Joseph Gurgis est professeur adjoint à l’Université Nipissing. Il a obtenu son doctorat à l’Université de Toronto, où il a exploré les interprétations, les expériences et les recommandations des intervenants canadiens pour faire progresser le sport sécuritaire. Ses conclusions suggèrent que le mouvement pour un sport sécuritaire serait mieux servi par un changement d’orientation visant à cultiver des environnements inclusifs, plutôt que de se concentrer uniquement sur la prévention des dommages. Le
SIRC a discuté avec Gurgis du statut de la certification des entraîneurs au Canada.
SIRC : Quels sont les principaux obstacles à la certification des entraîneurs ?
Joseph Gurgis : La Dre Ashley Stirling, la Dre Gretchen Kerr et moi-même avons publié une étude à ce sujet il y a quelques années, financée par l’Association canadienne des entraîneurs (ACE). Nous avons sondé et organisé des entretiens avec des entraîneurs certifiés et non certifiés pour discuter des obstacles et des leviers de la certification.
Les entraîneurs ont signalé de nombreux obstacles associés au processus de certification au Canada. La perception la plus courante est que la certification est un processus fastidieux et exigeant beaucoup de temps. En plus de suivre des cours multisports, les entraîneurs devaient suivre des cours spécifiques à un sport, rédiger un portfolio et être évalués simplement pour obtenir leur certification.
Pour les entraîneurs vivant dans des régions éloignées du Canada, la certification est devenue une tâche inaccessible et coûteuse. Certains entraîneurs ont indiqué qu’ils devaient faire trois ou quatre heures de route pour accéder à un cours. Entre l’essence, l’hébergement, la nourriture et les frais de cours, devenir entraîneur, et obtenir la certification, était un processus coûteux.
Enfin, les entraineurs n’ont perçu aucun avantage à obtenir la certification. L’ensemble du processus a été décrit comme peu pratique dans la mesure où le processus d’évaluation était perçu comme un élément « à cocher ». De plus, les entraîneurs étaient d’avis que l’obtention d’une certification ne ferait pas progresser leur carrière. Cela était particulièrement vrai pour certains entraineurs bénévoles, qui recevaient rarement une compensation ou un soutien quelconque pour les heures qu’ils consacraient à l’entrianement. D’où la question suivante : quel est le but de la certification ?
SIRC : Est-ce que cela a beaucoup changé au cours des dernières années ?
JG : Il y a environ 20 ans, le programme est passé d’un système à cinq niveaux à ce que l’on appelle aujourd’hui un programme « basé sur les compétences ». Le PNCE reposait sur un système de type « 1, 2, 3, 4, 5 » qui offrait aux entraîneurs des cours théoriques et techniques. Les entraîneurs passaient des niveaux de base 1, 2 et 3 aux niveaux 4 et 5, où les choses devenaient beaucoup plus spécifiques. Par exemple, un entraîneur de baseball peut participer à un cours sur la biomécanique de l’élan ou la physiologie du lancer.
Il y avait des raisons légitimes de modifier le système. Toutefois, les données préliminaires d’une évaluation récente révèlent plusieurs lacunes, qui peuvent également influencer la certification des entraîneurs. Par exemple, les parties prenantes du PNCE ont indiqué qu’il était difficile de s’y retrouver dans les différentes filières d’entraînement. De plus, certains intervenants et évaluateurs se sont plaints du trop grand nombre de critères, qui sont a) trop axés sur la technique et la tactique et b) ne peuvent pas être révisés par les entraineurs, ce qui rend l’évaluation plus difficile.
SIRC : Quels sont les principaux leviers ou facilitateurs de la certification des entraîneurs ?
JG : Nous avons constaté que les entraîneurs certifiés étaient plus susceptibles de faire état de facilitateurs de la certification. Après avoir terminé le processus, il a peut-être été plus facile pour ces entraîneurs de réfléchir et d’identifier les avantages de la certification.
Certains ont estimé que la certification améliorait leur réputation et leur offrait donc de meilleures opportunités professionnelles. Certains ont fait état d’une efficacité accrue de l’entrainement. Beaucoup de personnes ont apprécié que certains cours leur aient permis de mieux comprendre comment créer un espace sécuritaire. Pour certains, notamment ceux qui étaient rémunérés pour l’entrainement, l’augmentation de leurs revenus a été un facteur de facilitation.
SIRC : Ces obstacles/facilitateurs sont-ils différents pour les cohortes d’entraineurs issus de communautés minoritaires ?
