
L’étincelle
En janvier 2025, Elle est active Nouveau-Brunswick a lancé Derrière le sifflet, une série de récits mettant en lumière des femmes officielles provenant des quatre coins de la province. Ce qui n’était au départ qu’une publication de routine sur les médias sociaux soulignant les récentes réalisations de trois arbitres de basketball au sein de l’Atlantic Collegiate Athletic Association (ACAA) a rapidement pris de l’ampleur. L’enthousiasme généré par cette publication a inspiré une idée encore plus ambitieuse : pourquoi ne pas créer une série consacrée à la reconnaissance des femmes officielles partout au Nouveau-Brunswick?
Le besoin était évident. Des recherches comme le Signal de ralliement 2024 de Femmes et sport au Canada continuent de démontrer que les femmes et les filles demeurent sous-représentées dans toutes les sphères du sport — que ce soit en tant qu’athlètes, entraîneuses, officielles ou gestionnaires. Au Nouveau-Brunswick, les données de la Direction des sports et des loisirs du ministère du Tourisme, du Patrimoine et de la Culture révèlent qu’en 2023-2024, seulement 30,1 % des officiels issus de 41 organismes provinciaux de sport (OPS) étaient des femmes.
Chez Elle est active, nous collaborons avec des partenaires à travers la province pour accroître la participation des femmes et des filles dans les domaines du sport, des loisirs et de l’activité physique, en éliminant les obstacles et en renforçant les capacités des entraîneurs, des leaders et des communautés. Derrière le sifflet repose sur la conviction que la représentation compte. Parfois, il suffit de voir quelqu’un qui nous ressemble pour comprendre qu’on a, nous aussi, notre place dans le sport. Cette série donne la parole aux femmes officielles afin qu’elles puissent raconter leur parcours et inspirer d’autres femmes à se projeter dans le rôle d’arbitre.
Depuis son lancement, Derrière le sifflet a présenté le parcours de 15 femmes officielles, et la série est appelée à se poursuivre à long terme. Chacune a partagé ses réussites, ses défis, ses sources de motivation et l’impact que l’arbitrage a eu sur sa vie. Leurs histoires ont été relayées sur les réseaux sociaux et mises en valeur dans une série de balados en trois épisodes, permettant ainsi de rejoindre un public encore plus large.
Rencontrer les femmes















Découvrez l’histoire de chaque officielle en consultant les articles et les épisodes du balado à l’adresse suivante : https://elleestactivenb.ca/derriere-le-sifflet/.
Thèmes clés : Ce que nous avons entendu
Au-delà du partage d’expériences personnelles, Derrière le sifflet a permis de mieux comprendre la réalité vécue par les femmes dans le monde de l’arbitrage. Quatre grands thèmes sont ressortis des témoignages : la communauté et les systèmes de soutien, le développement des compétences et de l’apprentissage, l’importance de redonner à la communauté, et la remise en question des normes établies.
1. Communauté et systèmes de soutien
Le sentiment d’appartenance était au cœur de chaque récit. Les officielles ont insisté sur la valeur de la communauté, soulignant à quel point les liens tissés avec d’autres arbitres, entraîneurs et athlètes les motivent à rester engagées. Pour plusieurs, l’arbitrage a été un véritable catalyseur, leur ouvrant des portes et leur permettant de faire des rencontres improbables à l’échelle locale, nationale et internationale.
Le soutien de la famille, des amis, des collègues, de leur OPS et de la communauté élargie des arbitres a été essentiel à leur engagement continu et à leur développement. Le mentorat, en particulier, s’est révélé déterminant. Les mentors les ont encouragées à se lancer, les ont aidées à perfectionner leurs compétences, et leur ont offert du soutien dans les moments de doute. Bon nombre d’entre elles sont ensuite devenues mentores à leur tour, trouvant une réelle satisfaction à voir leurs protégées évoluer. Plusieurs ont aussi souligné l’importance d’avoir eu des mentores femmes, avec qui le lien s’est naturellement tissé plus facilement. « Lorsque j’ai réussi [à obtenir ma certification nationale], ce n’était pas seulement pour moi, c’était aussi un accomplissement pour ma famille et pour notre province. »
Même si Derrière le sifflet n’a pas été conçu comme une étude scientifique, les thèmes abordés concordent avec les constats issus de la littérature actuelle. Une étude de Sunde et coll. (2024) sur les motivations, les besoins et la rétention des femmes officielles au Canada a révélé que ces motivations sont étroitement liées aux besoins d’autonomie, de compétence et de lien social. Les femmes commencent généralement à arbitrer par passion pour le sport, mais elles y restent grâce à la communauté qui les entoure
2. Développement des compétences et apprentissage
L’arbitrage est souvent perçu comme un puissant vecteur de développement personnel. Il a poussé les participantes à sortir de leur zone de confort, les aidant à gagner en assurance et à prendre des décisions avec confiance. Il a aussi renforcé leur capacité à gérer la pression, à désamorcer les tensions et à communiquer efficacement avec toutes sortes d’intervenants.
