
Résumé du projet
En 2005, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a contribué à lancer un programme parascolaire unique au sein des quatre Nations cries de Maskwacis (anciennement Hobbema), en Alberta. Le programme, connu sous le nom de programme communautaire de corps de cadets Hobbema (PCCCH), a été célébré de façon importante parmi les politiciens, les groupes de la communauté et particulièrement les médias grand public, en tant qu’outil efficace pour la « prévention des activités de gang »; toutefois, un examen approfondi a révélé un ensemble plus complexe de négociations qui se déroulent à l’échelle locale. Cette étude de cas pluriannuelle et ethnographique prenait appui sur une série d’entrevues à questions ouvertes avec des parents, des jeunes, des administrateurs des sports, des conseillers de bande et d’autres agents de la communauté de Maskwacis afin d’examiner de façon critique les récits derrière la conception du PCCCH. Les principaux objectifs clés de l’étude comportaient deux volets – c’est-à-dire interroger :
- Les principaux récits (approuvés par les médias) entourant les Maskwacis, ses jeunes et le PCCCH.
- La gamme d’expériences qui accompagnaient la (re)conception par la communauté du PCCCH.
Orientée par la sociologie relationnelle de Pierre Bourdieu, cette étude laissait penser qu’au-delà d’un simple programme d’intervention liée aux gangs, le PCCCH offrait aussi aux habitants de Maskwacis et à d’autres intervenants un lieu important et un discours, au moyen duquel on peut concevoir, négocier et, parfois, contester différents objectifs compliqués et diversifiés à l’interne, liés à la communauté, à l’identité crie et au rôle du sport dans cette conception. Par conséquent, selon mes conclusions, les chercheurs, les concepteurs de programmes de sport, les organismes de financement et d’autres groupes d’intervenants ont tous intérêt à aborder cette complexité aux premiers stades de leurs programmes pour minimiser les conflits potentiels au fur et à mesure de l’évolution du programme. En outre, l’étude a aussi démontré que le fait que les organismes de financement (gouvernement ou autre) n’ont pas tenu compte de la complexité des Maskwacis et n’ont pas offert un modèle de financement plus solide, souple et à long terme a nui à la création du PCCCH. Les modèles futurs bénéficieraient donc de l’adoption d’une approche au financement du sport davantage axée sur la communauté. Il est capital qu’une approche de ce genre demeure souple, établie à long terme et liée à une paperasse beaucoup moins importante pour optimiser le temps consacré par les travailleurs de première ligne (p. ex. les entraîneurs) aux jeunes. Ainsi le sport s’inspirera des propriétés de cohésion de la culture autochtone tellement cruciales pour le fonctionnement de nos communautés.
Méthodes de recherche
Au total, l’étude a combiné six années de travail sur le terrain en ethnographie ainsi que 30 entrevues à questions ouvertes et semi-structurées auprès d’habitants de Maskwacis et d’autres intervenants communautaires, notamment des jeunes, des parents, la GRC, des travailleurs communautaires, des enseignants et des conseillers de bande. Cette étude a aussi été établie en collaboration avec le conseil de bande de la Nation crie de Samson et des habitants des quatre Nations cries de Maskwacis, en Alberta.
Mon interprétation de l’entrevue et d’autres données empiriques a été teintée par la théorie de la culture. Plus précisément, les principaux concepts théoriques de Pierre Bourdieu – habitus, champ et capital – ont permis de considérer le vaste ensemble d’expériences plus localisées qui constituaient le PCCCH comme une culture physique des Maskwacis. La recherche tentait aussi d’harmoniser les aspects du cadre de Bourdieu avec les tendances émergentes dans la documentation sur les méthodologies autochtones.
Résultats de la recherche
L’étude a permis de découvrir que depuis sa création, le PCCCH est rattaché à un assortiment de significations et d’objectifs sociaux différents, parfois incompatibles. Par exemple, de nombreux habitants ont critiqué le principal enjeu lié aux médias du PCCCH et ont accusé les journalistes d’Edmonton de divulguer la déviance des Maskwacis aux dépens d’autres programmes sociaux dans la communauté. D’autres habitants percevaient le PCCCH comme une réinscription de la puissance coloniale et ont affirmé que la GRC tirait parti de leur « éthique du guerrier » traditionnelle afin de promouvoir un objectif étatiste et étranger sur le plan culturel. Toutefois, inversement, plusieurs parents considèrent bel et bien le PCCCH comme une célébration de l’esprit de guerrier des Maskwacis et un prolongement de la glorieuse histoire militaire de la communauté. Par conséquent, au-delà des stratégies en vue du changement social ou des simples contre-mesures à la violence des gangs de jeunes, l’étude a révélé que le PCCCH offrait aussi aux habitants locaux, notamment les jeunes, un véhicule puissant de conception, de négociation et parfois de contestation de leurs idées au sujet de la signification du fait d’être des Maskwacis au nouveau millénaire et de ce que cela ne signifie pas. Ainsi, selon mes conclusions, les chercheurs, les concepteurs de programmes de sport, les organismes de financement d’autres groupes d’intervenants ont tout intérêt à aborder cette complexité aux premiers stades de leurs programmes pour minimiser les conflits potentiels au fur et à mesure de l’évolution du programme. L’étude porte également à croire qu’un financement modeste à long terme (par opposition à une injection majeure de fonds sur une période limitée) permettrait de mieux appuyer les intervenants locaux dans cette tâche et envoie aussi un message puissant aux jeunes de la communauté signifiant que leur investissement dans les sports et les loisirs en vaut la peine et ne sera pas entravé par un manque de fonds ou un personnel changeant.
