Le développement de l’expertise, définie comme la capacité à présenter des performances de haut niveau avec une relative constance, est un processus complexe qui peut être établi de multiples façons. En 1993, Ericsson et ses collègues ont proposé que la pratique soit une pièce maîtresse de ce casse-tête, sur la base de leurs études fondamentales sur le développement de l’expertise chez les musiciens. Ils ont affirmé que pour développer une expertise dans n’importe quel domaine, les gens doivent s’engager pendant environ 10 ans dans une pratique délibérée de qualité, définie comme des activités de pratique avec effort conçues pour améliorer les performances (Ericsson, Krampe, et Tesch-Römer, 1993).
Dans le domaine du sport, les études ont généralement soutenu leur proposition et montré qu’un engagement à long terme, sur plusieurs années, dans une pratique spécifique au sport est nécessaire au développement de l’expertise (Baker et Young, 2014; Baker, Young, Tedesqui, et McCardle, 2020).
Il n’y a rien de vraiment nouveau dans l’idée que le développement de l’expertise dans le sport (ou dans tout domaine) nécessite du temps, des efforts et de la pratique. Quelques questions peuvent donc venir à l’esprit :
Si tout le monde sait qu’il faut des années de pratique pour développer une expertise dans le sport, comment se fait-il que seuls certains athlètes s’entraînent avec toute leur concentration et leurs efforts alors que d’autres ont tendance à l’éviter? - Pourquoi certains athlètes persistent-ils dans leur parcours de développement athlétique malgré plusieurs revers et défis, alors que d’autres abandonnent face à l’adversité?
- Pourquoi des athlètes très talentueux ne parviennent-ils pas toujours à devenir des experts, alors que d’autres, moins doués au départ, réussissent à atteindre les plus hauts niveaux?
- Dans chacune de ces questions, qu’est-ce qui distingue ces deux types d’athlètes?
- Ericsson et ses collègues ont laissé entrevoir une partie de la réponse dans leurs premiers travaux. Ils ont noté que plusieurs facteurs de personnalité, tels que les différences individuelles dans les niveaux d’activité et l’émotivité, peuvent prédisposer les gens à la pratique délibérée et leur permettre de maintenir des niveaux très élevés pendant de longues périodes (Ericsson et coll., 1993, p. 393).
Baker et Horton (2004) ont également déclaré que les prédispositions facilitent l’achèvement des quantités requises de formation (p. 218). En d’autres termes, les différences individuelles de personnalité ont une incidence sur la capacité d’une personne à travailler dur et à maintenir l’engagement à long terme dans une pratique délibérée qui est nécessaire au développement de l’expertise.
Caractéristiques de la personnalité liées à la réussite dans le sport
Dans un examen complet, les chercheurs ont constaté que la personnalité a une incidence sur la réussite à long terme dans le sport (Allen et coll., 2013). Mais qu’entendent les chercheurs par le terme « personnalité » et à quelles caractéristiques de la personnalité font-ils référence?
La personnalité fait référence à une certaine régularité ou à un modèle dans les attitudes d’une personne, sa façon de penser, ou la manière dont elle se comporte et se sent à travers les situations et au fil du temps. Ces schémas relativement stables de pensées, de sentiments et de comportements constituent nos caractéristiques ou traits de personnalité (Roberts et coll., 2008). Par exemple, si nous disons qu’un athlète est discipliné ou passionné, que l’entraîneur est organisé ou très exigeant, ou que le parent d’un athlète est perfectionniste, nous faisons référence à nos perceptions de certains de leurs traits de personnalité.
Trois traits de personnalité qui ont été constamment liés à la réussite dans plusieurs domaines sont les 
suivants
- La maîtrise de soi : la capacité à contrôler ses pensées et ses émotions, à inhiber ses impulsions et à résister aux tentations (Tangney et coll., 2004).
- Le courage : la tendance à poursuivre des objectifs à long terme avec passion et persévérance (Duckworth et coll., 2007).
