Résumé du projet
Les travaux de recherche portant sur le développement des jeunes décrivent surtout les antécédents, les processus et les résultats liés à des contextes sportifs. L’une des constatations qui se dégage couramment est que les adultes d’influence, comme les enseignants et les entraîneurs, jouent un rôle prépondérant lorsqu’il s’agit de favoriser le processus de développement. La plupart des travaux de recherche antérieurs portant sur les enseignants et les entraîneurs ont étudié ces deux rôles séparément; toutefois, dans un contexte d’école secondaire, les enseignants se portent souvent volontaires pour être les entraîneurs d’équipes sportives, assumant ainsi le double rôle d’enseignant entraîneur. À ce jour, très peu d’études ont examiné les avantages et les défis expressément associés au fait d’occuper le rôle d’enseignant entraîneur dans une école secondaire. Pour combler cette lacune, nous avons entrepris ce projet de recherche. Les objectifs de recherche comprennent la réalisation d’une étude exploratoire qualitative (phase un) et un sondage national (phase deux) afin de mieux comprendre comment les enseignants entraîneurs arrivent à gérer ce double rôle. En conclusion, les constatations sont les suivantes : a) le rôle d’entraîneur offre des possibilités supplémentaires d’établir des relations significatives avec les élèves et a des répercussions positives sur la satisfaction au travail, b) le rôle d’entraîneur suppose de nouvelles responsabilités qui s’ajoutent aux tâches d’enseignement, ce qui entraîne de nombreux défis, et c) les enseignants entraîneurs ont besoin d’obtenir un soutien supplémentaire de leur établissement afin de pouvoir maintenir leur participation à des activités parascolaires au fil du temps.
Méthodes de recherche
Au cours de la phase un, nous avons établi un échantillon de 25 enseignants entraîneurs provenant de toute la province de l’Ontario pour prendre part à des entrevues semi dirigées réalisées en personne. Au cours de la phase deux, grâce à une collaboration avec Sport scolaire Canada, 3 065 enseignants entraîneurs ont rempli un sondage en ligne, lequel a été distribué au cours de l’année scolaire 2014 2015. Ce sondage prenait en moyenne 35 minutes à remplir. Cet échantillon comprend des répondants provenant des dix provinces et des trois territoires.
Résultats de recherche
Au cours de la phase un, les constatations étaient surtout axées sur l’établissement des relations et les défis rencontrés. Tout d’abord, le fait d’occuper le rôle d’enseignant entraîneur influençait l’établissement des relations avec les élèves athlètes, étant donné que ce double rôle permettait de favoriser les interactions, particulièrement celles qui se déroulaient à l’extérieur du contexte de la salle de classe. Selon la perception qui s’est dégagée, ces interactions supplémentaires conféraient une crédibilité augmentée aux enseignants entraîneurs, attribuable à leur participation aux sports. Ce double rôle facilitait donc l’établissement de relations, en partie en raison du fait que tant les enseignants entraîneurs que les élèves athlètes participaient aux activités sportives scolaires sur une base volontaire, d’où leur motivation profonde accrue et la création d’un climat positif et propice à la motivation. En outre, les enseignants entraîneurs ont expliqué que les activités sportives se déroulaient dans un contexte moins officiel et moins exigeant sur le plan émotionnel que dans une salle de classe, leur permettant d’interagir avec les élèves athlètes de façon plus personnelle. Les enseignants entraîneurs ont expliqué que leur rôle d’entraîneur leur permettait de vivre de nombreuses expériences positives qui venaient contre-balancer les défis parfois rencontrés dans la salle de classe (par exemple les questions disciplinaires). Ces expériences positives contribuaient à l’augmentation de la satisfaction au travail, selon les répondants. Les enseignants entraîneurs ont également affirmé que les élèves athlètes profitaient de l’établissement de liens. Parmi les avantages énumérés, l’aide offerte aux élèves athlètes pour gérer des problèmes dans leur vie personnelle, notamment en cas de séparation des parents, de problèmes de toxicomanie et de pensées suicidaires, était souvent évoquée. Par ailleurs, les enseignants entraîneurs ont indiqué avoir des défis à surmonter en ce qui a trait à leur emploi du temps, aux tâches administratives, aux collègues et à la logistique. Pour ce qui est de leur emploi du temps, certains enseignants entraîneurs ont expliqué à quel point leur rôle d’entraîneur créait un engagement supplémentaire qui avait une incidence négative sur leur vie personnelle en raison des longues heures de travail. Il leur était donc difficile de passer du temps de qualité avec les membres de leur famille. De plus, certains enseignants entraîneurs ont expliqué que la lassitude et la maladie découlaient du fait qu’ils travaillaient trop. Les questions administratives (c’est à dire la grande quantité de documents à remplir pour participer à des tournois) leur causaient aussi beaucoup de stress. Enfin, les enseignants entraîneurs ont également évoqué qu’ils vivaient des conflits avec leurs collègues, particulièrement ceux qui ne participaient pas à des activités parascolaires, car ces derniers se plaignaient d’avoir à faire plus d’heures d’enseignement lorsque les enseignants entraîneurs devaient participer à des tournois.
