
La première fois que j’ai mis les pieds sur le terrain en tant qu’athlète sourd, je ne faisais pas que concourir. Je me sentais à ma place. Je me suis senti lié à la communauté des sourds qui m’entourait. La beauté de la langue des signes était reconnue, et un véritable sentiment de famille régnait. Mais l’appartenance devient complexe lorsque les personnes sourdes (1) ne sont perçues qu’à travers le prisme médical ou d’accessibilité. C’est une forme de capacitisme (2) : la discrimination et les préjugés envers les personnes dont le corps ou l’esprit sont considérés comme « différents », dévalorisant ainsi toute personne qui ne correspond pas à l’idée dominante de la « normalité ». Les institutions traditionnelles aiment se féliciter lorsqu’elles fournissent des appareils comme des prothèses auditives, des implants cochléaires ou des interprètes pour « intégrer » les personnes sourdes. Pourtant, elles posent rarement des questions plus profondes sur la culture des sourds (3), l’identité et le leadership. Qui peut diriger? Qui peut être vu? Et qui est laissé de côté?
L’Association des sports des sourds du Canada (ASSC) joue un rôle essentiel en soutenant les athlètes sourds, en créant des opportunités de compétition et en encourageant leur développement. Mais un manque persiste. Comme beaucoup d’organisations sportives, des progrès restent à faire en matière de leadership, de financement et de politiques. Plus encore, la diversité au sein de la communauté sourde, notamment celle des personnes sourdes issues de milieux racialisés, est souvent ignorée. Ces voix sont encore exclues des rôles de leadership et de prise de décision. Il ne s’agit pas seulement d’inclure les personnes sourdes. Il s’agit de reconnaître pleinement la diversité au sein même de la culture des sourds : les différentes langues, identités, origines et expériences qui façonnent qui nous sommes.
Ce problème ne se limite pas au Canada. Lorsque j’ai travaillé avec UK Deaf Sport (UKDS), j’ai constaté les mêmes défis : un manque de diversité dans le leadership, une compréhension culturelle limitée au sein de l’encadrement, et un accent sur l’accessibilité qui occultait la richesse de la culture des sourds. Par exemple, des décisions étaient prises sans réelle représentation d’athlètes sourds issus de milieux divers, notamment aux niveaux de la direction et des politiques. La véritable inclusion ne consiste pas seulement à fournir un accès, mais à s’assurer que toutes les voix sourdes sont valorisées et entendues. Ces expériences m’ont montré qu’au Canada comme au Royaume-Uni, les organisations sportives des sourds – en particulier celles qui ne sont pas dirigées par des personnes sourdes – partagent les mêmes défis : dépasser une inclusion de façade pour parvenir à une représentation authentique qui reflète la diversité des communautés qu’elles prétendent servir. Bien que les sports des sourds soient étudiés depuis plus de 30 ans (Stewart, 1991), les discussions sur la race, le leadership et l’exclusion systémique restent largement absentes. De plus, les Sourdlympiques, pourtant reconnus par le Comité international olympique (CIO), restent invisibles dans les médias grand public. Cette absence de couverture réduit la visibilité des athlètes sourds aux niveaux national et international et envoie un message clair : l’excellence des sourds dans le sport n’est pas jugée digne d’être célébrée.
Ces expériences m’ont inspiré à poursuivre une recherche doctorale afin de mieux comprendre et exposer les lacunes en matière de sport, de leadership, de représentation et d’inclusion des sourds. Dans des travaux antérieurs, j’ai écrit sur la manière dont le sport a sauvé ma vie en tant qu’athlète sourd (Irish et coll., 2018). Pourtant, il peut aussi générer un sentiment d’aliénation, car être constamment en marge est une réalité pesante. Le sport me permet de m’évader et de me concentrer. Quand je prends un ballon de basketball, il n’y a que moi, le ballon et le panier. Le reste du monde disparaît. En grandissant comme athlète sourd, je me suis souvent senti négligé et incompris. Un jour, un entraîneur n’a pas su communiquer avec moi ni adapter l’entraînement, me mettant ainsi à l’écart, tant physiquement qu’émotionnellement. Ces expériences ont éveillé ma passion pour la reconnaissance et le traitement des athlètes sourds dans le sport traditionnel. Dans ma recherche sur les athlètes noirs sourds et leurs expériences sportives (Irish et coll., 2022), j’ai exploré comment la race et le handicap créent des défis uniques. L’une des principales conclusions est la catégorisation raciale du sport, qui reflète les stéréotypes et préjugés de la société. Par exemple, le basketball et la course à pied sont souvent perçus comme des « sports noirs », tandis que la natation est généralement considérée comme un « sport blanc ». Ce clivage racial limite les opportunités des athlètes qui ne correspondent pas à ces attentes. Les athlètes noirs sourds vivent cette marginalisation de manière encore plus marquée : non seulement leur race les rend vulnérables aux stéréotypes, mais leur surdité ajoute une couche supplémentaire d’exclusion. En conséquence, leurs besoins sont souvent ignorés par les entraîneurs et leurs coéquipiers, renforçant leur isolement. Cette recherche démontre que l’intersection entre la race et le handicap complique l’expérience des athlètes et rend plus difficile leur inclusion et leur soutien. L’objectif est de mettre en lumière ces obstacles et de promouvoir des environnements sportifs plus inclusifs, où chaque athlète peut s’épanouir, indépendamment de sa race ou de son handicap.