JG : Dans le cadre de mon post-doc, j’ai exploré les expériences des entraineurs autochtones de l’île du Cap-Breton. Je ne veux pas généraliser à tous les groupes en quête d’équité, mais pour les entraîneurs autochtones en particulier, nous avons constaté qu’un obstacle majeur au développement des entraîneurs était lié aux circonstances difficiles qui les affectent au sein de leur communauté (par exemple, des générations de traumatismes, la pauvreté, la toxicomanie et l’alcoolisme). Souvent, les réalités personnelles compliquent l’entrainement pour eux. Par exemple, certains entraîneurs à qui nous avons parlé nous ont dit qu’il était courant pour leurs athlètes de se rendre à l’entraînement sans manger de la journée. Ces entraîneurs se sont retrouvés dans des situations où ils se sont dit : « Je ne suis pas seulement un entraîneur pour ces enfants. Je suis aussi un parent, je suis un mentor, je suis leur chauffeur d’autobus, je suis leur modèle. »
Les entraîneurs auxquels nous avons parlé ont également exprimé leur frustration quant à l’organisation eurocentrique de la formation des entraîneurs au Canada. Selon eux, il n’y avait aucune reconnaissance des autres croyances ni aucune tentative d’intégrer les principes autochtones dans les modules de formation, à l’exception d’une reconnaissance de la terre, qui n’a été incluse que récemment pour que les instructeurs la disent d’emblée pendant la formation. Par la suite, beaucoup d’entraîneurs ont critiqué le fait que le système de certification est réellement conçu pour former et reproduire des entraîneurs occidentaux et que la formation des entraîneurs en général ne reconnaît pas la signification culturelle, spirituelle et émotionnelle du sport.
Enfin, un autre obstacle, qui, selon moi, s’étend à d’autres groupes méritant l’équité, est le racisme systémique, ou plus largement la discrimination, qui tend à empêcher certains groupes d’obtenir des postes d’entraîneur. L’enquête menée par CBC en 2020 a révélé la faible représentation de leaders PANDC dans le sport universitaire. Il s’agit d’un problème qui va au-delà de l’entraînement.
SIRC : Comment les organisations pourraient-elles mieux attirer des candidates et candidats de qualité pour les postes d’entraîneurs ?
JG : Nous devons tenir compte du fait que de nombreux entraîneurs au Canada sont des bénévoles, et donc trouver un moyen de simplifier le processus de certification. Il est difficile pour les entraîneurs d’investir dans un processus aussi long s’ils ne croient pas que cela en vaut la peine. Les organismes doivent également être responsables de l’articulation des avantages de la certification, afin de mieux convaincre les entraîneurs de l’importance de la certification. Nous devrions aussi réfléchir à la manière d’encourager ou de récompenser les entraîneurs qui obtiennent une certification. Par exemple, les entraîneurs certifiés pourraient recevoir des fonds supplémentaires pour leur équipe ou leurs athlètes.
SIRC : Il s’agit de trouver un équilibre entre l’impulsion et l’importance de l’éducation et de la formation des entraîneurs et la charge, en particulier pour les entraîneurs bénévoles qui consacrent déjà beaucoup de temps à ce rôle.
JG : C’est un vrai problème. D’autant plus que le mouvement pour la sécurité dans le sport prend de l’importance, il y a une plus grande pression sur les entraîneurs bénévoles pour qu’ils suivent une formation sur la sécurité dans le sport et peut-être une attente irréaliste que les entraîneurs soient des experts dans ce domaine. La formation est importante, mais jusqu’à quel point, avant que les gens n’abandonnent ?
Parfois, « le moins est le mieux ». Je pense qu’il faut faire un plus grand effort pour développer une formation de qualité, mixte, plutôt que de produire une tonne de modules en ligne que les entraîneurs cliquent rapidement parce qu’on leur dit qu’ils doivent suivre un cours spécifique.
C’est ce qui me préoccupe actuellement avec le mouvement « Sport sécuritaire ». Cette approche relationnelle de Sport sécuritaire pointe du doigt les entraîneurs, exige que les entraîneurs fassent toute la formation. Mais il y a beaucoup d’exemples, comme Hockey Canada, USA Gymnastics, Penn State University, où un entraîneur peut avoir perpétré la violence, mais il y avait beaucoup d’autres personnes dans le système qui étaient au courant de cet abus. Cela montre l’importance pour Sport sécuritaire d’adopter une approche systémique, dans laquelle toutes les parties prenantes sont responsables de la sensibilisation et de la formation. Je pense que cela peut soulager les entraîneurs d’une partie de la pression. Cela, ainsi que d’autres interventions, telles que la mise en œuvre de politiques complètes, le développement de mécanismes de signalement indépendants, la mise en place d’initiatives de défense appropriées et l’intensification de la recherche.
Dans l’ensemble, je pense qu’une formation significative et pertinente, fondée sur les principes de l’apprentissage mixte et de l’apprentissage par l’expérience, créerait des opportunités d’apprentissage significatives pour les entraîneurs, ce qui se traduirait par une meilleure pratique.