Au cours de la phase deux, beaucoup des résultats obtenus correspondaient à ce qui avait été recueilli au cours de la phase un. Sur le plan des points positifs, les participants ont mentionné que les possibilités accrues d’interagir avec les élèves étaient l’avantage le plus intéressant associé au rôle d’enseignant entraîneur. Ces résultats mettent l’accent sur le fait que l’aspect relationnel de l’entraînement est essentiel et viennent confirmer qu’une relation saine entre l’entraîneur et l’athlète est fondamentale pour que l’entraînement soit efficace. Les principaux défis relevés par les enseignants entraîneurs étaient les suivants : a) remplir les obligations familiales, b) gérer son temps et c) effectuer les tâches administratives. Ces constatations concordent avec celles de la phase un et illustrent à quel point les engagements combinés d’enseignement et d’entraînement viennent surcharger l’horaire des enseignants entraîneurs. Nous avons constaté que les enseignants entraîneurs dans la trentaine et la quarantaine étaient plus susceptibles de mentionner ces défis que ceux qui se situaient dans la vingtaine et dans la cinquantaine ou qui étaient plus âgés.
Il convient ici de mentionner les limites de cette recherche. L’échantillon de participants pour les phases un et deux était surtout constitué d’enseignants entraîneurs de sexe masculin. De plus, les élèves athlètes n’ont pas eu l’occasion de donner leur point de vue au cours des phases un et deux, puisque seules les opinions des enseignants entraîneurs ont été consignées. Enfin, il est important de noter que les données ont été recueillies sous forme de sondages transversaux par autodéclaration, ce qui empêche d’établir des relations de cause à effet.
Répercussions sur les politiques
Les données qualitatives recueillies ont permis d’obtenir un éclairage intéressant quant aux avantages et aux défis vécus par les enseignants entraîneurs des écoles secondaires au Canada. Ces réflexions ont été corroborées par des données tirées d’un sondage national réalisé auprès de plus de 3 000 participants, qui englobait de nombreuses variables démographiques et relatives au rôle. En dépit des défis à surmonter, les résultats indiquent clairement que les enseignants entraîneurs croient fermement que le double rôle qu’ils assument leur permet a) d’établir des liens significatifs avec les élèves athlètes dont ils ont la responsabilité et b) d’aider les élèves athlètes à surmonter plusieurs problèmes que ces derniers rencontrent dans leur vie personnelle.
Du point de vue des politiques, les résultats obtenus dénotent plusieurs tendances préoccupantes. En effet, plus de 60 % des enseignants entraîneurs ayant pris part au sondage national ont indiqué être responsables de deux sports ou plus durant l’année scolaire, mais seuls 3 % d’entre eux ont affirmé que leur charge de travail d’enseignement s’en trouvait réduite d’une façon ou d’une autre. De plus, à l’exception du Québec, la grande majorité des enseignants entraîneurs ont indiqué ne recevoir aucune compensation financière pour leur rôle d’entraîneur. Nous avons recueilli des éléments de preuve indiquant que bon nombre d’enseignants entraîneurs continuent d’assumer leur rôle d’entraîneur à long terme (en fonction de leurs années d’expérience à titre d’entraîneur), mais il est préoccupant de constater que la plupart d’entre eux (~ 90 %) ont de la difficulté à gérer leur temps, à assumer leurs tâches administratives et à remplir leurs obligations familiales. Si l’on tient compte du fait que les enseignants entraîneurs n’ont généralement aucune obligation contractuelle à l’égard de ce double rôle, il faut se poser d’importantes questions par rapport à la viabilité même du système de bénévolat actuellement en place, compte tenu des défis importants rapportés par les enseignants entraîneurs, tous profils démographiques confondus.
Prochaines étapes
Premièrement, compte tenu du fait que les échantillons des phases un et deux étaient composés majoritairement d’hommes, il faudrait mener des recherches auprès d’enseignants entraîneurs de sexe féminin. Deuxièmement, vu la diversité des activités parascolaires offertes dans les écoles secondaires, il faudrait mener de plus amples recherches pour déterminer si des processus et des résultats semblables sont observés lorsque les enseignants se portent volontaires pour participer à des activités dans le domaine des arts, de la musique ou des clubs scolaires. Troisièmement, en ce qui a trait à la limite liée à la nature transversale du projet, il serait pertinent de réaliser des études longitudinales prospectives pour déterminer de façon plus précise les changements dans les avantages et les défis perçus par les enseignants entraîneurs sur plusieurs saisons sportives.
Principaux intervenants et avantages
Plusieurs organisations pourraient bénéficier des résultats de cette recherche. L’Association canadienne des entraîneurs pourrait tirer parti des résultats étant donné que de nombreuses recommandations formulées par les participants pour relever les défis visaient à rendre le rôle d’entraîneur plus accessible, à la fois sur le plan logistique et financier. Sport scolaire Canada et ses associations membres (par exemple OFSAA, ASAA) pourraient tirer parti de ces constatations pour veiller à fournir à leurs entraîneurs bénévoles les ressources dont ils ont besoin pour assumer les rôles d’enseignant et d’entraîneur et ainsi être en mesure d’offrir aux élèves une expérience de qualité grâce au sport scolaire. Les constatations pourraient en outre être utilisées par la Canadian Interscholastic Athletic Administrators Association (CIAAA) pour l’aider à prendre des décisions éclairées quant au recrutement et au maintien de la participation des entraîneurs dans les écoles secondaires. Enfin, les constatations pourraient être diffusées aux ministères de l’Éducation (par exemple celui de l’Ontario) ainsi qu’aux fédérations d’enseignants (par exemple la Fédération des enseignantes et enseignants des écoles secondaires de l’Ontario).