
Faits saillants :
- La notion de talent sportif, ainsi que son identification et son développement, est d’une grande complexité. Il est pratiquement impossible de prévoir quels enfants et jeunes parviendront un jour aux niveaux les plus élevés du sport.
- Dans le soccer juvénile, les systèmes d’identification et de développement des talents (SIDT) sont souvent exclusifs et inaccessibles pour de nombreux jeunes Canadiens. Ces barrières, tant structurelles que sociales, favorisent disproportionnellement les joueurs issus de milieux socio-économiques élevés dans les grandes villes comme Toronto, Vancouver et Montréal.
- Pour maximiser le nombre de joueurs accédant aux plus hauts niveaux du sport, un changement culturel est indispensable. Ce changement doit inclure une reconnaissance de la diversité des joueurs et encourager l’équité et l’inclusion dans les SIDT, afin de rendre le parcours vers l’élite sportive accessible à un plus large éventail de jeunes talents.
Systèmes d’identification et de développement des talents
« Il est inacceptable qu’un joueur comme Moise Bombito ne soit découvert qu’à l’âge de 23 ans. J’ai entraîné certains des meilleurs défenseurs centraux du monde, et son niveau de talent se situe dans cette catégorie… Nous devons identifier le prochain Moise Bombito dès l’âge de 15 ans. Nous devons savoir exactement qui il est et être capables de l’amener au niveau professionnel à 17 ou 18 ans, pour qu’à 24 ou 25 ans, il joue dans un club du top 10 mondial.
Nous devons, en tant que communauté du soccer canadien, trouver des moyens de mieux collaborer, d’identifier les joueurs et de les confronter à des défis d’un niveau supérieur à ceux qu’ils ont rencontrés jusqu’ici. Comment mettre en place une meilleure infrastructure… Nous devons faire en sorte que les joueurs soient identifiés et développés à 16, 17, 18 ou 19 ans plutôt qu’à 22, 23 ou 24 ans. » – Jessie Marsch, entraîneur de l’équipe nationale masculine du Canada, interrogé sur la détection des talents à Canada Soccer – juillet 2024
À la fin du tournoi international de soccer masculin de la Copa America l’été dernier, l’entraîneur en chef de l’équipe nationale masculine senior du Canada, Jessie Marsch, a été questionné par les médias sur la détection et le développement des talents au sein de Canada Soccer. Selon lui, la communauté du soccer canadien doit améliorer son approche pour identifier et développer les talents, afin de mieux exploiter le vaste réservoir de jeunes Canadiens qui pratiquent ce sport.
Les systèmes d’identification et de développement des talents (SIDT) sont couramment utilisés dans le sport pour repérer et former les enfants et les jeunes vers des niveaux de performance élevés (Rongen et coll., 2018). Ils reposent sur divers modèles de développement de l’athlète qui définissent le talent comme une voie structurée menant à l’excellence sportive. Cependant, comme l’ont souligné de nombreux entraîneurs, dont Marsch, trouver ou former la prochaine « superstar » est loin d’être simple. La progression dans un SIDT n’est pas linéaire; elle est pleine de complexités et influencée par les jugements subjectifs des entraîneurs. Ces défis sont particulièrement prononcés dans les sports d’équipe multidimensionnels comme le soccer, où des facteurs physiques, psychologiques et sociaux se combinent, rendant la prédiction du talent ou du potentiel intrinsèquement difficile (Till et Baker, 2020).
L’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) au sein du SIDT
Sport Canada reconnaît que l’avancement de l’équité, de la diversité et de l’inclusion (EDI) est essentiel pour améliorer le sport au Canada (Gouvernement du Canada, n.d). Il définit l’EDI comme la démarche visant à identifier et à réduire les inégalités et les injustices présentes dans le sport, tout en favorisant des environnements inclusifs et en offrant des opportunités aux communautés sous-représentées. Les discussions sur l’intégration de l’EDI dans les SIDT peuvent être polarisantes, particulièrement dans les sports de la jeunesse, où la pression pour identifier et former les jeunes athlètes talentueux en vue d’une performance élite est de plus en plus forte.
En Amérique du Nord, le sport pour les jeunes est fortement influencé par des intérêts commerciaux, le consumérisme et le professionnalisme. Le paysage a évolué vers un environnement hautement compétitif, où les enfants et les jeunes sont de plus en plus souvent étiquetés comme de futures superstars du sport, parfois dès leur plus jeune âge, par leurs parents et entraîneurs. L’importance croissante des SIDT dans le sport juvénile ne reflète pas seulement la valeur culturelle accordée à la réussite sportive, mais aussi les ambitions grandissantes des jeunes et de leurs familles à atteindre leur plein potentiel, quel qu’en soit le coût pour eux-mêmes ou pour les autres.

