Résumé du projet
Le projet visait à examiner les répercussions de la construction, au centre-ville d’Edmonton, d’un nouvel amphithéâtre financé par les deniers publics au coût de 613,7 millions de dollars (la Place Rogers, patinoire des Oilers d’Edmonton, une équipe de la Ligue nationale de hockey) sur les résidants du quartier défavorisé du centre-ville, où vivent beaucoup de sans-abri appartenant en nombres disproportionnés à des groupes autochtones. Notre étude a permis de révéler que l’entente sur les retombées communautaires passée par la Ville d’Edmonton et l’équipe des Oilers d’Edmonton ne comportait pas les dispositions qui auraient pu permettre d’atténuer l’incidence de l’embourgeoisement sur les membres de la communauté et les entreprises déjà établis dans le quartier. Nous avons également observé des changements systématiques aux services de police et de sécurité dans le quartier du centre-ville et aux alentours de la Place Rogers, y compris une surveillance accrue des membres de la communauté et le déplacement de certains d’entre eux qui vivaient dans des logements sociaux près du stade. Toutefois, notre recherche a également révélé que les membres de la communauté ont adopté de nouvelles stratégies de résilience et, parfois, de résistance par rapport à la présence policière accrue dans leur quartier et aux vastes changements causés par l’embourgeoisement du quartier défavorisé du centre-ville.
Méthodes de recherche
La première partie de ce projet de recherche s’est déroulée de 2016 à 2019 à partir d’une recherche-action participative. On a ainsi étudié l’entente sur les retombées communautaires portant sur l’amphithéâtre de même que les conséquences de la construction de ce bâtiment sur le quartier défavorisé du centre-ville. Nous avions pensé élaborer un collectif de recherche collaborative avec des étudiants du programme de sciences humaines de l’Université de l’Alberta, programme qui offre gratuitement des cours universitaires non crédités à des résidants du centre-ville d’Edmonton et des quartiers environnants ayant traditionnellement du mal à faire des études postsecondaires, que ce soit pour des raisons financières ou institutionnelles, en raison d’obstacles sociaux ou pour toute autre raison. Nous avons passé les années 2016 et 2017 à tisser des rapports avec les apprenants, et les adjoints de recherche (étudiants des niveaux supérieurs) ont préparé et offert une série de séminaires sur la recherche communautaire à l’hiver 2018.
La deuxième partie du projet de recherche a consisté en une recherche ethnographique classique en milieu urbain. Entre 2016 et 2018, notre équipe de recherche a effectué 50 « promenades » autour du stade avant, durant et après les parties à domicile des Oilers d’Edmonton à la Place Rogers afin d’étudier l’incidence de l’aménagement du bâtiment sur les membres de la communauté. Nous avons également mené, auprès de membres de la communauté et de travailleurs sociaux, 40 entrevues portant sur l’élaboration de l’entente sur les retombées communautaires liée à l’amphithéâtre ainsi que sur les points de vue relatifs aux répercussions inégales de la construction du bâtiment.
Résultat de la recherche
Les étudiants ayant suivi les séminaires sur la recherche communautaire ont acquis des connaissances sur les méthodes de recherche, l’éthique de la recherche et les aspects politiques de la recherche communautaire; ils ont préparé, seuls ou en petits groupes, des projets de recherche sur les problèmes liés à l’embourgeoisement du centre-ville. Le tout s’est terminé par une première Conférence des sciences humaines couronnée de succès, qui a eu lieu en mai 2018 à l’Université de l’Alberta. Une quinzaine d’apprenants ont fait des exposés ou des productions artistiques et amené les participants qui le souhaitaient se promener au centre-ville pour constater les effets de l’itinérance. Quelque 150 personnes, y compris des étudiants et des membres du personnel d’autres programmes de sciences humaines de Calgary, de Victoria et de Vancouver, ont assisté à la Conférence.