Les principales contraintes de cette étude incluent ce qui suit : la race, la classe, le sexe et les préjugés culturels. Les stratégies qui ont été utilisées pour aider à atténuer ces préjugés comprenaient mon investissement soutenu dans la communauté, ma participation régulière aux programmes de sports, aux cérémonies des Cris et à d’autres rassemblements sociaux et le fondement partiel de cette recherche sur la documentation liée aux méthodologies autochtones; toutefois, ces contraintes sont inévitablement restées dans le cadre de l’étude.
Répercussions sur les politiques
L’étude compte plusieurs répercussions sur les politiques liées à l’amélioration de la participation au sport au Canada :
Avant tout, de toute évidence, les praticiens du sport non autochtones doivent aborder directement les récits liés au passé colonial dans le cadre desquels nous interagissons. Cela signifie qu’il faut : 1) apprendre l’histoire sur laquelle est fondée notre privilège et 2) participer activement à la discussion des membres de la communauté sur la manière dont nos identités sont reflétées dans le cadre de contextes locaux particuliers, et l’écouter.
Ensuite, les responsables des politiques devraient être prudents quant à la manière dont les sports sont décrits publiquement dans les communautés autochtones (ou à leur sujet). Par exemple, décrire le sport comme une « intervention liée aux gangs » risque de perpétrer des stéréotypes qui empêchent indirectement la création d’autres programmes sociaux dans la communauté (p. ex. seuls les programmes qui reflètent le stéréotype de la violence des gangs autochtones reçoivent du financement) et mine l’éventail d’autres significations et programmes enchâssés dans ce sport ou cette activité physique.
Finalement, l’étude a révélé que des modèles de financement universels peuvent nuire au développement du sport dans les communautés marginalisées. Plus précisément, ma recherche démontre l’importance d’établir des relations sociales durables au sein de nos communautés (autochtones et non autochtones). En effet, si nous partons de l’hypothèse selon laquelle tous les jeunes souhaitent la stabilité (en particulier ceux qui combattent un héritage colonial complexe dans laquelle les unités familiales, les traditions culturelles et la cohésion sociale ont fait les frais d’une politique gouvernementale), nous pouvons voir comment les modèles de financement actuels (à court terme) qui font l’objet des caprices des responsables des politiques et d’une économie canadienne de plus en plus volatile neutralisent la capacité des gens de grandir et de soutenir des relations humaines productives. Par exemple, les travailleurs de première ligne (p. ex. les entraîneurs, les administrateurs, les parents bénévoles) passent la plus grande partie de leur temps à chercher de nouvelles sources de financement et à changer de postes au moyen d’un soutien financier limité. Cela perpétue effectivement les cycles d’exploitation auxquels les Autochtones ont été exposés de façon exagérée au fil du temps et nourrit donc un sentiment d’indifférence et de frustration chez les jeunes. Les modèles futurs bénéficieraient de l’adoption d’une approche au financement du sport davantage axée sur la communauté. Il est capital qu’une approche de ce genre demeure souple, établie à long terme et liée à une paperasse beaucoup moins importante pour optimiser le temps que les travailleurs de première ligne consacrent aux jeunes.
Prochaines étapes
Mes idées futures pour cette recherche comportent la transformation de son contenu en un manuel universitaire.
Mon travail sur le terrain a dû faire l’objet de plusieurs petits ajustements pouvant être apportés aux modèles de financement actuels aidant les organismes de sport (et de prévention du crime) à mieux appuyer les programmes locaux. Ces ajustements seront déterminés et dévoilés de façon plus complète dans des analyses futures concernant les communautés des Premières Nations et d’autres populations en Alberta.
Mes autres idées de recherches futures comportent la recherche de projets et de possibilités aidant à enrichir les relations entre le milieu universitaire, d’autres institutions (p. ex. sports et loisirs) et des endroits/populations tendues de façon disproportionnée par divers processus socio-historiques et économiques et politiques.
Principaux intervenants et avantages
- le gouvernement et d’autres organismes; p. ex. Sport Canada, le Centre national de prévention du crime, KidSport;
- les entraîneurs et travailleurs appuyant la communauté;
- les chercheurs liés aux études sur le sport;
- la GRC.
Ces groupes bénéficieraient des récits décrits et dévoilés dans cette recherche, en particulier le fait que l’étude est axée sur l’affectation d’un financement durable et à long terme et d’un capital humain pour l’appui des programmes locaux. En outre, l’une des contributions les plus remarquables de l’étude est le fait qu’elle offre un compte rendu analytique réflexif du processus de recherche qualitative intrinsèque en raison d’un contexte précis lié aux Premières Nations. À l’aide des outils sociologiques « autoréférentiels » de Bourdieu, le chercheur (un homme non autochtone) a examiné les multiples biais (personnels, universitaires et intellectuels) ayant éclairé la réalisation de cette étude. Les stratégies qui ont été employées pour aider à atténuer ces biais ont également été abordées; elles incluaient l’investissement soutenu du chercheur dans la communauté, sa participation régulière à des cérémonies cries ainsi qu’à d’autres rassemblements sociaux moins officiels et le fondement partiel de cette recherche sur la documentation liée aux méthodologies autochtones. D’autres chercheurs et praticiens du sport bénéficieraient d’un engagement accru lié à ces pratiques et d’une réflexion continue sur les contraintes, les privilèges et les préjugés uniques qui définissent nos relations dans la communauté et dans le cadre de la recherche et des programmes de sport.