L’introspection et la conscience de soi ont joué un rôle clé dans leur cheminement. Pour beaucoup, les compétences acquises en arbitrage ont eu des retombées positives bien au-delà du terrain, que ce soit dans le milieu professionnel ou dans leur rôle de parent. Une officielle s’est confiée : « J’aime dire aux gens que devenir arbitre a fait de moi une meilleure mère. J’ai tellement plus de patience. »
Fait intéressant, Sunde et coll. (2024) ont également établi un lien entre formation et sentiment d’appartenance. Selon leurs conclusions, la formation permet aux officiels de se sentir mieux préparés, ce qui renforce leur sentiment de faire partie intégrante de la communauté. D’où leur recommandation : offrir une diversité de formations pour accroître à la fois les compétences et l’inclusion.
3. Redonner à la communauté
Pour plusieurs, le désir de redonner à leur sport a été l’un des principaux moteurs de leur engagement comme officielle. La plupart étaient déjà impliquées dans leur discipline à titre d’athlètes ou d’entraîneuses (certaines le sont encore) et souhaitaient contribuer à leur tour à la communauté qui les avait soutenues. Le manque généralisé d’officiels dans plusieurs disciplines sportives a aussi renforcé ce sentiment de devoir collectif.
Leur amour profond pour le sport et la communauté est évident. Les officielles ont décrit leur travail comme étant à la fois significatif et énergisant. « J’ai décidé de devenir officiel pour aider ma communauté dans le sport que j’ai pratiqué dans mon enfance. »
4. Remise en question des normes
Nombreuses sont celles qui ont reconnu que le milieu de l’arbitrage demeure largement dominé par les hommes. Même si elles n’ont pas toutes vécu des expériences explicitement négatives, elles étaient conscientes des dynamiques de genre qui y sont ancrées. Plusieurs ont exprimé ressentir une pression supplémentaire liée à leur genre et à la nécessité constante de faire leurs preuves. Être la seule femme sur le terrain ou sur le court est une réalité fréquente — motivante pour certaines, mais isolante pour d’autres.
Ces expériences rejoignent les résultats de l’étude de Coletti (2022), qui démontre que les filles se retrouvent souvent à devoir contrecarrer les normes de genre et les stéréotypes afin de « mériter » leur place. Les participantes ont aussi senti qu’elles portaient la responsabilité de représenter toutes les femmes athlètes et officielles, conscientes qu’elles contribuaient à faire évoluer les mentalités.
Des formes subtiles de partialité, comme des commentaires insignifiants mettant en doute leur rôle ou leurs compétences, n’étaient pas rares. Une officielle a raconté : « J’avais demandé à un préposé de la patinoire d’ouvrir la porte de la salle des arbitres et il m’a répondu : “C’est pour les arbitres”. J’avais mon sac d’arbitre avec moi et j’ai dit : “Je sais, je suis l’arbitre. Pouvez-vous me laisser entrer, s’il vous plaît? ».
Néanmoins, les officielles restent déterminées à lutter contre les stéréotypes et à servir de modèles pour les autres. Elles ont souligné l’importance de l’entraide entre les femmes. Plus il y a de femmes impliquées, plus il est facile pour les autres de suivre. « En tant que femme, j’avais l’impression qu’on me manquait déjà de respect dès que je mettais les pieds sur la glace… Mais j’ai découvert que lorsque je désamorçais la situation et que je me calmais, ils ne pouvaient pas me crier dessus parce que je ne criais pas en retour. J’ai demandé le respect plutôt que de l’exiger. »
Une autre étude, menée par Reid et Dallaire (2020) sur les arbitres féminines de soccer en Ontario, révèle que beaucoup cherchent d’abord à prouver leur compétence et à être reconnues comme de « bonnes » arbitres. Certaines vont jusqu’à minimiser ou ignorer les dynamiques de genre pour être acceptées, ce qui peut involontairement perpétuer les normes masculines dans le sport. Cette étude rappelle une chose essentielle : parvenir à une réelle équité de genre en arbitrage exige qu’on reconnaisse — et qu’on tienne compte — des expériences uniques vécues par les femmes, plutôt que de les balayer du revers de la main.