- La conscience : la tendance à contrôler ses comportements au service d’objectifs personnels (McCrae et Löckenhoff, 2010).
Dans une série d’études menées auprès d’athlètes de niveaux débutant à expert, mon collègue et moi avons systématiquement testé si les niveaux de maîtrise de soi, de courage et de conscience (ainsi que leurs soustraits plus spécifiques) étaient liés à la pratique des athlètes (quantité, qualité et stabilité), à leur engagement envers leur sport et au niveau de compétence atteint. Voici quelques-unes des principales conclusions de ces travaux :
- Les athlètes ayant obtenu un score élevé sur le contrôle des impulsions (un soustrait de la maîtrise de soi) et la constance des intérêts (un soustrait du courage) pensaient moins à abandonner leur sport (Tedesqui et Young, 2017a, 2017b).
- Les athlètes qui ont obtenu un score élevé sur la persévérance de l’effort (un sous trait du courage) ont accumulé plus d’heures hebdomadaires de pratique délibérée (Tedesqui et Young, 2017b).
- Ceux qui ont obtenu un score plus élevé sur la recherche de l’accomplissement (un soustrait de la conscience) étaient plus susceptibles de s’engager dans des types de pratique facultatifs (Tedesqui et Young, 2018).
- Les athlètes experts ont obtenu un score plus élevé pour la persévérance dans l’effort que les athlètes moins experts (Tedesqui et Young, 2018).
- Les athlètes ayant un niveau élevé de persévérance dans l’effort ont également montré un engagement plus élevé et plus stable (c’est-à-dire sans fluctuations) dans la pratique au cours d’une saison sportive (Tedesqui et Young, 2019).
Cibler (et améliorer) les traits de personnalité critiques chez les athlètes.
Pris ensemble, ces résultats soulignent le rôle critique de certains traits de personnalité pour le développement des athlètes. Alors, comment pouvons-nous identifier, dans l’environnement d’entraînement quotidien, les athlètes qui sont dotés de telles prédispositions à travailler avec acharnement et à maintenir l’engagement envers leur propre développement?
Pour le savoir, mon collègue et moi avons interrogé 11 entraîneurs expérimentés de haut niveau qui ont formé des athlètes de niveau national et international. Les entraîneurs ont décrit les athlètes consciencieux comme étant ceux qui sont attentifs aux autres et qui s’autorégulent pour répartir stratégiquement leurs efforts à l’entraînement. Ils ont décrit les athlètes courageux comme étant ceux qui ont tendance à persévérer malgré l’adversité et à travailler fort. Ils ont décrit les athlètes maîtres d’eux-mêmes comme étant ceux qui sont capables de contrôler leurs impulsions et de retarder la gratification (Tedesqui et Young, 2020).
Ces résultats peuvent aider les entraîneurs et les praticiens à identifier les athlètes qui présentent un faible niveau de ces traits critiques et qui pourraient bénéficier d’interventions visant à améliorer les modèles de comportement dont il a été démontré qu’ils permettent de prédire le développement de l’expertise.
Il est important de noter que les évaluations de la personnalité des athlètes par d’autres personnes (par opposition aux mesures autodéclarées) devraient être basées sur plusieurs observations des comportements des athlètes et non sur une évaluation ponctuelle.
Dernières réflexions
Certaines questions restent sans réponse. Par exemple, quelles stratégies les entraîneurs utilisent-ils pour aider les athlètes à surmonter les obstacles liés à la personnalité qui entravent leur développement athlétique? Et comment la façon dont les athlètes s’entraînent peut-elle avoir un effet sur leur personnalité tout au long de leur développement sportif? Alors que nous continuons à être stupéfaits par les exploits des athlètes de classe mondiale, nous espérons que la science continuera à combler les lacunes dans notre connaissance des liens intrigants entre ce que sont ces athlètes et ce qu’ils accomplissent dans leur sport.