite progressé jusqu’à devenir arbitre internationale et s’est engagée auprès de Baseball Canada.
Le fait d’être à la fois parents et officiels permet à Cameron et Pauls de parler aux autres parents de l’interaction avec les officiels de match.
« Je regardais l’un de nos jeunes arbitres et le parent de l’arbitre est venu me voir, raconte Cameron. Elle m’a dit “Vous savez, Colin, regarder ma fille arbitrer m’a changée. Avant, j’étais le parent qui criait à l’arbitre qu’il avait commis une erreur. Maintenant, tout ce que je peux faire quand je regarde l’arbitre et que j’ai envie de crier, c’est de penser à mes filles. Maintenant, je dis aux autres parents qui se mettent en colère de se taire.” L’un de ses amis proches dans le cercle des parents lui a dit “Tu as changé. Qu’est-ce qui se passe ?” Et elle a répondu “Tu n’as aucune idée de ce que c’est que d’être un arbitre.” »
La voie à suivre
Il existe des programmes qui cherchent à lutter contre les abus des arbitres, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire pour améliorer le nombre et les expériences des officiels sportifs au Canada.
Par exemple, vous avez peut-être vu des officiels de première année ou des arbitres de moins de 18 ans porter un brassard ou une chemise de couleur pour les identifier comme étant “en formation”. Bien que ce soit une bonne idée d’essayer de protéger les officiels vulnérables, des initiatives comme celles-ci peuvent avoir des conséquences inattendues.
« L’Europe fait cela depuis quelques années maintenant, et ce qu’on semble constater, c’est que cela diminue un peu les abus envers les mineurs, mais que cela augmente les abus pour les autres personnes, explique Hancock. Si vous avez 18 ans et plus, vous ne pouvez plus porter le brassard vert. Et maintenant, votre abus est un peu plus marqué qu’il ne l’aurait été avant la mise en place du programme. »
Ici, au Canada, Sport Manitoba a lancé une campagne « No Ref, No Game » (Pas d’arbitre, pas de jeu) en 2020 pour attirer l’attention sur les mauvais traitements infligés aux officiels. La campagne a gagné en popularité, et de nombreux médias se sont manifestés, désireux de faire passer le message sur la nécessité de respecter les officiels de match. En 2021, Sport Manitoba a modifié la campagne #NoRefNoGame pour se concentrer sur le recrutement d’officiels.
La signalisation autour des terrains, des courts et des patinoires, rappelant aux spectateurs d’être respectueux des officiels de match, est également utile. Lors des séances d’engagement pour le renouvellement de la politique canadienne du sport, les officiels ont également suggéré l’établissement d’une association nationale d’officiels, comme l’Association canadienne des entraîneurs, afin de fournir un centre unique de soutien, de formation et d’information.
De nombreux officiels désignent les entraîneurs, ainsi que les parents, comme des acteurs clés dans la lutte contre les abus des officiels.
Hancock raconte : « Lorsque je jouais au hockey à l’école secondaire, il y a des dizaines d’années, j’avais un entraîneur qui nous disait “Vous ne dites rien à l’arbitre à part ‘Hé, comment ça va ?’” Si vous étiez impoli envers l’arbitre, vous étiez assis le reste du match. Aucun d’entre nous ne s’est jamais plaints. Nous avons besoin que les entraîneurs prennent le leadership dans ce domaine pour changer la culture. »
Hancock organise souvent des ateliers avec des athlètes également : « Je leur demande “Combien d’erreurs votre équipe commet-elle par match ?” Ils me répondent “Je ne sais pas, peut-être 50 ?” Puis je leur demande “Combien l’arbitre en fait-il ? Si l’arbitre a un très mauvais match, c’est peut-être 10. Ne vous concentrez donc pas sur les erreurs d’une seule personne plus que sur celles de votre propre équipe.” »
De nombreuses organisations disposent déjà de codes de conduite, mais le problème réside surtout dans l’application de ces codes ou dans le manque de clarté quant à ce qui dépasse les limites de l’inacceptable. Il pourrait être utile que des représentants des organisations sportives assistent aux événements et réprimandent les spectateurs abusifs, mais là encore, les organisations gérées par des bénévoles sont déjà à court de ressources humaines.
« Il suffit de penser à la campagne de promotion de la sécurité dans le sport dans laquelle nous nous trouvons et à toute la formation que les gens doivent suivre pour devenir un entraîneur ou un officiel qui travaille avec les jeunes, note Pauls. La nécessité d’un environnement sportif sécuritaire pour les officiels, y compris, mais sans s’y limiter, pour les jeunes officiels, n’a pas été soulignée. »
L’essentiel est que les organisations sportives, les parents, les entraîneurs et les athlètes doivent travailler ensemble avec les officiels pour lutter contre les abus. Comme le décrit Briscoe : « La baisse du nombre d’officiels n’est pas un problème d’officiels. C’est un problème de culture sportive. »
Et malheureusement, le problème ne va qu’empirer. Selon une enquête menée auprès des officiels par Officially Human (2022), une organisation américaine qui se consacre au respect et au traitement positif des officiels du sport, 50 % des officiels ont 55 ans ou plus, et seulement 12 % ont moins de 34 ans. De plus, 45 % d’entre eux déclarent qu’il leur reste moins de six années d’activité en tant qu’officiels.
Bien que ces chiffres soient américains, Hancock prévient que le Canada est dans une situation similaire : « Nous ne voyons que la pointe de l’iceberg ici. »
Comme le résume la campagne « No Ref No Game » de Sport Manitoba, les officiels de match sont essentiels au fonctionnement du système sportif canadien. Les organisations sportives, les parents, les athlètes et les spectateurs mettront en danger leurs propres expériences sportives s’ils ne s’attaquent pas aux problèmes auxquels les officiels de match sont confrontés en matière d’abus, de soutien et de rémunération.