Bien qu’une approche holistique et écologique, axée sur la création d’environnements favorables et adaptés à l’âge, ait été recommandée pour soutenir la participation et maximiser le développement des athlètes (Larsen et coll., 2013; Henrikson et Stambulova, 2017), les SIDT demeurent souvent très exclusifs et inaccessibles pour de nombreux jeunes athlètes en herbe en raison d’inégalités systémiques et des pressions exercées par les adultes. Compte tenu de la nature complexe et imprévisible des SIDT, que peuvent faire les entraîneurs pour s’assurer que tous les jeunes joueurs bénéficient d’opportunités significatives et personnellement enrichissantes pour atteindre leur plein potentiel?
Comprendre comment faire progresser davantage d’athlètes grâce aux SIDT
Dans notre étude récente, nous avons cherché à comprendre comment les organismes de sport pour les jeunes pouvaient améliorer le développement et l’avancement des athlètes les plus talentueux. Nous avons interrogé 16 entraîneurs de jeunes joueurs de soccer titulaires d’une licence nationale, provenant de quatre régions du Canada, ayant tous travaillé dans des clubs de jeunes joueurs de soccer communautaires de haut niveau, dans des académies de jeunes affiliées à des équipes professionnelles ou dans des programmes de l’équipe nationale de jeunes de Soccer Canada. Dans la plupart des cas, les décisions finales concernant le développement des jeunes joueurs reposent traditionnellement sur l’évaluation de l’entraîneur. Le soccer, un sport où la participation des jeunes est traditionnellement élevée au Canada, représentait un contexte intéressant pour cette étude, étant donné que peu de joueurs parviennent à progresser dans le SIDT canadien jusqu’aux plus hauts niveaux de compétition.
Nos conclusions indiquent qu’en intégrant l’EDI dans la conception et la mise en œuvre des processus de détection et de développement des talents, le SIDT peut offrir un accès élargi à des opportunités de qualité pour un plus grand nombre d’enfants et de jeunes. En gardant le SIDT ouvert au plus grand nombre possible de jeunes, et ce, le plus longtemps possible, nous augmentons les chances pour davantage de joueurs d’atteindre des niveaux plus élevés dans le sport. Les connaissances pratiques et solutions dégagées dans cette étude sont applicables à divers sports de jeunes ainsi qu’à la conception de programmes d’éducation physique, car les complexités, influences et défis rencontrés dans le SIDT se retrouvent également dans d’autres contextes.
Ce que les entraîneurs ont partagé sur les SIDT dans le sport de jeunes au Canada
- Les perspectives et priorités centrées sur les adultes freinent les SIDT : Les indicateurs de talent et de potentiel sont très subjectifs, dépendant souvent de l’entraîneur, de sa philosophie et du profil de joueur qu’il recherche. Les priorités organisationnelles semblent incohérentes et sont fréquemment influencées par des valeurs centrées sur l’adulte, des dynamiques politiques et des objectifs commerciaux, tels que la mentalité du « gagner à tout prix ». Dans de nombreuses organisations, la prise de décision est davantage orientée vers les affaires que vers le développement du joueur. Les philosophies des clubs changent souvent en raison de l’influence de parents au sein des conseils d’administration ou dans les rôles d’entraîneurs, ce qui influe sur le fonctionnement des programmes ou clubs dans l’intérêt de leurs propres enfants.
- Les compétences socio-émotionnelles sont essentielles pour réussir dans les SIDT : La gestion du temps, la discipline, l’engagement, la fiabilité, le travail d’équipe, l’autorégulation, l’attention et l’autoréflexion sont des compétences clés pour prospérer dans ces environnements exigeants. Le lien social, le sentiment d’appartenance et des relations positives contribuent grandement à améliorer les performances et à maintenir un engagement durable dans le sport. Les joueurs qui se sentent valorisés et à l’aise dans leur environnement gagnent en confiance et performent mieux. Les entraîneurs jouent un rôle crucial dans le soutien du bien-être social et émotionnel des jeunes joueurs, en créant des environnements où ils peuvent faire des erreurs sans jugement, exprimer leur créativité et développer des compétences de vie essentielles.
- Les SIDT sont excluants et inaccessibles pour de nombreux jeunes joueurs : L’intersection de nombreux agents sociaux a créé une exclusion généralisée. Les coûts élevés de la pratique du soccer de compétition dans les ligues obligatoires des SIDT ont empêché toute possibilité de participation. Les organisations sont souvent obligées de transférer des coûts de fonctionnement élevés sur les joueurs, et la participation à des compétitions de qualité nécessite des déplacements coûteux. Le lieu de naissance et le lieu de résidence limitent considérablement les possibilités des SIDT, car seuls certains enfants et jeunes des grands centres ont accès à ce qui est considéré comme un environnement d’entraînement optimal (par exemple, les programmes de Canada Soccer et de la MLS). La centralisation des ressources limitées dans les grands centres crée des difficultés importantes pour les joueurs résidant en milieu rural ou dans les petites provinces. Il y a un manque de points d’entrée et de retour pour les enfants et les jeunes dans les SIDT, ce qui fait que beaucoup d’entre eux doivent déménager avant d’être socialement développés, parfois dans un autre pays, pour poursuivre le soccer.
