
Résumé du projet
L’objectif du projet de recherche était d’évaluer si la pratique du hockey et les espaces sociaux qui y sont associés contribuent à l’intégration sociale des immigrants et des minorités racisées au Canada. L’étude vise à déterminer si le hockey offre des espaces communs multiculturels dans lesquels se manifeste un pluralisme interactif et s’il permet aux immigrants et aux minorités racisées d’acquérir un sentiment d’identité et d’appartenance au Canada en vue de leur intégration (voir la figure A de l’annexe A).
Il ressort de l’étude que pour la plupart des immigrants et des personnes appartenant à une minorité racisée qui pratiquent ce sport ou s’y intéressent à un titre ou à un autre (en tant que joueurs, parents de joueurs, amateurs de hockey), il existe une association allant de modérée à forte entre le hockey, l’identité nationale canadienne et le sentiment d’appartenance. Cependant, il y a des obstacles, notamment la présence de racisme au hockey. Les espaces sociaux du hockey1 constituent un terrain contesté où la capacité d’agir et la participation des immigrants et des personnes racisées peuvent contribuer à forger un sentiment d’identité et d’appartenance nationales malgré la présence de racisme. À la manière de Janus, le hockey présente deux visages, l’inclusion et l’exclusion.
Méthodes de recherche
L’étude a eu recours à des méthodes qualitatives multiples comprenant des observations structurées dans les arénas de hockey et des entretiens semi-structurés approfondis réalisés en personne dans les villes de Halifax, Toronto et Calgary. Les données ont été recueillies au cours des saisons de hockey 2018-2019 et 2019-2020, avant le début de la pandémie de COVID-19 en mars 2020. La reprise de la collecte de données prévue pour les deux saisons de hockey suivantes n’a pu avoir lieu en raison des restrictions persistantes liées à la COVID, et il a été décidé, début 2022, de procéder à l’analyse des données existantes. Au total, les données recueillies comprennent 55 observations structurées et 143 entretiens. Les participants à l’étude comprennent des hockeyeurs et hockeyeuses, des amateurs de hockey et des informateurs clés. Les entretiens avec les joueurs de hockey ont été menés avec des jeunes et des adultes actifs dans des ligues organisées ainsi qu’avec des adultes amateurs de hockey, dont un grand nombre étaient des parents de joueurs de hockey. Les informateurs clés ayant partagé leur avis sont des personnes qui connaissent bien le monde du hockey, comme des entraîneurs et des auteurs de livres sur le hockey.
Sur le plan démographique, les participants comprennent 106 (74 %) hommes et 37 (26 %) femmes, âgés de 11 à 79 ans, l’âge médian étant de 35 ans. Parmi les 143 participants, 39 % appartenaient à des minorités visibles et 60 % étaient de race blanche, tandis que 28 % étaient des immigrants et 71 % étaient nés au Canada.
Les questions des entretiens semi-structurés portant sur l’identité étaient les suivantes : i) Jouer au hockey vous a-t-il aidé à vous sentir Canadien? ii) Voir des matchs de hockey dans les arénas vous a-t-il aidé à vous sentir Canadien? iii) Pensez-vous que le hockey aide les nouveaux arrivants et les personnes issues de minorités à se sentir Canadiens? Les principales questions relatives au sentiment d’appartenance étaient les suivantes : i) Jouer au hockey vous a-t-il aidé à avoir un sentiment d’appartenance au Canada? ii) Voir des matchs de hockey dans les arénas vous a-t-il aidé à avoir un sentiment d’appartenance au Canada? iii) Pensez-vous que le hockey aide les nouveaux arrivants et les personnes issues de minorités à développer un sentiment d’appartenance au Canada? Le thème des obstacles à la pratique du hockey a également été abordé avec la question suivante : Pensez-vous qu’il existe des obstacles à la pratique du hockey organisé au Canada? Si oui, quels sont-ils ?
Résultats de recherche
Principales constatations
Le hockey comme identité nationale
Dans l’ensemble, 86 % des participants ont indiqué que le hockey jouait un rôle dans leur sentiment d’identité en tant que Canadiens; 95 % des immigrants étaient de cet avis, comparativement à 82 % des personnes nées au Canada (tableau 1, figure 1, annexe A). Les résultats sont similaires pour les personnes appartenant à une minorité visible, puisque 91 % d’entre elles estiment que le hockey contribue à l’identité canadienne, contre 81 % des personnes blanches (tableau 2, figure 2). Dans les deux cas, les immigrants et les personnes appartenant à une minorité visible2 sont plus nombreux que les personnes nées au Canada et les personnes blanches à penser que le hockey contribue à l’identité canadienne. La citation suivante d’un immigrant mexicain de 30 ans vivant à Calgary illustre ce point :
Juan : C’est la première fois que je me suis vraiment senti Canadien… Il y a quelque chose de spécial lorsque les gens chantent leur hymne national… l’hymne national canadien avant chaque match. C’est une bonne manière de rappeler à tout le monde qui ils sont et où ils sont, particulièrement quand tu viens de l’étranger. C’est une belle idée.
