
Pendant la plus grande partie de sa carrière, Jen Kish était reconnue comme l’une des meilleures joueuses de rugby à sept et comme l’une des plus intrépides. Elle a mené l’équipe féminine canadienne à la médaille de bronze aux Jeux olympiques de Rio en 2016. Elle a aussi subi plus de 30 commotions cérébrales, dont seulement cinq ont été officiellement diagnostiquées.
« La santé de votre cerveau doit toujours être une priorité absolue, car je peux vous dire dès maintenant qu’aucune récompense ni médaille olympique ne vaut la santé de votre cerveau », a déclaré Mme Kish devant le public du symposium 2024 sur les commotions cérébrales dans le sport. « Je dois avouer que je n’aurais jamais imaginé, même dans un million d’années, que ces mots sortiraient un jour de ma bouche, car j’ai toujours cru que peu importait ce qu’il adviendrait de ma vie après ma retraite. Tant que j’avais réalisé mon rêve, que j’avais participé aux Jeux olympiques et que j’avais tenté d’être la meilleure au monde, tout allait bien. J’avais tort, j’étais naïve et je manquais de recul. »
Mme Kish a fait don de son cerveau à la science pour aider les chercheurs à mieux comprendre l’impact des traumatismes répétés, en particulier sur le cerveau des femmes. Son histoire fait partie des milliers qui surviennent chaque année au Canada. On estime à 200 000 le nombre de commotions cérébrales liées au sport qui se produisent annuellement au pays, sur un total nord-américain qui dépasserait probablement les deux millions.
Et si les manchettes se concentrent souvent sur les athlètes professionnels, le problème va bien au-delà du sport d’élite. Les enfants et les adolescents qui pratiquent un sport organisé, les athlètes universitaires et les sportifs amateurs y sont aussi exposés.
Le Dr Keith Yeates, professeur de psychologie, de pédiatrie et de neurosciences cliniques à l’Université de Calgary, étudie les commotions cérébrales depuis plus de trente ans. Ses recherches et son travail de sensibilisation ont contribué à transformer la façon dont nous comprenons et traitons cette blessure.
Selon le Dr Yeates, l’un des changements les plus importants a été l’abandon de l’ancienne approche dite du « cocon », qui consistait à isoler la personne dans une pièce sombre jusqu’à la disparition des symptômes. « Se reposer jusqu’à ce que ça aille mieux n’est pas la meilleure stratégie », explique-t-il. « Nous savons maintenant qu’il faut reprendre une activité normale au bout d’un jour ou deux, retourner à l’école ou au travail. Je crois que cela a changé la donne, car il ne s’agissait pas seulement de repos. Cela nous a aussi amenés à comprendre qu’il fallait réellement mener des essais cliniques pour déterminer ce qui fonctionne. »
Ce changement ne s’est pas produit du jour au lendemain. Pendant longtemps, les protocoles en matière de commotions cérébrales reposaient davantage sur l’avis d’experts que sur des données probantes. Mais à mesure que de nouveaux essais cliniques ont vu le jour, les chercheurs ont compris qu’ils pouvaient accélérer la guérison et améliorer les résultats en favorisant une reprise progressive et précoce de l’activité physique.
L’aspect psychologique de la commotion cérébrale
Alors que la science s’est surtout intéressée aux effets biologiques du gonflement et de l’inflammation du cerveau, ainsi qu’aux lésions neuronales, les recherches récentes de Yeates se penchent sur un aspect moins visible : la préparation psychologique au retour au jeu.
Même après la disparition des symptômes et l’autorisation médicale, la peur d’une nouvelle blessure, l’anxiété liée aux effets à long terme ou le doute quant à une guérison complète peuvent persister. « Si vous ne tenez pas compte de cette préparation psychologique, vous ratez quelque chose », souligne M. Yeates.
Certains athlètes évitent toute activité physique, craignant de faire réapparaître les symptômes. D’autres en font trop, trop vite : c’est ce que Yeates appelle un comportement « tout ou rien ». Étonnamment, ces deux tendances peuvent coexister chez une même personne. « Elles ne s’excluent pas mutuellement », précise-t-il.
Dans une étude sur les athlètes adolescents, actuellement en cours de publication, M. Yeates et son équipe ont constaté que les athlètes féminines rapportaient des niveaux plus élevés de peur évitante, un comportement « tout ou rien » plus marqué, des attentes de rétablissement plus longues et une résilience psychologique plus faible que leurs homologues masculins. Ces facteurs pourraient contribuer à expliquer pourquoi les périodes de récupération sont souvent plus longues pour les filles et les jeunes femmes, même en tenant compte de la gravité des blessures et de l’accès aux soins.