Pourtant, ces conversations critiques restent largement ignorées. Grâce à de futurs entretiens avec des athlètes sourds et des professionnels du sport, à l’observation des participants et à ma propre expérience en tant qu’athlète sourd et universitaire, ma recherche vise à amplifier les voix mises de côté dans les récits sportifs. Je veux inciter les dirigeants sportifs, les décideurs, les entraîneurs et les institutions à aller au-delà d’une inclusion superficielle et à reconnaître pleinement le sport des sourds comme une communauté culturellement riche et diversifiée, qui mérite visibilité, leadership et respect. C’est pourquoi mon travail ne se limite pas à documenter les obstacles : il vise à provoquer un changement significatif. Le sport pour les sourds ne consiste pas seulement à permettre aux personnes sourdes de jouer. Il s’agit de créer des espaces où la culture, l’identité et la langue des sourds sont pleinement reconnues et valorisées. Les personnes entendantes peuvent y participer, mais seulement si elles sont prêtes à comprendre et à soutenir véritablement les modes de vie des sourds, au-delà des seules questions d’accessibilité. Les athlètes sourds méritent de véritables opportunités de compétition, de leadership et de développement, du sport de base jusqu’au plus haut niveau.
Ce dont nous avons parlé et ce que nous ignorons
Lorsque l’on pense au sport des sourds, la première image qui vient à l’esprit est souvent celle de la langue des signes et de l’accessibilité. Les organisations sportives, les entraîneurs, les décideurs et même les universitaires mettent l’accent sur la mise à disposition d’interprètes, l’adaptation des méthodes de communication et la nécessité de rendre la compétition plus « inclusive » pour les personnes sourdes. Mais une question essentielle est trop souvent négligée : et si le sport des sourds ne se résumait pas à l’accessibilité ou à une simple pratique de masse? Et s’il s’agissait avant tout de culture, d’identité et d’autonomie? Au Canada, les athlètes sourds participent, s’entraînent et concourent, mais ils ont rarement l’occasion de façonner les espaces dans lesquels ils évoluent.
Nous entendons beaucoup parler de l’accès, mais nous n’entendons pas assez souvent parler de la culture des sourds dans le sport. Nous voyons la langue des signes promue et célébrée, mais nous ne parlons pas souvent de la race, du leadership, des capacités ou du pouvoir de décision dans les structures sportives des sourds. Et à quand remonte la dernière fois que vous avez vu des sourdslympiens figurer aux côtés d’Olympiens ou de Paralympiens dans les médias grand public?
C’est ce que j’espère explorer, « ce dont nous parlons » dans le sport des sourds canadiens et, plus important encore, « ce que nous ignorons ». En examinant la culture, l’autonomie et la race dans le sport des sourds, nous pouvons commencer à repenser ce que signifie réellement une véritable inclusion.
Le sport pour les sourds : Plus qu’une simple compétition
Le sport peut être défini comme une activité physique impliquant des compétences, des compétitions et des règles, pratiquée pour le plaisir, la santé ou l’accomplissement personnel. Le sport des sourds, quant à lui, est un espace où les athlètes sourds se connectent, concourent et expriment leur identité d’une manière souvent impossible dans les environnements sportifs traditionnels. Contrairement à de nombreuses organisations de sport pour personnes en situation de handicap, le sport des sourds possède une longue histoire indépendante, dirigée par des sourds, pour des sourds. Les Sourdlympiques, créés en 1924, précèdent les Paralympiques et reposent sur le principe que les personnes sourdes doivent avoir leur propre espace de compétition. Cependant, malgré cette histoire distincte, le sport des sourds continue d’être perçu comme une simple extension du sport pour personnes en situation de handicap, plutôt que comme un mouvement culturel unique. Cette vision réductrice a des conséquences concrètes sur la manière dont le sport des sourds est pratiqué :
- Financement – souvent oublié en ce qui concerne les programmes olympiques et paralympiques.