Sentiment d’appartenance par le hockey
Dans l’ensemble, 55 % des participants ont indiqué que le hockey contribue à leur sentiment d’appartenance au Canada, ce qui est un pourcentage plus faible que les 86 % ayant indiqué que le hockey contribue à leur sentiment d’identité canadienne. Toutefois, si l’on examine la répartition par origine, on constate que 80 % des immigrants sont de cet avis, contre seulement 45 % des personnes nées au Canada (tableau 3, figure 3). Cet écart important peut s’expliquer par le fait que les personnes nées au Canada sont plus susceptibles de considérer l’« appartenance au Canada » comme un droit acquis à la naissance. En ce qui concerne les minorités visibles, 73 % des personnes appartenant à une minorité visible estiment que le hockey contribue à leur sentiment d’appartenance au Canada, contre 42 % des personnes blanches (tableau 4, figure 4). Cette citation d’un amateur de hockey et animateur des Flames de Calgary, un immigrant chinois de Hong Kong d’une trentaine d’années, illustre ce point :
Brian : Oui, c’est (le hockey) une langue commune. Dans les différents milieux de travail où j’ai travaillé et dans le grand public, quand on parle de hockey, ça devient une langue commune, n’est-ce pas? C’est comme si vous pouviez oublier les barrières – il y a des gens de différentes couleurs, et nous sommes tous réunis… Quand vous parlez à des Nord-Américains, ils savent que c’est le sport du Canada. Ils le savent. S’ils peuvent avoir ce sentiment d’appartenance envers une équipe professionnelle qui connaît du succès dans leur ville, appeler les joueurs par leur nom, savoir ce qu’ils font, connaître leurs histoires personnelles, ça devient une langue commune… Cette conversation fait partie de la communauté. Vous allez à l’aréna, c’est très multiculturel – très multiculturel, n’est-ce pas? Est-ce qu’ils les considèrent comme des immigrants ou non, je ne sais pas, mais ils se rassemblent autour d’un même espace, pour encourager une équipe… Je pense que le sentiment d’appartenance est le plus important.
Consulter l’annexe B pour d’autres citations illustrant l’identité nationale et le sentiment d’appartenance.
Obstacles à la participation au hockey
85 % des participants ont indiqué qu’il y avait des obstacles à la pratique du hockey organisé. Les obstacles les plus fréquemment mentionnés sont les suivants : 1) obstacles économiques (48 %); 2) racisme (41 %); 3) temps et implication (15 %); 4) sexisme (13 %); et 5) accessibilité (12 %) (voir la figure 5). Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les obstacles économiques qui ont été le plus souvent évoqués. Les coûts financiers liés à la pratique du hockey mineur vont de 15 000 $ par an pour un petit nombre de joueurs d’élite de haut niveau3 à 1 666 $ par an pour d’autres qui jouent à des niveaux inférieurs4. L’un des constats importants est qu’il n’y a pratiquement aucune différence entre les immigrants et les personnes nées au Canada, ni entre les minorités visibles et les Blancs, en ce qui concerne la reconnaissance des obstacles économiques, car ils sont fondés sur la classe sociale. Ensuite, et sans surprise là non plus, le racisme est le deuxième obstacle le plus souvent mentionné. Cet obstacle a gagné en visibilité au cours de la dernière décennie au Canada et quelques propositions ponctuelles de programmes et de politiques ont été formulées pour tenter de l’éliminer5 . Les autres obstacles ont été beaucoup moins souvent évoqués, mais ils n’en demeurent pas moins très importants, par exemple le sexisme.
Conclusion
La participation des immigrants et des personnes appartenant à des minorités visibles au hockey facilite leur intégration dans la société canadienne grâce à des espaces communs multiculturels qui renforcent leur identité canadienne et leur sentiment d’appartenance au Canada. Les obstacles à la participation au hockey, tels que les coûts financiers et le racisme, doivent être abordés.
Répercussions sur les politiques et les programmes
Dans un Canada toujours plus diversifié, le hockey se doit d’évoluer, car il contribue à l’intégration sociale. Le hockey pourra croître s’il devient progressivement plus inclusif et si les pratiques d’exclusion liées à la discrimination fondée sur la classe sociale, la race et le sexe sont atténuées ou éliminées. Grâce à une telle évolution, l’identité nationale canadienne et le sentiment d’appartenance des immigrants et des personnes racisées qui font partie du milieu du hockey se verront renforcés. Voici quelques recommandations de politiques et de programmes qui renforceraient la présence d’un pluralisme interactif au hockey.