- L’exclusion sociale des joueurs en fin de développement : Il existe un manque systémique de tolérance envers les joueurs en retard de développement. Les décisions précoces favorisant les joueurs plus développés physiquement et/ou socialement, ainsi que ceux naturellement athlétiques, conduisent souvent à placer les joueurs en développement tardif dans des ligues moins structurées, où ils reçoivent moins d’attention et de ressources. De plus, les organisations et les clubs sélectionnent fréquemment des joueurs dès l’âge de 8 ou 9 ans pour des viviers de talents ou des équipes de voyage, ce qui entraîne la désélection et l’abandon précoce de jeunes talents. Les catégories d’âge rigides limitent la création d’environnements adaptés au développement des enfants et des jeunes.
Moyens pratiques de créer une culture d’EDI pour toutes les capacités, à tous les stades du SIDT
Pour faire progresser le SIDT dans le sport de la jeunesse, les entraîneurs estiment que le système devrait intégrer les principes directeurs de l’EDI à tous les stades du SIDT.

- Aligner les perspectives et les priorités des parties prenantes pour maximiser le SIDT : L’alignement du système a été difficile en raison de la forte dépendance envers les parents ou les bénévoles manquant d’expérience en développement des jeunes. Cela met en lumière la nécessité d’une formation renforcée pour les entraîneurs, centrée sur le développement des jeunes, ainsi qu’une communication continue entre les entraîneurs, les parents et les bénévoles. Les organisations doivent être tenues responsables des programmes qu’elles offrent et des politiques qu’elles mettent en place. Elles doivent également encourager la collaboration entre elles plutôt que de favoriser la concurrence.
- Aborder l’incidence des agents sociaux sur la participation au SIDT : Investir dans le SIDT sous un angle basé sur l’EDI peut améliorer l’accès à des opportunités de développement significatives pour un plus grand nombre de joueurs. Les organisations sportives pour la jeunesse doivent favoriser le développement à long terme des jeunes joueurs en leur offrant davantage de points d’entrée et de retour dans le SIDT. La décentralisation des ressources pour garantir un accès élargi à des installations, un encadrement et des compétitions de qualité est également essentielle afin d’offrir aux joueurs de toutes les régions des opportunités équitables de progresser, sans avoir à déménager à un jeune âge pour accéder à des opportunités d’entraînement adaptées.
- Augmenter l’exposition à des expériences de SIDT significatives : La création de systèmes flexibles à plusieurs niveaux qui favorisent des formes saines de compétition et d’apprentissage améliore les performances et soutient la participation à long terme. Il est essentiel que les environnements de développement des talents favorisent des environnements de soutien pour tous les joueurs, où ils sont valorisés au-delà de leurs performances actuelles et où ils bénéficient d’une planification individualisée pour soutenir leur développement (ou leur croissance). Les entraîneurs devraient utiliser des approches adaptatives et différenciées de l’apprentissage qui encouragent les comportements pro-sociaux, en créant davantage de liens sociaux et des relations plus saines qui soutiennent la participation et améliorent les performances.
- Reconsidérer l’offre de sports pour la jeunesse : Les sports pour la jeunesse continuent de s’orienter vers des environnements coûteux, soumis à une forte pression, et dominés par les valeurs et priorités des adultes. Les enfants et les jeunes ont besoin d’environnements psychologiquement sûrs où ils peuvent explorer leurs talents, faire des erreurs, exprimer leur créativité et acquérir de l’autonomie dans leur développement. En mettant l’accent sur des expériences amusantes, pertinentes sur le plan personnel et significatives à chaque étape du développement, on peut favoriser la participation au sport, permettre aux jeunes de se défendre et offrir à chacun les meilleures chances de réussite.
Mot de la fin : Le sport de la jeunesse inclusif et accessible est le fondement de la haute performance
L’objectif de tout organisme sportif est d’établir un système de gestion des talents qui produise constamment des résultats satisfaisants. Compte tenu de la complexité et de la nature individualisée du développement des jeunes athlètes, les systèmes de prestation de services sportifs devraient privilégier la création d’expériences amusantes (Visek et coll., 2017), agréables (Ramer et coll., 2021) et significatives (Fletcher et Ní Chróinín, 2022) pour tous, indépendamment des capacités et à tous les stades de développement.
De plus, l’investissement et l’allocation des ressources doivent être orientés vers la promotion de l’équité sociale dans les SIDT. Les processus actuels d’identification et de développement des talents mettent souvent l’accent sur la sélection de quelques joueurs physiquement et socialement avancés pour leur catégorie d’âge, ce qui est une erreur, car cette approche risque d’ignorer de nombreux autres individus talentueux.
En gardant les SIDT ouverts le plus longtemps possible et pour le plus grand nombre de joueurs, nous offrons aux enfants et aux jeunes la possibilité de dévoiler la meilleure version de leur personnalité athlétique. L’instauration d’une culture de haute performance et durable au sein des SIDT, qui propose des expériences positives et nourrit les jeunes en tant qu’individus à part entière, peut favoriser l’intégration de talents divers et encourager la persévérance dans le sport.