- Reconnaissance – avec une couverture médiatique très faible, même si les Sourdlympiques sont reconnus par le CIO.
- Direction – les rôles d’encadrement et de direction ne reflètent toujours pas la diversité totale des communautés de sourds.
Ces questions deviennent encore plus complexes lorsque l’identité sourde se croise avec la race. Au Canada, les expériences des athlètes sourds racialisés sont rarement reconnues, voire complètement ignorées. Leurs voix et leurs récits sont absents non seulement des espaces décisionnels du sport des sourds, mais aussi des médias et des débats politiques sur le sport et l’inclusion. Jusqu’à présent, peu d’efforts concrets ont été déployés pour combler ces lacunes de manière significative. Si nous nous limitons à une approche axée uniquement sur l’accessibilité, nous passons à côté des enjeux structurels plus profonds qui façonnent le sport des sourds, notamment le racisme, le manque de représentation et l’accès restreint aux rôles de leadership pour les membres les plus marginalisés de cette communauté.

Pourquoi voit-on rarement des athlètes sourds dans les médias sportifs?
La plupart des gens n’ont jamais entendu parler des Sourdlympiques, bien qu’ils soient officiellement reconnus par le CIO. Contrairement aux Jeux paralympiques, ils occupent une place unique, car les athlètes sourds y concourent sur un pied d’égalité avec les athlètes entendants, tout en préservant un espace distinct où la culture sourde peut s’exprimer pleinement. Alors que les Jeux olympiques bénéficient d’une couverture médiatique mondiale et que, dans une moindre mesure, les Jeux paralympiques attirent l’attention des grands médias, les Sourdlympiques restent pratiquement invisibles. Ce manque de visibilité dépasse la simple absence de couverture médiatique : il reflète la manière dont la société perçoit – ou ignore – la valeur du sport des sourds.
- Pourquoi les Sourdlympiens ne sont-ils pas célébrés comme les Olympiens ou les Paralympiens?
- Pourquoi les athlètes sourds doivent-ils encore se battre pour être reconnus, même après avoir concouru au plus haut niveau?
Sans représentation réelle, le sport des sourds reste inaudible et invisible.
Il est temps de changer de discours
Le sport des sourds n’est pas seulement une question d’accès. C’est une question de pouvoir, de représentation et de culture. Il existe des athlètes sourds racialisés, mais ils sont souvent effacés des récits sportifs. Le Canada a l’occasion de montrer la voie en construisant un mouvement sportif sourd vraiment inclusif, mais cela nécessite un changement majeur dans la façon dont nous parlons des athlètes sourds et dont nous les soutenons. Les athlètes sourds devraient être considérés non seulement comme des participants, mais aussi comme des leaders qui façonnent l’avenir du sport. La vraie question que nous devrions nous poser est la suivante : Sommes-nous prêts à changer à la fois notre compréhension et la réalité des sports des sourds?
Citations :
(1) : J’emploie le terme « sourd » en minuscule pour inclure toutes les personnes ayant une perte auditive, qu’elles s’identifient ou non à la communauté sourde. Cela englobe les sourds, les malentendants et ceux qui ont perdu l’audition plus tard dans leur vie. L’objectif est de reconnaître l’ensemble des expériences des personnes sourdes, qu’elles soient liées ou non à la culture des sourds.
(2) : Le capacitisme désigne un ensemble de croyances et de pratiques qui dévalorisent et discriminent les personnes en situation de handicap physique, intellectuel ou psychique. Il repose souvent sur l’idée que ces personnes doivent être « corrigées » ou adaptées à la norme. Pour en savoir plus, voir Leah Smith, « #Ableism » (https://cdrnys.org/blog/uncategorized/ableism/).
(3) : L’expression « culture des sourds » reconnaît l’existence de multiples cultures sourdes, façonnées par des identités croisées telles que la race, l’ethnicité, le genre, la classe sociale et la langue.