- Sport Canada pourrait saluer les initiatives récentes prises par des entreprises pour rendre le hockey plus inclusif, et les encourager6. De même, Sport Canada pourrait envisager de coparrainer de tels programmes.
- Les quelques programmes communautaires en place au Canada et ayant connu du succès pour aider les jeunes immigrants à pratiquer ce sport ou à s’y intéresser pourraient être adaptés à une plus grande échelle et promus partout au Canada dans les villes ayant des taux relativement élevés de jeunes immigrants et de jeunes racisés. Deux programmes susceptibles de servir de modèles à titre de pratiques exemplaires sont le programme Hockey 4 Youth à Toronto et le FHL (Football Hockey Link) à Calgary. Sport Canada, ou peut-être Hockey Canada, pourrait se charger de leur mise en œuvre.
- Des initiatives en faveur de la diversité doivent être mises en œuvre dans tous les secteurs et à tous les niveaux de gouvernance du hockey organisé, y compris à l’échelon local dans les associations communautaires et municipales de hockey mineur, les associations et fédérations de hockey provinciales et territoriales, ainsi qu’au niveau de Hockey Canada. De même, des initiatives en faveur de la diversité dans les fonctions liées au hockey, comme celles d’entraîneur et de gestionnaire, favoriseraient l’inclusion. Sport Canada pourrait très bien servir de catalyseur à de telles initiatives.
- Les coûts financiers liés à la pratique du hockey pour les jeunes Canadiens pourraient être atténués par l’État (municipal, provincial, fédéral) grâce à des subventions pour les arénas de hockey au niveau local pour les associations de hockey mineur.
- Enfin, un point sans doute plus controversé, le gouvernement fédéral pourrait mettre en place un « crédit d’impôt pour le hockey » pour les Canadiens à faible revenu afin de compenser les coûts élevés pour les familles dont les enfants jouent au hockey. Un tel crédit d’impôt serait justifié par le fait que le hockey est considéré par la législation fédérale comme le sport d’hiver officiel du Canada, contrairement aux autres sports.
Prochaines étapes
Dans quelle mesure les politiques et initiatives actuelles en matière d’équité, de diversité et d’inclusion au hockey parviennent-elles à promouvoir ou à favoriser le pluralisme interactif ?
Comment les divers agents potentiels de changement social au hockey peuvent-ils être structurés et intégrés de façon systémique et holistique pour élaborer une stratégie globale visant à éliminer le racisme au hockey ? Ces agents sociaux comprennent, entre autres : Sport Canada, d’autres ministères fédéraux, d’autres paliers de gouvernement, des entreprises commanditaires, des associations de hockey de ligues mineures, la LNH et les médias sportifs.
Application des connaissances
La stratégie actuelle d’application des connaissances comprend la rédaction de publications universitaires fondées sur les résultats de recherche. D’autres stratégies sont en cours de planification.
1 Les espaces sociaux du hockey comprennent les arénas (patinoire, gradins, halls, stationnements) et d’autres lieux publics (il peut s’agir de rues, par exemple le Red Mile, de places publiques comme le Jurassic Park, de bars sportifs ou d’espaces virtuels).
2 Il convient de noter que la plupart des immigrants appartiennent également à une minorité visible, d’où un certain chevauchement des réponses dans les figures et les tableaux de l’annexe A. Cependant, il y a aussi un nombre restreint mais important de répondants nés au Canada et issus de minorités visibles (2e génération et suivantes).
3 Sean Fitz-Gerald (https://www.cbc.ca/radio/thecurrent/the-current-for-oct-2-2019-1.5304832/adultscan-ruin-anything-kids-hockey-is-facing-a-crisis-in-canada-says-author-1.5304835). (en anglais)
4 SRG-Sports Research Group (2014). Youth Sports Report. Toronto : SRG.
5 Voir, par exemple, le document d’orientation sur la lutte contre le racisme dans le milieu du hockey au
Canada rédigé par Szto, McKegney, Auksi et Dawson (en anglais) (https://hockeyinsociety.files.wordpress.com/2020/02/policypaper_antiracisminhockey_execsummary_final.pdf)
6 Voici quelques exemples : la diffusion par Molson Canadian et Sportsnet de la Soirée du hockey au Canada dans sept langues autres que l’anglais et le français en avril 2021; le programme Hockey pour tous de la Banque Scotia; la campagne Éradiquer la haine de l’Alliance pour la diversité dans le hockey et Budweiser.