
Chaque année, au Canada, plus de 200 000 athlètes subissent une commotion cérébrale. Ces chiffres sont frappants, tout comme le fait que, jusqu’à récemment, les plus jeunes athlètes étaient pratiquement absents des recherches et des discussions publiques sur ce type de blessures.
La Dre Miriam Beauchamp est professeure à l’Université de Montréal, chercheuse à l’Hôpital Sainte-Justine et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en traumatismes crâniens pédiatriques. Elle dirige le Laboratoire de neuropsychologie du développement et a publié plus de 210 articles scientifiques sur les commotions cérébrales et le développement de l’enfant.
Elle souligne que, si les commotions cérébrales sont souvent associées aux joueurs de hockey professionnels ou aux athlètes d’élite, le risque est tout aussi réel – et trop souvent négligé – chez les enfants de moins de six ans.
« Ces enfants sont le groupe le plus à risque, car ils tombent souvent, explique Mme Beauchamp. C’est normal : ils apprennent à marcher, ils découvrent leur environnement. Mais de plus en plus de ces jeunes enfants font aussi partie de groupes sportifs, parfois dès l’âge de trois, quatre ou cinq ans. Ils jouent sur des terrains de jeu, participent à des activités organisées, et il arrive que des blessures surviennent. »
Selon elle, le défi vient du fait que les commotions cérébrales se présentent différemment chez les enfants, et que les parents comme les soignants ne savent pas toujours quels signes surveiller.
Des chambres obscures à la récupération active
Pendant des années, la recommandation standard après une commotion cérébrale était un repos strict. Les médecins conseillaient aux athlètes d’éviter l’école, les écrans, le sport et, parfois même, de rester confinés dans une pièce sombre jusqu’à la disparition des symptômes.

Selon la Dre Beauchamp, cette approche a radicalement évolué.
« Depuis 2023, les recommandations en matière de rétablissement ont changé. Nous étions auparavant très passifs. Nous demandions aux jeunes de se reposer plusieurs jours dans une pièce sombre , explique-t-elle. « Aujourd’hui, c’est complètement différent. Nos recommandations sont beaucoup plus nuancées et surtout plus actives. »
La nouvelle approche privilégie un repos relatif durant les 48 premières heures, en évitant les activités physiques intenses ou la reprise immédiate du sport, mais en permettant les activités quotidiennes normales à la maison. Ensuite, les enfants sont encouragés à reprendre progressivement leurs activités physiques et intellectuelles, tout en surveillant de près leurs symptômes.
Comme pour une blessure musculo-squelettique, il n’est pas recommandé de laisser la partie touchée immobilisée trop longtemps, explique Mme Beauchamp. Souvent, on a recours à la physiothérapie et à certaines activités pour favoriser la guérison. Il en va de même pour le cerveau : il doit être stimulé progressivement afin de s’adapter.
Les recherches sont claires : un isolement prolongé a des effets négatifs, notamment sur la santé mentale des enfants. Un retour modéré et progressif à l’école, aux jeux et aux interactions sociales est désormais considéré comme la meilleure pratique.
Qu’en est-il des écrans?

L’une des questions les plus fréquentes que se posent les parents après une commotion cérébrale concerne le temps passé devant les écrans. Téléphones, tablettes, ordinateurs et jeux vidéo occupent une place centrale dans la vie quotidienne des enfants, et de nombreux parents se demandent si cela ralentit la guérison.
Selon Mme Beauchamp, tout est une question de modération. « Au cours des 48 premières heures, il semble bénéfique de réduire l’exposition aux écrans. Par la suite, une utilisation modérée est acceptable et ne compromet pas significativement le rétablissement. »
Elle souligne que la clé réside dans la surveillance des symptômes. « Si l’enfant présente beaucoup de symptômes liés à sa commotion, il faut être conscient qu’on en fait peut-être un peu trop, puis accorder une autre journée de repos relatif, attendre avant de reprendre d’autres activités, et recommencer. Parce que 24 heures plus tard, un jour ou deux plus tard, on réessaie : c’est comme un test. »
Repérer les commotions cérébrales chez les enfants d’âge préscolaire
Reconnaître une commotion cérébrale chez un adolescent capable de dire qu’il se sent étourdi ou nauséeux est une chose. Mais comment la détecter chez un enfant en bas âge?
Même ceux qui parlent peuvent ne pas avoir le vocabulaire nécessaire pour exprimer ce qu’ils ressentent.