Il est également important de souligner que l’étude des expériences des femmes officielles reste un domaine peu exploré, particulièrement au Canada (Baxter et coll., 2023). Ces chercheurs recommandent d’approfondir la recherche sur plusieurs aspects : politiques et gouvernance, cheminement des officiels, recrutement, rétention, performance, stress, bien-être et soutien.
Aller de l’avant : Leçons et orientations futures
À la fin de chaque entrevue, nous avons demandé aux participantes quels conseils elles donneraient à d’autres femmes et jeunes filles désireuses de devenir officielles. Voici ce qu’elles ont répondu :
- Trouvez un groupe de soutien ou des mentors qui vous guideront et vous tiendront responsable.
- Créez des liens, car ces personnes vous permettront de continuer à avancer lorsque vous vous sentirez découragé.
- Ne laissez pas les commentaires négatifs vous atteindre. Vous serez peut-être confrontée à des réactions négatives, mais votre groupe de soutien vous aidera à les surmonter.
- Connaître son matériel permet d’appuyer sa décision en toute confiance.
- N’ayez pas peur de faire des erreurs, elles sont inévitables. Le plus important est d’en tirer des leçons.
- Posez des questions, car vous ne saurez rien si vous ne demandez pas.
- Sautez le pas, même si c’est intimidant. Le premier pas est souvent le plus difficile.
Alors, quelle est la suite des événements? Comment cette série oriente-t-elle le travail sur l’égalité des genres dans l’arbitrage, et quelles sont les implications pour les dirigeants sportifs? Les principales conclusions que nous en tirons donnent des pistes pour l’avenir.
La reconnaissance est importante. Les officielles à travers le Canada font des choses remarquables – en brisant les barrières, en servant de mentore à d’autres et en jouant des rôles clés dans les organismes de sport. Les officielles passent souvent inaperçues dans le sport, et cette série montre qu’il est important de les célébrer.
Les officielles portent de nombreux chapeaux. Ces femmes sont des mentores, des modèles, des responsables d’attribution, des athlètes, des entraîneuses, des mères, des partenaires, des amies et des collègues (pour n’en citer que quelques-uns!).
L’apprentissage continu est au cœur de la fonction d’officiel. Les possibilités d’apprentissage formel et informel aident les femmes fonctionnaires à prendre confiance en elles et à rester engagées.
La communauté maintient l’implication des gens. Si les officielles peuvent être initialement motivées pour rendre service à leur communauté, le fait de nouer des liens leur permet de rester impliquées. Qu’il s’agisse de mentorat formel ou d’amitiés plus informelles, les officielles s’appuient sur leur communauté pour progresser.
L’appartenance est essentielle. Le fait d’être l’une des seules femmes dans un environnement peut être source d’isolement. Nous devons créer des espaces permettant aux officielles de se connecter et de se soutenir mutuellement, que ce soit par le biais de programmes de mentorat, d’ateliers réservés aux femmes ou d’événements informels de réseautage.
Les différences entre les genres doivent être reconnues, et non ignorées. En ignorant le genre, nous risquons de renforcer les normes masculines dominantes. Reconnaître les différences et apporter un soutien en conséquence conduit à une plus grande inclusion.
Nous avons progressé dans la création d’espaces sportifs équitables et inclusifs, mais il reste encore du travail à faire. Bien que les défis et les obstacles rencontrés par les femmes dans l’arbitrage n’aient pas été au centre de cette série, nous devons reconnaître la nécessité d’un travail continu. Il est également important de noter que ces histoires de femmes qui officient actuellement ne racontent pas toute l’histoire. Pour vraiment comprendre les obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans l’exercice de leur profession, nous devons également tenir compte de celles qui ont abandonné.
Les organisations sportives jouent un rôle essentiel. Le recrutement et le maintien en poste des officielles ne s’amélioreront pas sans stratégies intentionnelles et sans environnements conçus pour favoriser leur réussite. Faites preuve de créativité et veillez à consulter les femmes et les jeunes filles dans votre processus de conception.
Les organisations sportives doivent jouer un rôle actif dans les stratégies de recrutement, de développement et de maintien en poste qui tiennent compte de l’expérience des femmes. Il s’agit notamment de donner la priorité à des environnements inclusifs, d’élaborer des politiques adaptées et de se concentrer sur des efforts de sensibilisation proactifs.
Remerciements : Un grand merci à tous ceux et celles qui ont rendu cette série possible – Peter, Manon, et tous ceux qui ont proposé des officiels à reconnaître. Et surtout, un grand coup de chapeau à nos 15 officiels présentés. Votre leadership nous inspire et nous vous sommes profondément reconnaissants d’avoir accepté de partager vos histoires.