Les entrevues ont révélé que les résidants du quartier défavorisé du centre-ville n’ont pas été véritablement inclus dans les discussions ayant entouré l’élaboration de l’entente sur les retombées communautaires, entente qui aurait pu permettre d’atténuer les conséquences de l’embourgeoisement, y compris la perte de logements sociaux près de la Place Rogers. De plus, aucune consultation publique véritable à grande échelle des membres de la communauté n’a eu lieu relativement à la construction de la Place Rogers. Les résidants ont exprimé beaucoup de colère quant au projet de construction lui-même, à la perte de logements et à la hausse de la présence policière dans le quartier. Ils vivent également avec la crainte de perdre des services sociaux et des réseaux de soutien vu l’embourgeoisement du secteur, perte qui prolongerait le cycle traumatique d’abandonnement et de déplacement marquant leur vie. De très nombreux Autochtones, parmi les membres de la communauté, ont indiqué que le cycle historique de confinement et déplacement des peuples autochtones ne faisait que se répéter alors que des communautés embourgeoisées se construisent au centre-ville d’Edmonton.
Nous avons observé des changements systémiques aux services de police et de sécurité dans la communauté du centre-ville et des alentours de la Place Rogers, y compris une surveillance accrue des résidants qui sont sans abri. À de nombreuses reprises, des policiers ou des agents de sécurité d’entreprises privées ont « encouragé » des sans-abri à quitter le secteur les soirs de match et à ne pas interagir avec les amateurs de hockey. Toutefois, notre recherche a également révélé que les membres de la communauté ont adopté de nouvelles stratégies de résilience et, parfois, de résistance par rapport à la présence policière accrue dans leur quartier et aux vastes changements causés par l’embourgeoisement du quartier défavorisé du centre-ville.
Incidence par rapport aux politiques et aux programmes
Parmi les leçons à tirer de notre recherche sur le plan des politiques et des programmes, il est tout particulièrement important de mentionner que les administrations municipales doivent élaborer des ententes sur les retombées communautaires véritablement inclusives et juridiquement contraignantes lors de l’aménagement de complexes urbains de sport de cette envergure. Comme l’entente visant le stade d’Edmonton a été signée par la Ville d’Edmonton et les Oilers d’Edmonton sans pratiquement aucune consultation communautaire, elle ne contient aucune des dispositions qui ont été mises en œuvre dans d’autres villes pour atténuer l’incidence de l’embourgeoisement sur les résidants et les entreprises déjà établies dans la communauté (p. ex. emplois assortis d’un salaire suffisant pour vivre, logements abordables, contribution aux aménagements communautaires, etc.). Tout nouvel aménagement lié à la Place Rogers et à l’ensemble du quartier surnommé « Ice District », devrait être assorti d’une nouvelle entente sur les retombées communautaires élaborée au terme d’une collaboration originale avec les membres de la communauté.
L’aréna communautaire contigu à la Place Rogers, que la Ville d’Edmonton voyait au départ comme une retombée positive de l’aménagement de l’amphithéâtre, demeure grandement sous-utilisé; les membres racialisés de la communauté qui se prévalent des services sociaux offerts par divers organismes installés près de la Place Rogers n’y accèdent pas non plus. De nouvelles politiques et procédures doivent être mises en œuvre pour faciliter l’accès à cette installation.
Enfin, un dialogue doit être lancé entre les membres de la communauté, les policiers et les agents de sécurité d’entreprises privées en ce qui a trait à l’exécution des lois dans le quartier défavorisé du centre-ville d’Edmonton, et en particulier au profilage racial et aux contrôles d’identité. Les policiers et les agents de sécurité profiteraient peut-être également d’une formation supplémentaire sur les interactions avec les membres de la communauté pour garantir la sécurité de tous les soirs de match.
Prochaines étapes
Il serait important de faire une recherche à long terme sur l’incidence de l’embourgeoisement du centre-ville d’Edmonton et sur le déplacement des membres de la communauté. De la même façon, il serait important d’étudier ces enjeux en d’autres endroits de la ville puisque les sans-abri à la recherche de sécurité sont de plus en plus nombreux à s’éloigner du centre-ville embourgeoisé pour se rendre plutôt dans la vallée de la rivière Edmonton et dans d’autres quartiers de la ville.
Application des connaissances
Nous comptons diffuser les résultats de notre recherche auprès de la Ville d’Edmonton et des résidants du quartier défavorisé du centre-ville.