Un enfant de trois ou quatre ans, par exemple, peut ne pas connaître le mot « confus », note la Dre Beauchamp. « Il ne saura peut-être pas dire “j’ai la nausée”. Mais il se peut qu’il refuse de manger, qu’il ait moins d’appétit. Même un nourrisson peut refuser de téter. Cela peut donc être un signe de nausée chez un jeune enfant. Nous devons être très attentifs à ces indices. »
« Il ne s’agit pas de transformer les parents ou les éducateurs en médecins », précise-t-elle. « L’important est d’observer les changements significatifs et de savoir quand consulter un professionnel de la santé. »
La blessure invisible
L’un des aspects les plus difficiles du rétablissement après une commotion cérébrale, surtout pour les enfants impatients de retourner jouer, est que la blessure est invisible.
« Quand vous vous cassez le bras, vous avez un plâtre. Tout le monde peut voir la blessure, explique Mme Beauchamp. « Mais une commotion, ça ne laisse pas de bandage sur la tête. Le cerveau est complexe, et une commotion peut affecter les fonctions motrices, cognitives, psychologiques et émotionnelles. Chaque commotion est différente. »
Cette variabilité rend le rétablissement frustrant. Certains enfants se rétablissent en quelques jours, d’autres auront besoin de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois.
« Il est important de se rappeler que les symptômes qui suivent une commotion cérébrale sont normaux, tout comme la douleur est normale après une entorse, souligne Mme Beauchamp. « La patience est essentielle. Chaque commotion est unique, et comparer son rétablissement à celui de quelqu’un d’autre n’apporte rien. »
Pourquoi la recherche est-elle importante?
Bon nombre des recommandations mises à jour qui guident aujourd’hui le traitement des commotions cérébrales proviennent directement de nouvelles recherches. Mais la Dre Beauchamp avertit que la baisse du financement au Canada menace les progrès réalisés.
« Les conséquences sont énormes, dit-elle. Sans financement, nous ne pouvons pas mener les recherches de pointe qui conduisent à ces découvertes importantes, comme celles qui ont mené à la révision des recommandations il y a deux ans, par exemple. Tout cela repose sur la recherche, c’est pourquoi nous pouvons avoir confiance dans les changements et dans l’évolution des lignes directrices. »
Elle souligne un autre défi : la fragmentation. Une multitude d’informations existent à travers le Canada, mais elles sont éparpillées.
« Il peut être difficile, même pour les experts – et encore plus pour la communauté – de savoir où trouver ces informations. Avec davantage de ressources, nous pourrions diffuser un message plus clair et plus cohérent partout au pays. Tout le monde, qu’il s’agisse des parents, des entraîneurs, des éducateurs ou des professionnels de la santé, doit être sur la même longueur d’onde. »
Pourquoi il est important de se tenir au courant
La science des commotions cérébrales est encore en pleine évolution. Les recommandations peuvent changer rapidement à mesure que de nouvelles preuves émergent.
Il existe des lignes directrices distinctes pour les adultes et pour les enfants au Canada, Mme Beauchamp. Chaque fois qu’une étude scientifique importante est publiée, les experts réévaluent si les recommandations doivent être ajustées. C’est pourquoi il est essentiel que tous les acteurs du milieu sportif restent informés. Sinon, on risque de donner des conseils qui pourraient être plus nuisibles que bénéfiques.
Pour les parents, les entraîneurs et les athlètes, cela signifie qu’il faut consulter régulièrement les ressources officielles et éviter de se fier à des conseils dépassés qui continuent de circuler dans les communautés.
La voie à suivre
Mme Beauchamp espère que les discussions sur les commotions cérébrales dépasseront le cadre des athlètes d’élite pour toucher aussi les terrains de jeux, les ligues communautaires et les groupes sportifs préscolaires.

La sensibilisation progresse. Les lignes directrices évoluent. Mais la protection des jeunes athlètes exige une vigilance et un investissement constants.
Pour l’instant, elle souhaite que les parents retiennent deux choses : les commotions cérébrales chez les jeunes enfants sont bien réelles, et la guérison est possible.
Pour plus d’informations et de ressources sur les commotions cérébrales :
- https://sirc.ca/fr/la-securite-dans-le-sport/commotion-cerebrale/
- Réseau canadien des commotions cérébrales
- Lignes directrices évolutives pour les commotions cérébrales pédiatriques
- Lignes directrices canadiennes sur les commotions cérébrales dans le sport
Pour en savoir plus sur les travaux et les recherches de Mme Miriam Beauchamp :