Recherche : Retour au jeu après une commotion : Vos athlètes sont-ils psychologiquement prêts ?
Les raisons ne sont pas encore entièrement comprises. Les différences biologiques, les facteurs hormonaux et la biomécanique peuvent jouer un rôle, mais les réponses psychologiques ont clairement leur importance. Et, ajoute M. Yeates, il ne s’agit pas de privilégier une approche plutôt qu’une autre : « C’est simplement différent. Cela semble permettre de prédire la rapidité avec laquelle ils sont autorisés à reprendre le sport sur le plan médical, et la question devient alors : qu’est-ce qui motive cela? »
Pourquoi il est important d’intervenir rapidement
Selon M. Yeates, la chose la plus importante est simplement d’amener les athlètes à signaler leurs symptômes. Il existe des preuves solides que plus une personne reçoit une prise en charge rapide, plus sa guérison est rapide, explique-t-il.
Une intervention précoce permet une reprise encadrée du sport et réduit le risque d’une deuxième commotion cérébrale, qui survenait autrefois très souvent dans la semaine ou les deux semaines suivant la blessure. Le ralentissement du processus de retour au jeu a permis d’éviter bon nombre de ces blessures répétées.
Les entraîneurs et les parents jouent également un rôle clé en fixant des attentes réalistes. La rapidité est toute relative. Selon M. Yeates, il faut compter en général de deux à quatre semaines pour se rétablir. Si les athlètes le savent dès le départ, ils seront moins anxieux après trois semaines.
Reconnaître que les commotions cérébrales peuvent être effrayantes fait aussi partie du processus. La peur et l’incertitude sont normales, et en parler ouvertement peut aider les athlètes à retourner au jeu et à mieux performer lorsqu’ils le font.
ENCADRÉ : Au-delà du sport
Même si le sport est souvent à l’origine des recherches sur les commotions cérébrales, M. Yeates rappelle que beaucoup d’entre elles surviennent ailleurs : chez les victimes de violence conjugale, les personnes en situation d’itinérance, les aînés et les jeunes enfants. Les leçons tirées de la médecine sportive pourraient aussi profiter à ces groupes.
L’avenir des soins en cas de commotion cérébrale
Selon M. Yeates, de nouvelles perspectives prometteuses se dessinent grâce aux nouveaux outils diagnostiques, en particulier les tests de biomarqueurs effectués sur place à partir de sang ou de salive. Ceux-ci ne remplaceraient pas le jugement clinique, mais pourraient fournir rapidement des données objectives pour confirmer une commotion et suivre l’évolution de la guérison.
Il prévoit aussi un essor des techniques de neuromodulation et des interventions psychologiques, des approches relativement peu coûteuses qui peuvent être combinées aux traitements biologiques.
Mais il y a un obstacle : le financement. Au Canada, la recherche sur les commotions cérébrales a été fragilisée ces dernières années par un changement des priorités en santé publique. Sans investissement soutenu, M. Yeates prévient que les progrès ralentiront. « Ceux qui se font entendre sont ceux qui obtiennent ce qu’ils veulent. Nous devons nous faire entendre, défendre notre cause… et aussi mobiliser les parents, les entraîneurs, les enfants et les athlètes dans ce combat. »
Il est urgent de financer le maintien des lignes directrices canadiennes de gestion des commotions cérébrales, parmi les meilleures au monde. « Les meilleures lignes directrices sont celles que nous appelons aujourd’hui évolutives, explique-t-il. Elles sont continuellement mises à jour, contrairement aux lignes directrices rédigées, puis révisées dix ans plus tard, sans tenir compte de tout ce qui s’est passé entre-temps. »
Le message pour les athlètes et les parents
Malgré les risques, M. Yeates insiste sur le fait que le sport apporte d’immenses bienfaits physiques et mentaux. « Une commotion cérébrale ne veut pas dire que vous devez arrêter le sport. Apprenez à la prévenir, à la reconnaître et à consulter si cela arrive. »
La plupart des gens se rétablissent complètement. L’essentiel est de ne pas ignorer les symptômes. « La pire chose à faire, si vous pensez avoir une commotion cérébrale, c’est de n’en parler à personne et d’attendre que ça passe. Ce n’est plus nécessaire aujourd’hui, et c’est même très contre-productif. »
Pour Jen Kish, cette leçon est arrivée trop tard pour éviter les séquelles dont elle souffre encore. Mais son ouverture d’esprit et les recherches qu’elle inspire pourraient aider la prochaine génération d’athlètes à faire des choix différents.
Comme le dit M. Yeates : « Il ne s’agit pas seulement de vous permettre de retourner au sport, mais de vous permettre de vous rétablir complètement. »